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15 septembre 2012 6 15 /09 /septembre /2012 15:11

 

 

LE MONDE | 15.09.2012 à 14h12 • Mis à jour le 15.09.2012 à 14h12

Par Mark Greif

 

Zuccotti Park, à New York, premier lieu public investi par le mouvement d'opposition au capitalisme financier Occupy Wall Street le 17 septembre 2011, se trouve à deux pas de Ground Zero (le site des attentats du 11 septembre). A mon sens, les médias n'ont pas assez souligné la dimension symbolique de cet emplacement.

Le 11 septembre 2011, six jours avant le début du mouvement, était inauguré en grande pompe le mémorial aux victimes des attaques d'Al-Qaida aux Etats-Unis. Le dixième anniversaire de cette tragédie a fait l'objet d'une cérémonie froide, onéreuse et sans âme, à l'image de l'affreuse tour centrale, la Freedom Tower, toujours en construction, venue combler l'espace où s'élevait auparavant le World Trade Center. D'un charnier, il aura fallu que l'on fasse des bureaux pour servir le pouvoir économique new-yorkais.

Quelques jours plus tard, les citoyens affluaient en masse vers le Financial District, non pour donner une conférence de presse, non pour participer à une manifestation ponctuelle, mais pour occuper le terrain jusqu'à ce que l'on remarque leur présence, jusqu'à ce que l'on reconnaisse leur rôle d'acteurs politiques. Le peuple a fait irruption dans ce que l'on appelle la "société managériale" ou "postdémocratie".

Le véritable monument à la mémoire de nos compatriotes, c'était l'exercice de notre liberté d'expression et de réunion, des droits que la Constitution américaine garantit à tout citoyen et sur lesquels repose la démocratie.

Une ère de dix ans venait de se terminer. Une décade marquée par la "guerre contre la terreur", engagée en réaction aux attaques du 11 septembre, et par l'autocensure, le repli sur soi, le deuil, et qui a culminé dans l'humiliation de la crise financière. La date du 17 septembre n'était pas un choix anodin : c'est la Journée de la Constitution et de la citoyenneté, qui commémore l'adoption de ce texte fondateur en 1787 et rend hommage aux immigrés récemment naturalisés.

La contestation menée par Occupy Wall Street visait avant tout à dénoncer les dérives de la démocratie américaine, qui laisse la richesse aux mains d'une petite élite, au détriment du peuple. Dans les années 2007-2008, en pleine crise financière, l'Etat a largement renfloué les banques mais n'a rien fait pour venir en aide aux Américains surendettés. L'arrêt Citizens United rendu en 2010 par la Cour suprême a étendu la liberté d'expression aux personnes morales, autorisant ainsi les entreprises à financer sans limites les campagnes électorales.

En 1776 déjà, les artisans de la révolution américaine parlaient des "many " et des "few" : ils voulaient une démocratie qui parle au nom de tous, pas seulement de quelques riches et puissants. A propos des inégalités criantes qui se sont installées depuis 1980, les militants d'Occupy ont parlé du "1 %" de la population le plus riche, en opposition aux "99 %". A ses débuts, ce nouveau mouvement a bénéficié d'un très large soutien.

J'ai la chance d'avoir été parmi les premiers à occuper Zuccotti Park. Assis en cercle, camarades et inconnus échangeaient des idées susceptibles de rénover la démocratie. J'étais un protestataire ordinaire, pas un leader. Contrairement à certains manifestants, je ne dormais pas sur place. Je me suis contenté de revenir à Zuccotti Park plusieurs fois dans la semaine.

Malgré la présence massive des forces de police et des équipes de télévision, le campement s'est organisé sur le modèle d'une cité véritablement démocratique, dotée de conseils municipaux, d'un service de communication, d'une bibliothèque, d'une pizzeria où l'on pouvait manger gratuitement et de dortoirs. Au-delà d'une manifestation éphémère, il s'agissait de vivre l'expérience démocratique au quotidien.

Quel était le sens de tout cela ? Les revendications politiques étaient claires : il suffisait de lire les banderoles ou de prendre part aux discussions. Les militants ont pourtant choisi d'appliquer une stratégie déconcertante. Aux journalistes qui venaient leur demander ce qu'ils faisaient là, quelles étaient leurs revendications, ils ont répondu : "Vous êtes citoyens, vous aussi. A votre avis, que devrions-nous exiger ?"

