Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
Hommages appuyés de tous les administrés à René Goscinny et Albert Uderzo pour les avoir tant fait rire... jaune. Souvenez-vous des Douze Travaux d'Astérix : les Gaulois ont conclu un deal avec César, qui consent à céder son pouvoir au chef Abraracourcix à condition qu'Astérix et Obélix sortent indemnes d'une série d'épreuves herculéennes. Faute de quoi, les Gaulois deviendront esclaves des Romains. A mi-parcours, nos deux héros doivent obtenir le laissez-passer A-38 dans «la maison qui rend fou». S'ensuit une parodie croquignolesque de l'administration, investie par des fonctionnaires frappadingues - un huissier dur de la feuille et grincheux, des agents autistes et méprisants, un préfet désinvolte et incompétent - qui n'ont qu'un but, semer les Gaulois dans un labyrinthe de couloirs, d'escaliers, de guichets, jusqu'à ce que, devenus cinglés, ils renoncent au précieux document. «La potion magique peut pas nous aider ici !» lâchera Obélix, dans un râle d'impuissance. Comme si rien ne pouvait s'opposer à la logique impitoyable d'une administration invincible.
Coïncidence ou pas, le film d'animation sort dans les salles en 1976, trois ans pile après la nomination par le gouvernement de Pierre Messmer du premier médiateur de la République. Sa mission, qui n'a pas varié en trente ans : améliorer les relations des citoyens avec l'administration et tenter de dénouer à l'amiable les litiges qui les y opposent, avant qu'ils ne saisissent les tribunaux. Depuis, la fonction a essaimé dans les ministères, les organismes sociaux, les services publics. A quoi s'est ajouté, en 2011, un défenseur des droits, aujourd'hui incarné par Dominique Baudis (lire l'entretien, p. 60). Bref, des êtres de chair et d'os chargés d'épauler des usagers désemparés face au Moloch de l'administration.
Il n'empêche, les contentieux, de plus en plus complexes, ne cessent de croître. En 2011, le défenseur des droits a reçu 80 000 dossiers (+ 1 % par rapport à 2010), dont 46 631 demandes de réclamations qui émanent dans 98 % des cas de particuliers ; celui de l'énergie, 8 040 (contre 1 358 en 2008), celui de Bercy, 3 410 (+ 3 %). Des chiffres qui ne reflètent qu'une partie de la réalité. Combien d'usagers déboutés par les commissions de recours et autres conciliateurs ont-ils renoncé à la médiation ? Selon la Cour des comptes (1), 50 000 dossiers de contribuables seraient susceptibles d'être examinés par le médiateur du ministère de l'Economie et des Finances, soit quinze fois plus que ce qu'il reçoit ! Combien d'administrés qui continuent à se défendre seuls ou devant les tribunaux ? Combien qui préfèrent renoncer ?
Prenons la Poste. En 2011, son médiateur a enregistré 12 224 demandes d'intervention, soit une baisse de 0,7 %. On dit bravo ! Sauf que... «Les réclamations enregistrées par le service consommateurs ont augmenté de près de 50 % en deux ans pour atteindre 926 000 plaintes en 2011 !» tempête Thomas Barba, ex-syndicaliste CGT puis SUD, auteur du Livre Noir de la Poste (2). En 2012, le chiffre a encore grimpé. Un document confidentiel sur «le suivi des réclamations», que Marianne s'est procuré, révèle que les services du courrier, de Coliposte et de la Banque postale réunis ont été saisis de quelque 170 000 réclamations en moyenne par mois ! Soit plus de 2 millions de doléances sur un an... Que sont devenus les plaignants ? Plus d'un tiers trébuchent sur le numéro ad hoc, le 3631 : 24,4 % abandonnent avant d'avoir tapé 1, 2 ou 3, etc., et 12 % raccrochent après le message de la Banque postale. Adieu, lettres ou colis égarés, bye-bye, litiges...
