Opération transparence après l'affaire Cahuzac. Lundi soir, les patrimoines des ministres ont été publiés sur le site du gouvernement. Pour la première fois, ceux qui nous dirigent dévoilent leurs propriétés, leurs comptes en banque, leurs œuvres d'art. Bientôt, ce sera au tour des parlementaires.
Résultat des courses : huit ministres sur 38 ont un patrimoine net supérieur à 1 million d'euros. Marisol Touraine, Laurent Fabius et Michèle Delaunay sont redevables de l'impôt sur la fortune (ISF). Beaucoup de ministres, sans être richissimes, affichent un patrimoine considérable.
Tous ne sont pourtant pas logés à la même enseigne. Les ministres les plus jeunes (Najat Vallaud-Belkacem, Cécile Duflot, etc.) affichent des patrimoines plus faibles. Et certaines déclarations ne laissent pas d'étonner : Manuel Valls, le locataire de la place Beauvau, possède bien quelques biens mais ses comptes en banque ressemblent furieusement à ceux d'un smicard.
De quoi redonner confiance en la politique ? Des politistes interrogés lundi par Mediapart en doutent fort. « Avec la publication des patrimoines, on est dans une réaction court-termiste à l'affaire Cahuzac, analyse le sociologue Éric Keslassy. Cela ne va pas forcément dans le mauvais sens. Mais François Hollande est pour l'instant dans le symbole tant que ces déclarations ne seront pas assorties d'un vrai contrôle. »
De fait, l'opération vérité n'est pas vraiment complète. « C'est un peu la politique au pays de Dame Tartine, avec les maisons en pain d'épice et les fontaines en limonade, s'amuse le politiste Luc Rouban. On devrait déjà s'assurer de la sincérité de ces déclarations de patrimoines. Car il y a mille et une façons de contourner les règles. Une vraie transparence passerait par des enquêtes élargies sur la famille : vous pouvez très bien mettre un pactole au nom de votre épouse ou créer une société de consultants gérée par un proche. »
A priori, une haute autorité devrait être chargée par la future loi (examinée en conseil des ministres le 24 avril) d'enquêter sur le patrimoine des hommes politiques et de traquer les fausses déclarations. Mais elle n'ira pas enquêter sur les proches. Et encore faut-il qu'elle soit dotée de véritables pouvoirs et moyens.
Reste une réalité qui saute aux yeux : le décalage de niveau de vie entre la majorité des citoyens et ceux qui nous gouvernent. Selon Le Monde, le patrimoine des ministres est de 913 549 euros en moyenne. C'est quasiment le niveau de patrimoine des 10 % de Français les plus riches, quatre fois plus que le patrimoine net moyen des ménages d'après l'Insee. Une réalité marquante, surtout pour un gouvernement de gauche. Mais qui n'est pas pour autant une surprise.
Sociologues et chercheurs s'amusent d'ailleurs de la naïveté avec laquelle la France est en train de redécouvrir « l'accaparement de l'élite politique par un milieu social supérieur » (Éric Keslassy). Car la République française est toujours, plus que jamais même, une République de notables où les classes populaires sont, sauf exceptions, exclues du jeu.
« Plus que dans d'autres pays encore, la classe politique française est dans l'entre-soi », abonde le politiste Luc Rouban, chercheur au Cevipof. Une réalité qui tient aussi bien à la formation des élites en France, au mode de sélection du personnel politique par des partis omniprésents qu'à un système politique où le cumul des mandats est la règle. « En fait, les responsables politiques ne sont pas plus riches que leur classe sociale. La France a un vrai problème de renouvellement de la vie politique », résume Vincent Tiberj, chercheur à Sciences-Po.
Le casting de l'Assemblée nationale en est une cruelle illustration. L'Assemblée nationale de 2012 est surtout un aréopage de cadres, de fonctionnaires et de professions libérales, surreprésentés par rapport à leur réalité sociale. Ouvriers et employés représentent la moitié de la population active, mais seulement 2,6 % des députés. Et il n'y a qu'un seul député ouvrier sur 577, en l'occurrence le Front de gauche Patrice Carvalho – ils étaient trois entre 2002 et 2007, et deux entre 2007 et 2012. La proportion d'ouvriers et d'employés a atteint un pic en 1946 à 18,8 %, juste à la sortie de la guerre. Le PCF à son apogée avait alors raflé 150 sièges. Depuis, à part quelques poussées sporadiques, il ne cesse de baisser, comme le montre ce graphique de l'Observatoire des inégalités :

« L’élite sociale s’accapare la représentation nationale », résume Éric Keslassy. Le sociologue a passé au crible l'Assemblée élue en 2012. Conclusion : « La surreprésentation des cadres et professions intellectuelles supérieures et la sous-représentation des employés et ouvriers, par rapport à leurs poids respectifs dans la population active occupée, sont écrasantes (…) et s’accentuent d’une législature à l’autre » :
Depuis la IIIe République, bourgeois et grands-bourgeois occupent la scène politique mais, en 2012 encore, « appartenir à la strate supérieure du corps social offre des ressources qui favorisent l’élection », note Éric Keslassy, « un capital économique élevé, un fort capital social (réseau relationnel et statut social) et un nécessaire capital culturel (diplôme et capital politique) ». Un temps, le PCF a assuré l'ascension de profils issus des classes populaires, mais ce rôle s'est estompé avec l'effondrement électoral des communistes. Et malgré ses déclarations d'intention, le PS peine depuis à faire émerger la diversité de la société française.