Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
Le Monde.fr | 18.11.2012 à 11h59 • Mis à jour le 18.11.2012 à 13h57
Toute la nuit, venant de la France entière, voitures et camping-cars ont convergé vers Notre-Dame-des-Landes, un petit village situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Nantes, où l'Etat, la région et Vinci veulent construire un aéroport. Agriculteurs, riverains et "occupants" de la Zone d'aménagement différé (ZAD) devenue "zone à défendre", ont appelé samedi à réoccuper et reconstruire les cabanes et maisons détruites par les gendarmes et les CRS depuis la mi-octobre. Tôt le matin, autour du village, les tracteurs convergent.
La petite place devant la mairie de Notre-Dame-des-Landes est pleine de monde. Les quelques 3 000 habitants sont devenus plus de 30 000 le temps d'une journée. A la manœuvre, les militants de l'Acipa (Association citoyenne intercommunales des populations concernées par le projet d'aéroport) essayent d'organiser le cortège. Les tracteurs qui emportent le matériel destiné à la reconstruction des maisons doivent passer en tête. Le maire de NDDL, opposant au projet d'aéroport, n'a pas voulu se mélanger aux "squatters" qui vivent sur le territoire de sa commune, pour certains, depuis deux ans. Sur la façade de sa mairie, une banderole : "Veni vidi et pas vinci".
Toutes les générations se sont donné rendez-vous à Notre-Dame-des-Landes, lieu fédérateur de toutes les colères et luttes contre les "politiques libérales". Ici, ce ne sont pas les avions qui s'envoleront. "Seule la lutte décolle", proclame une banderole tenue par des jeunes porteurs de cagoule. Le mélange entre jeunes occupants au profil "éco-guerrier" et militants plus anciens, défenseurs de causes multiples, se fait dans la bonne humeur. "La résistance est fertile", dit une banderole.
La foule bigarrée s'étire sur plus de cinq kilomètres. Cela fait plus de 30 000 personnes. Dans le cortège, le bruit circule que la police annoncerait 2 000. Eclats de rire et certitude d'avoir gagné le pari. En fait, la préfecture parle de 13 000 manifestants. Au-dessus de la petite départementale 81, à défaut d'apercevoir l'hélicoptère de la gendarmerie, le ballon dirigeable de Greenpeace flotte. Des ULM, pilotés par les militants de l'Acipa emmènent les photographes. En bas, les bons mots fusent : "Allez Jean-Marc, fais pas ton Ayrault !"
Les manifestants n'ont toujours pas quitté Notre-Dame-des-Landes que les tracteurs de tête ont déjà atteint le lieu des chantiers, dans les bois de Rohanne. Dans un pré, un grand chapiteau de cirque et des buvettes ont été installés. Des responsables politiques comme Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche), José Bové (Europe Ecologie-Les Verts), Olivier Besancenot (NPA), Myriam Martin (Gauche anticapitaliste), Jean-Luc Benhamias (Modem)... sont présents dans le cortège, mais ne prendront pas la parole. Les "politiques" doivent se faire discrets.
Les reconstructeurs arrivent dans les bois, accompagnés par les milliers de soutien. Il va falloir rebâtir ce que les gendarmes et CRS ont détruit depuis la mi-octobre dans le cadre d'une opération que la préfecture avait appelée "César". Celle des opposants, ce samedi, a été baptisée, bien sûr, "Astérix". Sur la route, longue pour ses petites jambes, Solal, 5 ans, demande "C'est quand qu'on construit la cabane ?" Ce n'est plus Notre-Dame-des-Landes, c'est devenu la forêt de Sherwood...
Batucada, rythmes brésiliens ou africains, simple accordéon, chorales et chants révolutionnaires... toutes les musiques se mêlent contre "le pipeau" des autorités. Pour les opposants au projet d'aéroport, il est économiquement injustifié et écologiquement dangereux. 1700 hectares de zones humides et agricoles vont être détruits. L'actuel aéroport de Nantes, que les autorités disent prochainement saturé, peut encore se développer proclament les opposants. Pour l'heure, ce sont les petites routes et les chemins du bocage qui sont totalement saturés.