Fin septembre 2012, la logeuse de Gwenaëlle, une étudiante de 21 ans, s'inquiète de ne pas avoir reçu son chèque de loyer. La jeune femme pense que son courrier a été égaré et se rend au guichet de la Poste de Rennes. Une conseillère lui explique : «Il y a eu quelques changements dans l'administration et certains courriers ont pris du retard.» Soit. Une semaine s'écoule, la lettre ne réapparaît pas. Prudente, Gwenaëlle fait opposition auprès de la Banque postale. Elle remplit le formulaire au guichet, aidée d'un conseiller. Mais, le 8 novembre, un courrier du service clients lui demande de compléter un formulaire en tout point identique au précédent, assorti de la mention : «J'attire votre attention sur le fait qu'à défaut de réception de votre déclaration écrite avant le 20 novembre 2012 votre opposition sera annulée.» Inquiète, elle refait les démarches de A à Z. Las. Quatre jours plus tard, Gwenaëlle reçoit un nouveau courrier... avec le même formulaire à compléter. Ubu, où es-tu ? «J'étais découragée, alors j'ai laissé filer. Heureusement, le chèque n'a pas été débité, mais je ne saurai jamais où il est passé.» Gwenaëlle ignore qu'en quelques années la Poste a supprimé 80 de ses 120 centres de tri. Du coup, les missives font des allers-retours spectaculaires : une lettre postée de Gap à destination de Gap a transité par Marseille, une autre, envoyée de Quimper pour Quimper, est passée par Rennes. Pas étonnant que le courrier disparaisse parfois dans la nature...
La mésaventure postale de Gwenaëlle paraît bien anodine comparée à l'infortune de Mathieu, 30 ans, photographe indépendant : il est apatride social. C'est bien simple, depuis qu'il a débuté, voilà douze ans, il n'a jamais réussi à décrocher un numéro de Sécu ! «J'ai une carte d'identité, je paie mes impôts, mais, pour la Sécu, je n'existe pas. Elle ne sait pas qui je suis», assure-t-il. Ce n'est pas faute d'avoir tenté de sortir de l'anonymat. Des dossiers d'inscription, il en a rempli «tous les six mois». A chaque fois, les mêmes objections : «Soit on me disait que mon dossier était incomplet, soit qu'il n'était jamais arrivé», raconte-t-il. Mathieu persistera trois ans avant de laisser tomber parce que «ça devenait trop prise de tête». Après tout, il est en bonne santé, alors, à quoi bon se rendre malade pour des formalités ! Puis, cette année, il lui vient une idée : si l'assurance maladie ne veut pas de lui, pourquoi ne pas opter pour une mutuelle privée ? Pas de chance, pour souscrire à une mutuelle, il faut avoir... un numéro de Sécu ! Retour à la case départ. «J'ai entrepris de nouvelles démarches et maintenant j'attends, dit-il, impatient. Ce qui m'agace le plus, c'est d'être face à des interlocuteurs qui prétendent que c'est moi qui ai tort et eux qui ont raison !»
Le cas de Mathieu, qui a fait l'autruche sept ans pour ne pas affronter l'adversité, est loin d'être particulier. «Il n'est pas rare de constater le découragement de l'usager dans ses démarches», souligne Dominique Baudis dans son dernier rapport. Et «l'usager» se sent d'autant plus impuissant face à une situation injuste que les recours amiables sont aléatoires.
A la Sécu, «la commission de recours donne rarement tort à l'administration», confie-t-on dans l'entourage du défenseur des droits. A EDF ? «Ce sont des salariés de l'entreprise qui reprennent le dossier. Ils ne vont pas mettre en cause leurs collègues», fait remarquer Denis Merville, le médiateur de l'énergie. Que faire, alors ? Saisir un juge ? Là encore, ce n'est pas gagné. Selon l'Aadecaa, une association de défense contre les abus de l'administration sise à Perpignan, les tribunaux seraient plus cléments avec les agents qu'avec les usagers. «En gros, quand on perd contre une administration ou une collectivité locale, on se prend 1 000 où 2 000 €. Mais, quand on gagne, on récupère péniblement 35 €», assure Michel Davin, juriste et membre fondateur de l'Aadecaa. En ce qui concerne le fisc, la réponse de la Cour des comptes est même rédhibitoire : «La décision du juge va dans le sens de l'administration dans 90 % des cas.»
