C’est la première décision énergétique importante de la ministre de l’écologie Nicole Bricq : le gel des permis de forage pétrolier au large de la Guyane détenus par le groupe Shell et un consortium où figure Total. Considérant que le permis exclusif de recherche n’apporte pas de « contrepartie suffisante pour l’intérêt national », et que « la prise en compte des problématiques d’environnement n’est pas satisfaisante », le gouvernement veut procéder à « une remise à plat » des permis concernés.
Concrètement, cela signifie que les deux arrêtés préfectoraux qu’attendait Shell pour démarrer ses forages exploratoires ne seront pas délivrés avant la refonte du code minier. Un chantier qui devrait prendre plusieurs mois au minimum. Nathalie Kosciusko-Morizet, alors qu’elle était encore ministre de l’écologie, avait commandé un rapport sur le sujet à l’avocat Arnaud Gossement (à lire ici). Le débat autour de la loi de Christian Jacob interdisant la technique de la fracturation hydraulique avait fait apparaître au grand jour, en 2011, les failles du Code minier, vieux de deux siècles (1810) et accordant une licence quasi totale aux détenteurs de permis. La refonte de ce texte, la création d’obligation de plus de transparence sur l'information, de consultation des riverains et de prise en compte des dommages des forages sur l’environnement font l’objet de demandes répétées des mouvements d’opposants aux gaz et huiles de schiste.
L’annonce de Nicole Bricq constitue donc a priori une avancée environnementale. Or, la lecture du communiqué officiel du ministère révèle une position en réalité bien plus ambiguë. Les réserves pétrolières de Guyane « pourraient permettre d’assurer à la France un approvisionnement important en hydrocarbures, à coût réduit par rapport au prix du marché », peut-on y lire. Ainsi que : « l’exploitation des gisements guyanais contribuera à libérer des marges de manœuvre budgétaires pour le financement de la transition énergétique. » Le futur de l’indicatif employé dans cette seconde phrase est sans appel : le gouvernement entend bien à terme exploiter ce pétrole. Il souhaite juste en profiter davantage financièrement.
Il défend donc ici davantage une stratégie de souveraineté énergétique (le communiqué parle d’ailleurs de « restaurer la souveraineté nationale en matière d’exploitation de ses propres ressources ») que de transition écologique vers les renouvelables et la maîtrise de la demande. Sa décision s’apparente ainsi à une volonté d’appropriation des ressources, qui évoque plus les nationalisations prônées par certains États latino-américains (voir notamment ici) que d’abandon des forages de fossiles. D’ailleurs, dans un autre communiqué conjoint avec le ministère du redressement productif d’Arnaud Montebourg, Nicole Bricq précise qu’en dehors des permis de Guyane, « il n’est pas envisagé de remettre en cause les permis déjà octroyés pour la recherche de pétrole et de gaz conventionnel ».
Comment interpréter cette annonce, où le fond semble presque contredire la forme ? Soit elle obéit à une habile stratégie de communication : rassurer les pétroliers pour éviter de subir les assauts de leur lobbying, et ne pas tenir compte ensuite de cet engagement. Soit elle reflète le rapport de force entre le ministère Montebourg et celui de Bricq, révèlant alors une voie extrêmement étroite de transition énergétique. Car prétendre financer le verdissement de l’économie en augmentant l’exploitation d’énergies fossiles est une contradiction dans les termes. Difficilement compatible, de plus, avec les objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et de protection des océans – sujet de négociation à… Rio+20.
« Je regarde cela de très près, expliquait Nicole Bricq, mercredi 13 juin, lors d’un point presse sur le sommet onusien, peut-être quelques mesures pourraient être prises pour la protection de la faune marine. » Autre élement troublant : la ministre s’est gardée de faire état de sa décision lors de cette conférence de presse, alors qu’elle avait là matière à valoriser sa décision de geler les permis de Guyane.
Curieusement, un communiqué de Frédéric Cuvillier, ministre des transports, témoigne de la même tendance à l’auto-dévalorisation. Annonçant le 5 juin l’abandon du projet de contournement routier de Strasbourg, vieille revendication des écologistes très opposés à ce grand chantier vu comme un accélérateur de trafic automobile, le ministre prend la peine de préciser en toutes lettres : « ce n’est donc pas l’État qui renonce au projet de contournement de Strasbourg, c’est le concessionnaire qui n’a pas répondu à l’offre dans les temps.» Là encore, le gouvernement avait de quoi mettre en avant une décision écologique. Il a préféré ne pas le faire. Reste à comprendre si c’est par peur d'irriter les industriels ou par aveu de faiblesse.
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