| 15.11.11 | 11h00 • Mis à jour le 15.11.11 | 13h18
Patrick Artus, directeur des études économiques de Natixis;D.R.
Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natixis, estime que, pour tenir ses engagements, le second plan de rigueur, annoncé par le premier ministre, François Fillon, le 7 novembre, devrait multiplier par deux son objectif de 7 milliards d'euros d'économies. Auteur avec Marie-Paule Virard de La France sans ses usines (Fayard, 175p., 16 euros), il estime que la notation "de fait" de la France est AA et non plus AAA.
Où en sont vos prévisions de croissance pour la France ?
Nous prévoyons 0,5 % en 2012, en ayant fait l'hypothèse que le redressement budgétaire aurait un impact faible sur le produit intérieur brut (PIB) et qu'il n'y aurait pas de risques additionnels comme les restrictions de crédits aux entreprises. Autrement dit, si notre prévision devait bouger encore, ce serait à la baisse.
Les indicateurs conjoncturels des dernières semaines laissent entrevoir une nette dégradation de la situation. Le risque de récession n'est pas nul. Le pire serait que les entreprises, du fait de leur situation financière et d'une éventuelle restriction des crédits bancaires, contractent considérablement leurs prévisions d'investissement.
Le second plan Fillon est-il à la mesure des enjeux ?
Le gouvernement français, comme ses homologues européens, a fait des calculs purement arithmétiques, sans vision d'ensemble macroéconomique. Il pense que les politiques restrictives conduites en Europe n'auront pas d'effet sur le PIB, et retient un multiplicateur budgétaire égal à zéro. Cette hypothèse n'est pas la nôtre.
Avant le plan Fillon II, nous tablions, comme la Commission européenne, sur un déficit public de 5 % du PIB en 2012. Le ramener à 4,5 %, comme prévu, représente un effort de 10 milliards d'euros. Pour trouver cette somme, il faut, compte tenu des effets amplificateurs des politiques restrictives, un effort de 14 milliards. Le second plan Fillon n'en apporte que 7 et il est fondé sur une prévision de croissance trop optimiste. Il faudra sûrement un nouveau tour de vis pour tenir nos engagements de 2012.
La France doit-elle apprendre à vivre avec une croissance durablement faible ?
Entre 2012 et 2020, la croissance potentielle française devrait tourner autour de 1,2 % à 1,3 %. La France a fait mieux entre 2002 et 2007 en raison du boom immobilier. La situation d'aujourd'hui est toute autre : l'Etat, les ménages et les entreprises vont devoir se désendetter. Il est donc raisonnable de prévoir une croissance durablement inférieure à la croissance potentielle.
Peut-on, dans un tel environnement, réduire le déficit public ?
Toute la question est de ne pas tuer la demande à court terme tout en préservant l'offre à long terme. Ainsi faut-il trouver des mesures ayant peu d'impact sur la demande et éviter ce qui ne marche pas : l'augmentation de la TVA, qui tue la consommation, et la hausse des charges sociales, qui détruit de l'emploi.
Pour le reste, il faut taxer davantage les revenus du capital et les plus-values du capital, hors fonds propres des PME. Le plan Fillon, et c'est bien, prévoit des mesures en ce sens. Il faut aussi limiter les niches fiscales et mettre fin à tout ce qui produit des effets d'aubaine, donc de la rente, en particulier dans les services et la distribution : veiller à cela contribue à faire baisser les prix et donne du pouvoir d'achat aux salariés.Cela suppose une politique intelligente de la concurrence.
Peut-on sauver notre AAA ?
Ne nous trompons pas sur les demandes des marchés ou sur ce qu'ils sont. Ils ne sont pas manipulés par de vilains investisseurs anglo-saxons qui vendent de la dette italienne. Nous ne vivons pas une crise de spéculation, mais une crise de défiance de nos grands investisseurs institutionnels qui doutent de la crédibilité budgétaire de la France, autrement dit de sa capacité à corriger à moyen terme son déficit budgétaire.
Depuis octobre, les taux allemands et français divergent. La France a quitté le cœur de l'Europe pour rejoindre le groupe des pays du Sud. Aujourd'hui, le rating de fait des grands investisseurs institutionnels est AA pour la France. Pour autant, nul ne nous demande de ramener en un an notre déficit public à 3 % du PIB. Ce qu'il nous faut, c'est un plan de moyen terme précis et crédible, qui ne tue pas la croissance.
Propos recueillis par Claire Guélaud