Même si on gagne devant un juge, on est toujours perdant», insiste un avocat spécialisé en droit fiscal qui préfère garder l'anonymat. Exemple : M. Dupont a un litige avec le Trésor public portant sur la somme de 10 000 €. Il a déboursé 3 000 € pour se faire défendre et, à l'issue de la procédure, le tribunal lui donne raison. «Or le juge n'est pas obligé de rembourser ses frais d'avocat, explique le juriste. Certes, la dette de l'administré a été annulée. Mais il aura payé pour qu'elle le soit !» Autrement dit, pour obtenir la reconnaissance d'un droit, il faut mettre de sa poche, et la somme est parfois dissuasive.
Conclusion de l'avocat : «Si vous devez 15 000 € aux impôts, que ça vous coûte déjà 5 000 à 6 000 € pour vous défendre, et qu'en plus vous n'êtes pas sûr de gagner, je dis : payez ! Votre problème sera réglé. A moins de mettre un point d'honneur à faire reconnaître ses droits.»
Voilà un conseil qui a le mérite de la franchise ! Pour dissuader les usagers de se défendre, l'Etat et les organismes sociaux utilisent des moyens plus insidieux. Ils omettent d'informer, ou agitent le chiffon rouge de l'amende en cas de procédure abusive. Aujourd'hui encore, la possibilité de saisir le médiateur de Bercy, en fonction depuis bientôt neuf ans, n'est toujours pas mentionnée sur les documents que le fisc adresse aux contribuables. «L'administration fait peur, insiste Hervé Rose, chef du pôle protection sociale et solidarité auprès du défenseur des droits. Par exemple, lorsqu'un usager saisit le tribunal des affaires de Sécurité sociale (Tass), on lui dit noir sur blanc : attention, le juge peut se retourner contre vous en cas de recours dilatoire. Forcément, ça freine les ardeurs.» En revanche, on lui précise rarement qu'un recours devant le Tass est gratuit, qu'une simple réclamation devant le greffe suffit, et qu'il n'est pas obligé de prendre un avocat pour se défendre.
A la décharge de l'administration, les entreprises privées ne font pas mieux. Selon une enquête du Credoc de septembre 2011 sur «les recours effectifs des consommateurs en France» plus de 40 % d'entre eux disent avoir fait une réclamation pour un service ou un produit acheté au cours des douze derniers mois. Surtout, 69 % des sondés, bien qu'insatisfaits de la réponse apportée, renoncent à donner suite. «Il y a une forme d'impuissance qui conduit au renoncement», analyse Cédric Musso, directeur des relations institutionnelles de l'UFC-Que choisir. Impuissance, parce que la plupart des réclamations portent sur de faibles sommes - d'un à quelques dizaines d'euros. Or, toute personne qui saisit la justice doit d'abord s'acquitter d'une contribution de 35 €. En outre, le recours collectif, l'équivalent des class actions américaines, qui permettrait aux citoyens de regrouper leurs plaintes, n'existe pas en France. Un projet de loi en ce sens doit être déposé au printemps, mais, en attendant... «Les entreprises qui violent la loi en tirent bénéfice», dénonce Cédric Musso. En 2005, Orange, SFR et Bouygues ont été condamnés à verser 534 millions d'euros pour s'être entendus sur le marché de la téléphonie. «Mais nous avions estimé le bénéfice frauduleux à 1,2 milliard d'euros (20 millions d'abonnés victimes, avec un préjudice moyen de 60 € ).»
