Sur le terrain
Pizza Hut : les grévistes passent à l’offensive
Ce mardi 6 décembre, les salariés de la douzaine de magasins Pizza Hut répartis sur toute l’Ile-de-France ont fait grève pour demander de meilleurs salaires et des conditions de travail améliorées. L’objectif : frapper la chaîne de restauration rapide au porte-monnaie afin de la pousser vers la table des négociations. Nous sommes allés à la rencontre des grévistes, rue Ordener, à Paris.
C’est sous une pluie battante que des salariés de Pizza Hut venus de toute la région et leurs soutiens (parmi lesquels un militant du NPA, un de Stop précarité et une Autrichienne membre de l’IWW – Industrial Workers of The World) ont tenu un piquet de grève devant le magasin de la rue Ordener (18e arrondissement de Paris), dont la devanture a été pour l’occasion recouverte de tracts multicolores. Vers 15 heures, les responsables syndicaux Sud et CFDT sont partis négocier avec la direction, tandis que les responsables de l’enseigne ont finalement décidé de fermer le magasin pour l’après-midi.
En ce mardi, jour traditionnel de promotions sur les pizzas, il s’agit de faire pression sur la direction pour obtenir de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires. Alors que le magasin fait d’ordinaire 4 000 euros de chiffre d’affaires sur une journée comme celle-là, ce mardi, ce chiffre est de seulement 289 euros. Un chiffre à mettre en relation avec les pertes dues aux surplus qui devront être jetés et à l’obligation qu’a l’entreprise de payer ces grévistes1. L’objectif affirmé est bien de frapper la chaîne de restauration rapide au porte-monnaie afin de la pousser vers la table des négociations.
Les grévistes soulignent que leurs conditions de travail sont « parmi les pires du marché du travail ».
Dans des locaux souvent mal entretenus, les standardistes courent entre les appels incessants et les sorties
de four, les « prodeurs » (cuisiniers) travaillent à la chaîne « sous une chaleur harassante et insupportable ».
Les livreurs doivent filer comme le vent quelles que soient les conditions météorologiques pour assurer un bon
service aux clients. Certains se font agresser, d’autres se tuent sur la route. Quand ils ne sont pas assez rapides,
on les oriente vers des tâches plus pénibles comme la plonge. Tous sont payés au Smic, sans primes ni 13e mois
ni mutuelle : une situation unique parmi les employés polyvalents. Enfin, Pizza Hut est aussi connu pour sa tendance
a réprimer les syndicalistes, par exemple en décourageant à coups de pression psychologique ceux de ses salariés
qui souhaitent se syndiquer ou se présenter aux élections professionnelles sur des listes syndicales, notamment à la
CGT – du temps où ce syndicat existait au sein de l’entreprise – et à Sud.
A l’image de leurs collègues de MacDo, KFC ou Quick, les salariés de Pizza Hut ne désespèrent pas d’obtenir une
rémunération en rapport avec leurs dures conditions de travail. Cette grève se veut une grève « d’action » et non
plus « de réaction » : si par le passé les grèves étaient déclenchées pour répondre à une attaque particulière
(par exemple des heures supplémentaires non payées de mai à juillet dernier), cette fois-ci, il s’agit de ne pas
attendre un malheureux événement et de passer à l’offensive en prenant l’initiative : « C’est nous qui posons les
questions », se félicite Hichem Aktouche, délégué syndical Sud Commerce et services, de retour de négociation.
Pourtant, la direction continue de faire la sourde oreille. Ainsi, à la revendication de disposer d’un tabouret par poste
de travail, obligation inscrite dans le Code du travail, l’entreprise, tout en reconnaissant ses torts, se plaint qu’elle
« ne gagne pas assez d’argent » et « est déficitaire depuis qu’elle a été créée ». Autre obligation légale : permettre
aux salariés ayant subi un accident du travail avec arrêt de plus de huit jours de bénéficier d’une visite médicale de
reprise.
Une obligation « trop difficilement conciliable avec l’activité de notre société », affirment les dirigeants.
Les réponses aux autres questions soulevées sont tout aussi ubuesques, raconte Hichem Aktouche : « On ne va
pas payer les salariés parce qu’ils sont à l’heure », aurait ainsi répondu la direction à la demande de prime d’assiduité.
Ou encore, s’agissant d’une prime pour les salariés du mardi, jour particulièrement difficile du fait des promotions,
la réponse aurait fusé, tout en élégance : « Vous ne voulez pas une prime pour aller pisser ? »
Concernant la mise en place du régime de subrogation, Pizza Hut « va voir si vraiment ça ne coûte rien ». Or, cette
revendication est très importante pour les salariés : livrant des pizzas, soumis à la pression du chronomètre, ils ont
très souvent des accidents de travail, « sorte de baptême pour chaque livreur », explique Hichem Aktouche. Quand
c’est le cas, c’est l’assurance maladie qui prend en charge leurs salaires, mais avec des délais d’attente pouvant
aller jusqu’à deux ou trois mois dont pâtissent des salariés qui, travaillant déjà à temps partiels, sont parfois obligés
de s’endetter pour payer leurs loyers. Le régime de subrogation permet au contraire le maintien du salaire par
l’employeur, qui se le fait ensuite rembourser par l’assurance maladie.
A lire : "Génération précaire" d’Abdel Mabrouki, paru en 2004 au Cherche-Midi. Abdel Mabrouki, qui a fondé la
section CGT de Pizza Hut, raconte les conditions de travail inadmissibles, la répression syndicale mais aussi ses
déboires avec la
direction de son syndicat, assez déconnectée du terrain et peu au fait de la réalité professionnelledes précaires de la
pizza.
Ailleurs sur le Net : sur le site d’Alternative libertaire, lire « Table ronde syndicaliste 3/5 : Qu’est-ce que le syndicalisme
interprofessionnel aujourd’hui ? ». Hichem Aktouche y explique les spécificités du combat syndical dans une entreprise
n’employant que des salariés précaires.
1 En effet, une partie des revendications des grévistes concerne leur exigence de voir leur entreprise respecter le code
du travail. L’employeur délinquant étant seul fautif, ceci rend cette grève non seulement légale mais légitime et l’oblige à rémunérer les grévistes.
2 Légalement, les salariés n’ont pas le droit d’empêcher les clients d’entrer. Tout juste peuvent-ils les informer sur les raisons de leur grève et espérer que par solidarité, ceux-ci renonceront à leurs achats.
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