Source : www.mediapart.fr
Vendredi, Barack Obama prononçait un discours très attendu sur la réforme de la National Security Agency, dont les programmes de surveillance tentaculaire ont été révélés par Edward Snowden. Les réformes annoncées sont minimes et ne satisfont pas élus, associations et entreprises.
« Nous n’allons pas nous excuser simplement parce que nos services de renseignement sont plus efficaces (que ceux d’autres pays) », a glissé Barack Obama, l’air légèrement offusqué, au beau milieu de son discours sur la réforme de la NSA, hier. Cette étonnante remarque résume bien le ton de son intervention. Non, le président ne compte pas revoir en profondeur les pratiques de l’agence de sécurité américaine, pourtant débattues et critiquées aux États-Unis et à travers le monde depuis les premières révélations d’Edward Snowden, en juin dernier. Il est au contraire fier de ses prouesses technologiques.
S’il reconnaît le besoin d’instaurer des garde-fous pour mieux encadrer les programmes de surveillance de la NSA, il estime que la sécurité nationale reste prioritaire et qu’Edward Snowden l’a mise en danger. Tout en insistant sur l’importance des libertés individuelles, Barack Obama a répété à plusieurs reprises que le terrorisme était une menace réelle. Il a mentionné huit fois les attaques du 11 septembre 2001.
Et si la NSA collecte des quantités faramineuses de données (tel un véritable « aspirateur à renseignements », comme nous l’avons expliqué ici), il s’est voulu rassurant tant auprès des Américains que des étrangers en expliquant qu’elles n’étaient utilisées que si elles étaient jugées utiles dans le cadre d’une affaire mettant en jeu la sécurité nationale.

« À travers le monde, quelle que soit leur nationalité, les gens doivent savoir que les États-Unis ne surveillent pas les citoyens ordinaires qui ne menacent pas notre sécurité nationale, et que l’on prend en compte leurs inquiétudes quant à la protection de leur vie privée », a-t-il déclaré. Il a ajouté qu’il mettrait fin à l’espionnage de chefs d’État de pays alliés, sans préciser lesquels...
Il a ainsi évoqué la protection de la vie privée des étrangers, une première depuis le début de cette affaire en juin dernier ; le débat américain se limitant souvent aux droits des Américains. Ce détail a donc son importance, notent les experts en surveillance de la Brookings Institution, un grand think tank de Washington, réunis après le discours, hier (à retrouver ici). Personne n’arrive cependant à comprendre ce que cela signifie concrètement, et de quels recours légaux disposent éventuellement les étrangers face à la NSA.
Au bout du compte, les mesures concrètes annoncées hier par Barack Obama sont peu nombreuses. La réforme de la NSA s’annonce minime. Il n’a pas beaucoup tenu compte des recommandations faites par le panel qu’il avait lui-même convoqué pour étudier le sujet (dont nous parlions ici). Barack Obama s’est surtout focalisé sur le programme de la NSA consistant à collecter les métadonnées de millions de clients d’opérateurs téléphoniques américains, permettant de connaître le lieu, la date et la durée de leurs appels.
Il n’a pas proposé de réduire la taille de ce programme, mais seulement de limiter l’utilisation des données. Les agents de la NSA devront par exemple obtenir l’aval d’un tribunal à chaque fois qu’ils veulent piocher dans ce stock de données. Ils devront passer par la cour FISC, une cour de justice déjà centrale dans le système de surveillance de la NSA. Elle est composée de juges fédéraux qui délibèrent en secret et signent des décrets autorisant la plupart des missions de surveillance de la NSA (le fonctionnement secret de cette cour fait l’objet de vives critiques, comme nous allons le voir). Il souhaite également que ces données ne soient plus conservées par la NSA, mais par une entité indépendante, dont la forme reste encore à déterminer. Le président a dit se donner jusqu’à fin mars pour y réfléchir.
Dans l’ensemble, ce corpus de mesures ne satisfait pas grand-monde aux États-Unis. Les médias s’étonnent que le président se focalise autant sur un seul type d’activité de la NSA, le programme concernant les opérateurs téléphoniques, quand tant d’autres ont été dévoilés. « Il prétend que ce programme est celui qui dérange le plus les Américains », notent les journalistes du site The Verge. « Mais c’est faux ! On dirait que cela permet seulement de réduire le débat », poursuivent-ils (leur émission est ici).
Se prononçant pour plus de transparence, Barack Obama a ensuite proposé que les arrêts de cette fameuse cour secrète FISC soient déclassifiés plus régulièrement. Il a encore annoncé la création d’un poste de diplomate au sein du secrétariat d’État (l’équivalent de notre Quai d’Orsay), qui serait spécialisé dans les questions de renseignement.
Des propositions de réforme au Congrès ?
Les nombreuses associations de défense des droits civiques, de protection de la vie privée, que ce soit l’ACLU, l’Electronic Frontier Foundation ou encore le Center for National Security Studies n'ont pas été avares de critiques. Elles estiment que ces réformes ne changent rien au problème de fond : ce gigantesque édifice de surveillance bafoue les droits des Américains, notamment le quatrième amendement de la constitution censé protéger les citoyens contre les fouilles et perquisitions abusives.
