Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
L’information est passée un peu inaperçue pour cause de campagne présidentielle : en février, le Sénat a constitué une commission d’enquête « sur le coût réel de l’électricité afin d’en déterminer l’imputation aux différents agents économiques ». Créée à l’initiative des élus écologistes, elle a tenu une centaine d’auditions de responsables industriels, politiques, et associatifs, a commandé une enquête sur la contribution au service public de l’électricité (CSPE) à la Cour des comptes et a fait usage de ses « pouvoirs d’investigation » sur les tarifs d’achat de l’électricité d’origine photovoltaïque. Présidée par Ladislas Poniatowski, sénateur UMP de l’Eure, elle a rendu son rapport mercredi 18 juillet (à lire en cliquant ici).
Les chiffres qu’elle publie sont inquiétants sur les perspectives de l’industrie nucléaire : en cas de prolongement de la vie des centrales à 60 ans, comme le préconise EDF, le coût réel du mégawattheure (MWh) pourrait atteindre jusqu'à 75 euros en coût courant économique, contre 49,5 euros aujourd’hui selon la Cour des comptes. À ce niveau-là, il commencerait à perdre son avantage compétitif sur les énergies renouvelables les plus matures, à commencer par l’éolien terrestre.
Ce chiffrage, d'une ampleur inédite, ne figure pas en tant que tel dans le rapport. Un « choix politique », explique Jean Desessard, parlementaire écologiste et rapporteur de la commission, car tous les élus ne sont pas d'accord. Mais ils ont réalisé un tableau énumérant les dépenses aujourd'hui non prises en compte dans le coût du nucléaire, alors qu'elles sont à la charge, ou pourraient le devenir, de la collectivité: démantèlement, gestion des combustibles usés et des déchets, recherche publique, assurance d'accident, révision du taux d'actualisation des investissements. Leur somme atteint 20,85 euros de surcoût au MWh. En les ajoutant aux 54,2 euros dont la Cour des comptes estime qu'ils représentent le coût courant économique une fois pris en compte le programme de maintenance et les dépenses post Fukushima, on obtient 75 euros le MWh d'électricité nucléaire.
« Certains d'entre nous font ce calcul, d'autres non, estimant qu'ils cumulent trop d'incertitudes » précise le rapporteur. Alain Fauconnier (PS) «conteste» le chiffrage à 75 euros le MWh (pour lui, ni la recherche publique, ni les coûts d'assurance ne doivent forcément être pris en compte dans le coût) mais reconnaît que des dépenses importantes devront être faites et qu'elles vont renchérir la valeur du Mwh.
Par ailleurs, le rapport décrit une industrie énergétique européenne aujourd'hui beaucoup plus tournée vers les renouvelables que vers l’atome, avec 250 milliards d’euros d’investissement prévus dans l’éolien, le photovoltaïque et la biomasse d’ici 2020 contre seulement 16 milliards dans le nucléaire. Et il insiste sur la prime aux renouvelables qui structure désormais le réseau électrique européen.
Pour préserver son équilibre politique – tous les partis y sont représentés – la commission a focalisé son travail sur le rapport d’enquête, voté à la quasi unanimité, à l’exception de la sénatrice communiste de l’Allier, Mireille Schurch. Son groupe reproche au rapport de justifier l'augmentation du prix de l'électricité. Chaque courant propose ensuite ses propres conclusions, pas nécessairement au diapason les unes des autres.
Mediapart a interrogé l’un des membres de la commission, le sénateur écologiste de la Loire-Atlantique, Ronan Dantec, selon qui, au vu de l’enquête parlementaire, « dans la situation économique qui est la nôtre, il est totalement irresponsable » de fonder le système électrique français sur le nucléaire : « On est dans une logique de marginalisation économique. Aujourd’hui, même en mettant de côté ce qui pour nous, écologistes, est essentiel, la question du risque, ce n’est pas raisonnable de continuer. »
Lire ci-dessous sa contribution, au nom du groupe écologiste, et notre entretien dans les pages suivantes : ( *A voir sur le site de Médiapart )
Après le rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électro-nucléaire (voir ici), qu’apporte votre travail d’enquête ?