A croire que les entreprises privées ont fini par calquer leur fonctionnement sur celui des administrations. Même lenteur, même complexité des réglementations, parfois inintelligibles. Mêmes modes d'organisation kafkaïens : l'usager d'un service public, comme le client d'un opérateur privé, devra s'armer de courage pour forcer le premier barrage, la plate-forme téléphonique, version contemporaine et maudite de l'huissier sourdingue qui tient l'accueil de «la maison qui rend fou». Tapez 1, puis 2, puis dièse pour revenir au menu, ou hurlez dans le combiné «Réclamation !» avant d'espérer entendre le son d'une voix humaine...
«Le problème vient de la taille des organismes. Plus c'est gros, plus c'est lourd. Auparavant, lorsqu'un habitant avait un problème avec EDF, il s'adressait au maire, qui réglait le problème en direct», insiste Denis Merville, le médiateur de l'énergie, lui-même édile de Sainneville, une bourgade de 800 âmes en Seine-Maritime. «Il y a eu des effets de mode», analyse de son côté Hervé Rose. Dans les années 90, les pouvoirs publics ont copieusement plagié le privé, supposé incarner l'étendard de la modernité, pour réformer les organismes sociaux, avant de s'attaquer plus récemment à l'administration. A la Sécu apparaît alors un vocabulaire qui «chatouille la grammaire mentale du fonctionnaire», s'amuse-t-il. On parle de relation client-fournisseurs, de contrôle de gestion, de normes ISO, de certification. Vouloir appliquer ces modèles aux prestations sociales tient de la gageure. Surtout lorsqu'on sait qu'à la Caisse d'allocation familiale (CAF) il existe 17 000 dispositions législatives, réglementaires et administratives ! «Un allocataire et un filet de saumon, ce n'est tout de même pas la même chose, tranche Hervé Rose. Or on a mis une distance entre l'humain administratif et l'humain concret. L'usager est perdu : sa situation est polymorphe et il est face à un mur d'incompréhension.»
Dans les CAF, les techniciens nez sur l'ordinateur se réfèrent à une base de données où la réglementation a été prédigérée, et qui leur indique quoi faire. Dans 98 % des cas, ça marche. Remarquablement bien, même. Mais, lorsque l'individu n'entre pas dans les cases, que son cas est particulier ou qu'il recèle une anomalie, ça casse. Mathieu, l'inconnu de la Sécu, en sait quelque chose. «On est entré dans une logique de production pure, poursuit Hervé Rose. Du coup, c'est devenu plus compliqué de remettre en œuvre un droit qu'on a refusé et plus simple d'éjecter quelqu'un d'un droit. Les fonctionnaires ne vont plus à la pêche aux droits parce qu'ils n'ont pas le temps ; les cas compliqués, on les glisse sous la pile...»
Par prudence ou/et pour ne pas se faire taper sur les doigts par le chef, les fonctionnaires - sous pression et soumis à des impératifs budgétaires - se bordent donc au carré. L'administration fiscale doit faire du chiffre, les organismes sociaux, dépenser moins. Comme le soulignait déjà Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République jusqu'en 2011, l'agent privilégie la traque aux fraudes, refuse a priori, contrôle a posteriori, impose la multiplication de documents pour «protéger sa responsabilité et son confort au détriment des droits des citoyens». Quitte à défier le bon sens. Dans son livre Faibles et puissants face à l'impôt (3), le sociologue Alexis Spire relate cet échange édifiant avec une agente des impôts de Seine-Saint-Denis qui, lorsqu'elle saisit les déclarations, «oublie délibérément de préciser le nombre d'heures travaillées, de façon que la personne demandant la prime pour l'emploi ne puisse en bénéficier automatiquement et soit obligée de produire des justificatifs». Indécence d'un système qui se préoccupe plus de ses indicateurs que des individus...