Elles déplorent le manque de courage du président, qui pourrait, s’il le souhaitait, réformer en signant de nombreux décrets présidentiels. Comme il l’a indiqué pendant son discours, hier, celui-ci préfère que le Congrès se charge de débattre et de voter de plus amples réformes. Une manière d’enterrer le sujet selon les plus sceptiques, puisque le Congrès est actuellement si divisé qu’il est très difficile d’y obtenir assez de votes pour passer des textes de lois ambitieux...
Il se pourrait cependant que le Congrès surprenne et initie des réformes, notamment car la question de la surveillance brouille les divisions habituelles entre les partis. Au cours des derniers mois, plusieurs textes de lois ont en effet vu le jour, proposés à la fois par des élus démocrates et républicains. Si aucun n’a encore été soumis au vote du Congrès – il faut d’abord qu’ils soient étudiés par les commissions des affaires juridiques de la Chambre et du Sénat –, ils permettent de mesurer l’ampleur du débat provoqué à Washington par les révélations d’Edward Snowden.
Citons la proposition du sénateur démocrate de l’Oregon Ron Wyden, qui vise à faire cesser la collecte des relevés téléphoniques, à limiter l’usage du programme PRISM permettant la collecte des emails, ou encore à réformer la cour secrète FISC pour qu’elle fonctionne de manière moins obscure. Plus ambitieuse, la proposition de Rush Holt, élu démocrate du New Jersey à la Chambre des représentants, qui voudrait que le Patriot Act soit tout bonnement abrogé. Cela remettrait en cause plusieurs programmes de la NSA trouvant leur base légale dans ce texte voté au lendemain du 11-Septembre.
La plus populaire est la proposition de l’élu républicain à la Chambre Jim Sensenbrenner, du Wisconsin, qui n’est autre que l’un des concepteurs du Patriot Act ! Depuis plusieurs mois, celui-ci ne cache pas sa colère face à l’ampleur de la surveillance révélée par Edward Snowden. Il estime que le Patriot Act ne devait absolument pas être interprété de cette manière. Jim Sensenbrenner a donc introduit un texte nommé le USA Freedom Act. Il vise lui aussi à freiner la collecte de données par la NSA, à rendre le travail de la cour FISC plus transparent, à y nommer un observateur indépendant. Il doit aussi permettre aux entreprises du Web de mieux communiquer avec le public quant aux ordres qu’elles reçoivent de la NSA et les informations qu’elles lui transmettent.
Ce texte recueille le soutien de nombreuses entreprises, d’associations, de lobbies et d’élus, tant démocrates que républicains. Le USA Freedom Act est notamment soutenu par les entreprises du Web, tant des géants comme Yahoo!, Google, AOL ou Facebook, que des PME. Leur argument ? Les révélations en cascade sur la surveillance tentaculaire de la NSA ont des conséquences économiques néfastes pour les entreprises américaines.
« Nous sommes avant tout choqués par l’ampleur de la surveillance de la NSA car elle pose de graves questions quant à la protection de la vie privée des citoyens. Mais cet argument n’a pas l’air d’avoir beaucoup de poids… Nous passons donc à un autre argument : le risque économique. Les entreprises high-tech américaines sont en train de perdre leur crédibilité, et donc des clients à l’international », nous explique au téléphone Brough Turner, fondateur de plusieurs start-up, qui s’est associé à d’autres entreprises du Web venues faire du lobbying à Washington en début de semaine, afin de convaincre des élus de soutenir le USA Freedom Act.
« Certains y réfléchissent, d’autres y sont opposés, estimant que la NSA dans sa forme actuelle est essentielle à la sécurité du pays », note-t-il. Il juge le USA Freedom Act insuffisant, mais il ajoute : « Plus personne ne fait confiance à Barack Obama pour changer quoi que ce soit. Il faut donc des initiatives de ce type au Congrès. Il faut aussi des actions en justice, pour juger de la constitutionnalité de ces programmes. » Il reste optimiste et pense que les révélations d’Edward Snowden, distillées au compte-gouttes, « maintiennent le débat vivant, il est impossible d’enterrer le sujet ».
D’autres estiment tout de même que l’accumulation d’informations et de détails techniques rend ce débat sur la surveillance de plus en plus compliqué voire confus. Peter W. Singer, spécialiste des questions de cybersécurité et auteur de l’ouvrage Cybersecurity and cyberwar, what everyone needs to know, a récemment fait une distinction utile entre les différentes catégories de surveillance auxquelles s’adonne la NSA, lors d’une conférence à la Brookings Institution, début janvier.
La première est constituée, selon lui, « d’actes d’espionnages intelligents à l’encontre d’ennemis des États-Unis » ; la deuxième, de missions de surveillance « douteuses et floues d’un point de vue légal », et la troisième, « d’actes non stratégiques et tout simplement stupides ». Il notait que le débat aux États-Unis avait tendance à se focaliser sur la deuxième catégorie et sur les détails juridiques. Au risque de ne pas assez interroger le sens, le coût et les conséquences néfastes sur les relations internationales d’un tel édifice. Le discours de Barack Obama n’échappe pas à cette critique.
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