Ronan Dantec : D’abord, qu’il est indispensable d’inscrire le projet électrique français dans le contexte européen. Or quand on discute avec la direction énergie de la Commission européenne et avec les grands industriels, à part EDF, on comprend qu’ils ont tourné la page du nucléaire, et développent massivement les énergies renouvelables. Philip Lowe, directeur de l’énergie à la Commission européenne, a une vision intégrée de ces enjeux et projette, par exemple, de relier l’éolien en mer du Nord aux barrages suisses, pour servir de stockage les jours de pic de production. Un pays comme la France est censé passer de 10 gigawatts (GW) à 20 GW d’interconnection.
C’est extrêmement important. Car cela veut dire que le risque de rupture d’alimentation électrique, le black out, ne se posera plus dans quelques années. La question fondamentale aujourd’hui en Europe, c’est plutôt celle d’une surproduction d’électricité, en capacité installée, avec une priorité aux énergies renouvelables sur le réseau. En vertu du système de « merit order » (préseance économique – ndlr), l’électricité prioritaire dans les tuyaux européens est le renouvelable. Cela veut dire que demain, le taux de disponibilité des centrales électriques françaises sera questionné par ce mode de fonctionnement. Le système européen qui se met en place sous nos yeux, et auquel la France va être de plus en plus connectée, est fondé très clairement sur le renouvelable.
Selon Eurelectric, l’association européenne des grands producteurs d’électricité, pour la décennie 2010-2020, 250 milliards d’euros d’investissement sont prévus dans les renouvelables, et seulement 16 milliards dans le nucléaire. Ce contexte européen impacte notre projet électrique.
Pourtant le coût des énergies renouvelables est aujourd’hui supérieur à celui du nucléaire, qui fournit une électricité moins chère en France qu’ailleurs en Europe.
Il faut bien distinguer le coût de production du megawatt (MW), et le prix, payé par tout un chacun. Dans le prix, il y a beaucoup plus de choses que le coût, qui n’en représente que 40 % à peu près. Le reste comprend le TURP pour le transport, la CSPE qui intègre des enjeux sociaux et la pondération sur le renouvelable, les taxes locales et la TVA. Nous avons aujourd’hui un problème en France avec le prix de l’électricité. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) demande une hausse de 30 % pour financer les importants besoins d’investissements dans le réseau. Cela nous replacerait dans la moyenne européenne.
Sur les coûts de production, on est partis du coût courant économique (CCE), à savoir ce qui permet de récupérer de quoi réinvestir à la fin de la période d’exploitation. Et nous l’avons calculé dans l’hypothèse où la vie des centrales se prolongerait jusqu’à 60 ans, durée défendue par EDF lors des auditions : 54 euros le MWh, en intégrant 55 milliards d’investissement supplémentaires – 10 pour la sécurité et 45 pour la prolongation, contre 49 euros aujourd’hui selon la Cour des comptes.
Mais, nous avons aussi pris en compte les autres coûts, qui ne figurent pas dans les comptes d’EDF, mais sont supportés par la collectivité : la recherche publique, le taux d’actualisation, le démantèlement, le retraitement… Cela aboutit à environ 75 euros le MWh en CCE pour le nucléaire prolongé. Et cela, sans même réviser le coût d’assurance, prévu pour un accident à 100 milliards d’euros (alors que l’IRSN parle de 600 milliards), ni prendre en charge les coûts de stockage des mines d’uranium et des produits de retraitement. Avec ces éléments supplémentaires, on serait probablement largement au-dessus des 75 euros.
Or 75 euros le MWh, c’est aujourd’hui à peu près le prix garanti auquel se négocie l’éolien terrestre en filière mature. Il n’y a donc pas d’intérêt économique net à prendre le risque du nucléaire sur une prolongation de centrales à 60 ans.
Pourtant la Cour des comptes explique que les investissements initiaux dans le nucléaire sont aujourd’hui globalement amortis, alors qu’ils ne font que commencer pour les renouvelables.
Ce n’est pas si net que cela au final. Demain il est possible que du photovoltaïque descende en-dessous de 60 euros le MWh. L’argument d’un intérêt économique fort du nucléaire s’écroule.
