C'est donc la grande polémique de ce début de semaine. Arnaud Montebourg, en ministre du redressement productif attaché à défendre toute l'industrie française, vole cette fois au secours du nucléaire. « Je considère que le nucléaire est une filière d'avenir », expliquait-il dimanche soir sur BFM-TV. « Nous avons besoin d'énergie et pas trop chère », ajoutait le ministre, et « la France a un atout extraordinaire entre ses mains (avec ses centrales nucléaires), qui lui a permis de bâtir son industrie ». « Notre choix d'avoir une énergie pas chère, abordable et en quantité est stratégique », a-t-il insisté.
Les écologistes se sont aussitôt indignés de tels propos, certains y voyant une remise en cause directe de l'accord politique passé entre Europe Ecologie-Les Verts et le PS à l'automne 2011. Le débat sur le nucléaire, depuis la catastrophe de Fukushima en mars 2011, ne s'est en effet plus limité aux questions de sécurité des installations et de gestion des risques, mais il s'est fortement concentré sur la viabilité économique de cette énergie. Et l'accord écologiste-PS a pris acte que cette filière énergétique et industrielle était engagée dans une impasse économique (l'exemple de l'EPR tournant à la caricature) au moment où la plupart des pays gelaient les projets de construction de centrales ou décidaient de sortir du nucléaire.
« C'est une provocation », estime Noël Mamère, député vert de Gironde. Pas du tout a rétorqué Arnaud Montebourg, soutenu pour l'occasion par Manuel Valls (« C’est une filière d’avenir, incontestablement »), « mes propos ne sont pas une provocation, ils sont dans la droite ligne de ce qu’a été le discours de campagne de François Hollande ». Et le ministre d'ajouter : « Entre les emplois directs et indirects ce sont plus de 500 000 personnes qui travaillent pour le nucléaire en France. Areva est une des plus belles entreprises nucléaires au monde en exportant deux tiers de ses productions. »
Le ministre est pourtant contredit par plusieurs études et rapports récents qui, loin des traditionnelles questions de sécurité, pointent les coûts de plus en plus élevés de l'énergie nucléaire et les nombreux risques économiques sur l'ensemble de cette filière. Mediapart a, ces dernières semaines, traité de ces rapports.
Il y a d'abord ce rapport de janvier 2012 de la Cour des comptes, première tentative depuis 2000, d'évaluer les coûts réels du nucléaire. La Cour souligne l'urgence de définir une politique énergétique de long terme et de se prononcer sur la question de l'allongement de la durée de vie des centrales nucléaires (de 40 à 60 ans). L’avenir de la filière nécessite également des investissements importants, ajoute ce rapport qui note que les coûts du nucléaire ne vont cesser de croître.
Autre étude, dont le sérieux est reconnu par les experts : le World Nuclear Industry Status Report 2012, que Mediapart a publié et présenté le 6 juillet. Ce rapport, réactualisé chaque année depuis 2007 (deux éditions antérieures sont parues en 2004 et 1992), est l’œuvre de deux consultants indépendants dans le domaine de l’énergie : Mycle Schneider, qui étudie l'industrie nucléaire depuis trente ans, et que Mediapart a interviewé sur la situation au Japon et l’après-Fukushima (voir ici et là) ; et Antony Froggatt, chercheur et écrivain spécialisé dans les questions de politique nucléaire, installé à Londres.
Si la catastrophe de Fukushima a mis le risque nucléaire et l’exigence de sûreté au premier plan, le rapport de Schneider et Froggatt se concentre sur l’analyse des variables économiques qui affectent le développement de l’atome civil. Disons-le d’emblée, ce rapport brosse le portrait d’une industrie en déclin, luttant pour sa survie dans un environnement de plus en plus défavorable, tant du point de vue des coûts de fonctionnement que de celui de l’opinion publique.
L’analyse de Froggatt et Schneider est à contre-courant des discours le plus souvent entendus en France, influencés par les avocats de l’industrie nucléaire. Elle démontre que l’idée d’une « renaissance nucléaire », mise en avant par le lobby de l’atome, relève plus de l’autopersuasion, du wishful thinking, que de la réalité chiffrée.
- Et notre entretien avec le chercheur Mycle Schneider: «L'énergie nucléaire n'a plus de perspective»
Enfin, Mediapart a rendu compte le 18 juillet du rapport de la commission d'enquête sénatoriale « sur le coût réel de l’électricité afin d’en déterminer l’imputation aux différents agents économiques ». Créée à l’initiative des élus écologistes, elle a tenu une centaine d’auditions de responsables industriels, politiques et associatifs, a commandé une enquête sur la contribution au service public de l’électricité (CSPE) à la Cour des comptes et a fait usage de ses « pouvoirs d’investigation » sur les tarifs d’achat de l’électricité d’origine photovoltaïque.
Là encore, la commission sénatoriale met en avant les nombreux investissements nécessaires et coûts en augmentation dans l'ensemble de la filière. C'est sa viabilité économique qui est clairement mise en cause. Interrogé par Mediapart, le sénateur vert Ronan Dantec remarque : « Dans la situation économique qui est la nôtre, il est totalement irresponsable de fonder le système électrique français sur le nucléaire. On est dans une logique de marginalisation économique. Aujourd’hui, même en mettant de côté ce qui pour nous, écologistes, est essentiel, la question du risque, ce n’est pas raisonnable de continuer. »