Au carrefour des Ardillières, quelques kilomètres au sud de Notre-Dame-des-Landes, les "5 routes" comme on les appelle ici, passage obligé pour des dizaines de milliers de personnes qui rejoignent les chantiers de la reconstruction.
Les manifestants passent devant "La vache rit", sur la petite départementale 81, quartier général des opposants à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Là, les occupants du bocage peuvent manger, dormir et, surtout, organiser la mobilisation. Nombre de ces soutiens venus de la France entière se font prendre en photo devant cette grange, devenue symbole de résistance.
Plus de 200 tracteurs, principalement de la Confédération paysanne, ont suivi l'interminable cortège pour apporter de la paille et du matériel. La paille servira à isoler les baraquements. La nuit, les températures peuvent descendre en-dessous de zéro. L'air du bocage est très humide. Et l'hiver approche. Les occupants espèrent fort fêter Noël et le réveillon dans les bois de Notre-Dame-des-Landes. Les autorités devraient s'employer à les en déloger. Pour la préfecture et Vinci, concessionnaire du futur aéroport, il faut commencer vite les travaux.
La réinstallation des occupants va prendre plusieurs jours. Beaucoup d'entre eux vivent là depuis plusieurs années. "Rien à voir avec ce que les autorités et certains médias expliquent, je ne suis pas arrivé la semaine dernière pour me battre avec la police", explique Marie, jeune femme d'une trentaine d'années. Les "zadistes", du nom de la Zone d'aménagement différé, vivent en dehors d'un système qu'ils combattent. Beaucoup d'agriculteurs, qui les hébergent sur leur terre et dans leurs granges, les admirent.
Les panneaux en bois qui serviront de cloisons aux futures installations sont prêts depuis plusieurs jours. Il faut monter vite, avant que la nuit ne tombe, ce qui soutiendra le toit de la baraque. Là, on pourra dormir, mais aussi se réunir, s'informer, communiquer... D'autres installations pour cuisiner, des toilettes, sont en train d'être construites dans des prés voisins, d'autres clairières. Le degré d'organisation des "zadistes" et de leurs soutiens agriculteurs impressionne les nombreux manifestants venus de la France entière.
La nuit est tombée dans les bois de Rohanne, mais la foule reste nombreuse. Les futures installations des "territoires occupés" ne sont pas encore terminées. Mais, veulent croire les résistants à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, cela va retarder le démarrage du chantier. D'ici à la fin de l'année, explique la préfecture, les travaux archéologiques et le transfert de certaines espèces protégées devraient débuter. Pas question pour les agriculteurs et les habitants du bocage : "la biodiversité, c'est nous", disent-ils.
Dans les lumières des dizaines de tracteurs qui continuent de tourner dans les chemins, les manifestants déambulent. Un froid humide a gagné le bocage. Mais l'ardeur des opposants au projet d'aéroport ne faiblit pas. Le succès de la manifestation va faire reculer le gouvernement, disent-ils. "Ayrault et Hollande, ils peuvent pas s'entêter et faire pire que la droite", espère Alain, électeur de gauche, la soixantaine, vétéran du Larzac et d'autres luttes antinucléaires.
Sur les routes qui convergent à Notre-Dame-des-Landes, dans le brouillard nocturne, éclairées par leur lampe frontale ou dans le noir le plus absolu pour les moins prévoyants, des dizaines de personnes cherchent leur véhicule. Dans le village, un membre de l'Acipa organise le covoiturage. "Quatre places pour Rennes, deux pour Saint-Lô..." Certains reviendront peut-être bientôt. "S'ils rasent les nouvelles installations, on refera une manifestation, plus nombreuse encore", promet Michel Tarin, vétéran de Notre-Dame-des-Landes.
(Reportage de l'envoyé spécial du "Monde" Rémi Barroux ; Photos de Romain Etienne)