Jusqu'à une date récente, EDF faisait des économies de gestion à la petite semaine : lorsque le trop-perçu était inférieur à 15 €, elle ne remboursait l'abonné que s'il le réclamait. Pas très élégant. EDF s'est fait taper sur les doigts, mais, à la CAF, on persiste. L'allocation logement n'est toujours pas octroyée lorsque son montant est en deçà de 15 €€par mois. L'allocataire y a théoriquement droit, mais, même s'il la réclame, on ne la lui donnera pas ! Kafka, es-tu là ? «La loi dit que nous n'avons pas à la lui verser», précise Eric Cyprien, directeur adjoint de la CAF de Paris, qui suppose que cette décision a été prise pour réduire les coûts.
Comble du comble, l'administration applique aujourd'hui des textes qui conduisent tout droit les usagers dans des impasses éprouvantes. «Je sors de deux ans de PV», souffle Joël Luchetta comme s'il avait purgé une peine de prison. En 2011, ce Toulousain reçoit un premier PV dûment majoré, pour une infraction commise à Paris avec un véhicule dont il n'est plus propriétaire. Il conteste par lettres recommandées, porte plainte. Le PV à peine annulé, il est aussitôt réémis avec une majoration. Fin 2012, Joël Luchetta reçoit une lettre d'huissier, puis, une semaine plus tard, sa banque l'informe que son compte a été saisi de 75 €, le montant de l'amende. Paniqué, il prend langue avec Daniel Merlet, le président l'Association nationale de défense des victimes d'injustice (Andevi), un spécialiste hors pair du PV abusif : en vingt-quatre heures, son affaire est réglée et la saisie sur son compte, annulée. En vérité, Joël Luchetta a été l'une des dernières victimes d'une loi imparfaite, qui, bien que rectifiée à la fin 2011, a encore des ratés (lire, p. 66). En gros, tant que l'acquéreur d'un véhicule d'occasion n'avait pas déclaré son achat à la préfecture, le vendeur restait titulaire de la plaque d'immatriculation : quand le nouveau propriétaire commettait une infraction, c'est l'ancien qui prenait la prune !
Parfois, l'Etat, en revenant délibérément sur ses propres décisions, est directement à l'origine de situations aussi ubuesques qu'injustes. La cacophonie qui a entouré l'attribution puis la suppression de niches fiscales destinées à doper le développement des énergies renouvelables est un cas d'école. En 2003, le gouvernement met le paquet sur les défiscalisations de panneaux photovoltaïques pour attirer le contribuable vers les énergies renouvelables. Exemple : votre impôt sur le revenu s'élève à 10 000 €, mais, si vous investissez 8 000 € dans une société de production d'électricité solaire, vous paierez zéro... Tentant ! A tel point que personne ne s'attendait à un tel engouement. Si bien que Bercy finit par mettre le holà. Pour dissuader les candidats qu'on a tout fait pour appâter, le prix de revente de l'énergie à EDF est d'abord revu à la baisse. Puis la niche est rabotée avant d'être supprimée, en 2011. Les milliers de contribuables qui ont investi se prennent une sévère douche froide. Les installations qu'ils ont financées n'ayant pas été raccordées à temps au réseau EDF, ils n'ont plus le droit à la défiscalisation. «Non seulement ils ont dépensé de l'argent pour investir dans le photovoltaïque, mais en plus on leur réclame le paiement de l'impôt. Quinze mille personnes sont dans cette situation, et le redressement fiscal s'élève au total à 1,3 milliard d'euros !» s'insurge Me Frédéric Naïm, qui défend 350 plaignants. «On a utilisé les contribuables en leur faisant une promesse non tenue. L'injustice de la part de l'Etat est réelle !» plaide l'avocat, qui prévoit maintenant trois ans de procédure, au bas mot, sans certitude d'obtenir gain de cause... A suivre.