Quant au dossier de l’EPR, c’est extrêmement simple : à aucun moment les défenseurs de cette filière n’ont été capables de nous expliquer comment ils feraient pour sortir un prix compétitif. La Cour des comptes estime que le MWh de l’EPR français pourrait sortir entre 90 et 110 euros, estimation optimiste, car sur la base d’une disponibilité de 90 % sur 60 ans. Les exploitants, eux, nous disent à terme, que c’est 60 euros le MWh. Mais à aucun moment ils ne sont capables de nous expliquer comment.
Nous sommes allés voir le gain de la filière PWR (réacteur à eau pressurisée, le plus répandu dans le monde) : entre la première génération et les suivantes, ils n’ont perdu que 20 % de coût de production. Si on retire 20 % du 110 euros, déjà très optimiste, on arrive à 90 euros. Prix qui ne comprend pas la recherche publique, le taux d’actualisation… Dans aucun cas cela ne passe. Ils ne seront jamais une filière mature. Personne ne va y investir. On est en lisière d’un krach industriel.
Or encore aujourd’hui, contrairement à ce que Nicolas Sarkozy avait dit, on met chaque année à peu près 400 millions de recherche publique sur le nucléaire. Et seulement 100 millions sur les renouvelables, soit quatre fois moins. Dans la situation économique qui est la nôtre, c’est totalement irresponsable. On est dans une logique de marginalisation économique. Aujourd’hui, même en mettant de côté ce qui pour nous, écologistes, est essentiel, la question du risque, ce n’est pas raisonnable de continuer.
Les politiques énergétiques qu’appellent ce constat, pour vous, sont-elles compatibles avec le programme de François Hollande : réduire à 50 % la part du nucéaire dans la production d’électricité en 2025 ?
Cela n’est pas contradictoire avec la proposition de François Hollande. Les fermetures des 23 tranches que prévoit l’accord PS-EELV de l’automne dernier, correspondent à l’objectif de réduction de 25 % de la part du nucléaire dans le mix électrique, qui correspond aussi au non prolongement des centrales. La première priorité, c’est lever les obstacles administratifs inutiles sur le développement des énergies renouveables matures – autour de 60, 70 euros le MWh. Il faut le faire le plus rapidement possible pour avoir une alternative au prolongement des centrales.
Mais si la filière nucléaire est condamnée selon vous, quel sens a le projet de garder 50 % de nucléaire ?
On est aujourd’hui à 75 %-80 % de nucléaire. Si on descend à 50 % en 2025, pourquoi s’arrêter ? Aucune raison. Une fois qu’on a commencé à baisser, on continue. La logique serait d’avoir le courage d’arrêter l’EPR et le projet de réacteur Astrid, et de monter la part des renouvelables pour qu’au bout d’un moment le nucléaire tombe. C’est ce scénario-là qui est aujoud’hui sur la table.
Il y a un autre aspect essentiel : c’est la question des réseaux. Toute cette logique européenne de montée des renouvelables conduit à remettre en cause l’organisation d’EDF, car elle distingue les distributeurs, des producteurs et des transporteurs réseaux. En France, le distributeur, en situation de monopole, est une filiale du producteur, avec une obligation de résultat. Henri Proglio nous l’a dit : « Je veux du 5 % de résultat sur ERDF. » Aujourd’hui, ce producteur impose à la totalité de la filière son système énergétique.
Il faut remettre le système dans le bon sens, avec un service public de distribution et de transport qui s’adresse à des producteurs, qui peuvent être publics, ce n’est pas la peine de privatiser, mais aussi des producteurs locaux en régie… Dans ce cadre, il faut donner une place forte aux collectivités locales. Construire un réseau qui corresponde à la nouvelle donne électrique, avec des productions de plus en plus décentralisées.
Le rapport prend aussi assez fortement position contre le compteur Linky, qui pour un appareil intelligent a quand même des capacités cognitives très limitées : il ne dit pas aux consommateurs combien ils consomment en temps réel, il ne permet pas les effacements de crête (suspension de la consommation d’électricité pendant quelques minutes aux heures de pointe), il ne mesure pas l’auto-consommation…
Il faut changer de paradigme électrique. Sinon, les Français vont consacrer une part de plus en plus importante de leurs revenus à l’électricité, en s’isolant économiquement et industriellement dans l’espace européen.