Cela n'est pas sans rappeler une anecdote mettant en scène le philosophe Henry David Thoreau, qui s'est un jour trouvé emprisonné pour avoir refusé de payer des impôts levés pour financer l'invasion du Mexique et la restitution des esclaves fugitifs à leurs maîtres. A son ami et mentor Ralph Waldo Emerson qui lui demandait : "Henry, pourquoi êtes-vous en prison ?", il répondit : "La vraie question, monsieur, c'est pourquoi ne l'êtes-vous pas ?"

Pour revenir à Zuccotti Park, les campements ont bientôt été débordés par les problèmes pratiques auxquels notre riche démocratie nationale refuse de faire face. Au fil des semaines, ceux qui ralliaient ces petites villes étaient les sans-abri, les pauvres, les plus vulnérables, ceux que nous laissons à la rue.

Les campements d'Occupy se sont transformés en centres d'action sociale. Les tracts n'avaient plus vocation à diffuser des messages politiques, mais à recruter des travailleurs sociaux, des psychologues, des aides-soignants et des médecins, des bénévoles capables d'effectuer des démarches administratives, afin de venir en aide à tous ceux qui étaient trop démunis pour formuler des revendications citoyennes.

Ce phénomène a plutôt desservi la réputation du mouvement auprès du grand public. Ce visage-là du peuple, personne n'a envie de le voir. Les municipalités ont fini par démanteler les campements, disperser les résidents, qualifiés de "menaces sanitaires", et, même, jeter aux ordures les 5 000 volumes de la bibliothèque créée par les manifestants à New York. Des employés de la voirie ont nettoyé les trottoirs, et des barrières ont été érigées pour empêcher toute nouvelle occupation.

Un an après, on peut considérer qu'Occupy a échoué dans la plupart de ses objectifs. Le projet qui consistait à amender la Constitution pour renverser la décision Citizens United n'a rien donné. Il a été question de lutter contre le financement privé des partis politiques, mais, aujourd'hui, à l'approche de l'élection présidentielle aux Etats-Unis, les citoyens américains sont aujourd'hui matraqués de spots publicitaires financés par des intérêts privés.

Après avoir arrosé le président Barack Obama en 2008, Wall Street finance maintenant son rival républicain Mitt Romney. Les efforts déployés par les militants pour faire savoir aux banques et à la Bourse qu'ils étaient à leurs portes auront été vains : ces institutions sont si bien fortifiées qu'elles résistent à l'assaut.

Le mouvement Occupy a tout de même remporté une victoire significative. Les inégalités, jusqu'alors tabou, sont désormais un vrai sujet de débat. Répudié par Wall Street, Barack Obama a dû se rendre à la réalité : son électorat, c'est le peuple.

En ce moment même, des technocrates s'occupent de mettre en oeuvre la loi Dodd-Frank, qui prévoit de renforcer le contrôle des autorités sur le système financier. Des fonctionnaires engoncés dans leur costume-cravate tergiversent sur les mesures de protection des consommateurs, qui obligeraient les banques à s'acquitter de dédommagements pour malversations financières, saisies immobilières illégales et préjudice à leurs clients.

Ces petites décisions conventionnelles renvoient à des idées reçues sur "ce que veulent les citoyens". Occupy a profondément modifié ces idées reçues, comme en témoignent les dispositions réglementaires et les rapports de surveillance émis par les instances les plus conservatrices.

Dans une nation fondamentalement dualiste, où la politique se réduit à deux partis et où la justice n'entend que l'accusation et la défense, Occupy Wall Street a su faire contrepoids au mouvement ultraconservateur Tea Party (bien qu'il refuse toute comparaison avec ce courant idéologique). Ces deux mouvements témoignent de la diversité des revendications populaires. Nous avons montré que nous voulions davantage que ce qui a été envisagé ou était envisageable il y a un an.

Les politiques les plus frileuses - celles qui se sont exprimées dans la campagne de la présidentielle ou les réformes frileuses de la réglementation bancaire - ont été secouées et revigorées quand le peuple a choisi de prendre les choses en main en lançant : "A nous deux, maintenant, Wall Street !" Cette confrontation n'a hélas rien donné. Mais tous ceux qui en ont été témoins savent désormais de quoi la démocratie est capable.

Traduit de l'anglais par Myriam Dennehy

Mark Greif

Mark Greif

 

Professeur assistant à la New School University, à New York, il est l'un des cofondateurs de la revue littéraire "n + 1". Il est aussi l'auteur d'essais philosophiques et de critique sociale. En 2011, il a collaboré à la publication d'"Occupy ! Gazette", un quotidien gratuit de débats créé pour soutenir le mouvement de contestation. Certains textes ont été rassemblés dans "Occupy Wall Street !" (Les Arènes, 250 p., 17,50 €)

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