Autre ovni administratif, dans un registre différent : le régime social des indépendants (RSI), né en 2006 de la fusion des caisses de retraite et d'assurance maladie des artisans, commerçants et indépendants. «Le RSI est un polytraumatisé. Ça relève de l'hôpital», lance Louis Trujillo, délégué au défenseur des droits à Versailles. Ancien contrôleur fiscal à la retraite, Louis Trujillo reçoit bénévolement chaque mercredi des administrés dans un petit bureau blanc, et passe près de la moitié son temps à régler les couacs liés au RSI. Ce matin-là, il a encore rassuré un vieil homme à qui le régime réclame depuis 2008 des cotisations dont les montants varient entre 2 000 et 4 000 €. «Le gars, il s'est adressé pendant quatre ans au RSI sans obtenir de réponse et il se dit : qu'est-ce que j'ai pu bien faire ?» Quel gâchis ! Surtout lorsqu'on sait que ce fameux RSI devait faciliter la vie de quelque 6 millions d'assurés ! A l'arrivée, ce «machin» équipé d'un système informatique bâti à la hâte et qui bogue à répétition est une usine à gaz : appels de cotisations baroques, radiations arbitraires, défauts de remboursement... Aux dernières nouvelles, le RSI ne devrait pourtant pas être remis d'équerre avant 2016. C'est dire si Louis Trujillo a encore du pain sur la planche «On passe son temps à dire qu'il faut simplifier, informatiser, moderniser, fusionner, dit-il. Mais, à partir d'une certaine masse, le haut de l'organisme perd le contrôle du bas».
Paradoxalement, si les normes et les procédures de l'entreprise privée se sont imposées aux administrations, les textes restent sujets à interprétation. Entre le fonctionnaire et l'usager, les divergences d'appréciation ne sont pas rares. A chacun sa vérité ! Sauf que la vérité du pot de fer s'impose en général au pot de terre. Face à l'agent qui incarne la loi et l'autorité, les administrés se sentent désarmés, insécurisés. Le trouble s'est accentué ces dernières années. En cause, la crise et son corollaire, un Etat - providence qui protège de moins en moins, mais aussi l'inflation de textes, décrets, circulaires qui se télescopent, se contredisent, voire s'annulent et provoquent des crispations des deux côtés.
«Lorsqu'on commence à se confronter à l'administration, on ne sait pas où on va», confirme Laurent, 30 ans, qui palabre avec les impôts depuis près de deux ans. En 2011, sa boîte fait l'objet d'un contrôle fiscal sur les trois années précédentes. Le jeune entrepreneur est un agent qui met en relation des clients avec des prestataires, et touche des commissions en contrepartie du service rendu. Le contrôleur admet que Laurent est réglo, même s'il a un peu tardé à faire signer quelques contrats. «Il reconnaît ma bonne foi, mais me dit : vous devez quand même payer !» Et la note est salée : 25 000 €. A quoi correspond ce redressement ? Mystère. Pour une raison qu'il ignore, l'administration a requalifié son activité d'intermédiaire «transparent» en intermédiaire «opaque», ce qui qui modifie totalement sa base d'imposition. Laurent conteste, prend un avocat. «Quand ils ont vu que je pouvais gagner, ils m'ont fait une proposition à 10 000 e et on est en train de négocier. Mais ça fait mal au cœur ! Quand un chef de brigade missionne ses contrôleurs, ils n'ont pas intérêt à revenir les mains vides. Mais ce n'est rien d'autre que du racket !»
Laissons la morale de l'histoire - il en faut une - à Hervé Rose. De ses années de médiation auprès du défenseur des droits, il a acquis au moins une certitude : «On ne gagne pas face à l'administration. On gagne avec elle.» A méditer. P. Ch.
(1) «Les relations de l'administration fiscale avec les particuliers et les entreprises», février 2012.
(2) Ed. Jean-Claude Gawsewitch, 2013, 17,90 €.
(3) Ed. Raison d'agir, 2012, 8,10 €.