La déclaration d’utilité publique du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes doit-elle être annulée, parce que fondée sur un marché public douteux ? La question se pose aujourd’hui, avec les preuves apportées par Reporterre.
Pour bien comprendre la question, il faut remonter à l’année 2005, soit trois ans avant la DUP, la déclaration d’utilité publique signée par le gouvernement Fillon en février 2008. En cette année 2005, l’heure est à l’établissement du dossier qui sera soumis à enquête publique. Doit y figurer un inventaire des espèces naturelles remarquables présentes sur le terrain : tritons et grenouilles, libellules et insectes, oiseaux, chauves souris, tous au rapport, tout comme les espèces floristiques. Un appel d’offres est lancé pour choisir le bureau d’étude qui mènera ces inventaires indispensasbles.
L’administration l’a dénommé « Etude d’impact environnemental pour dossier DUP projet aéroport NDDL - Lot n° 1 : mission de coordination et de synthèse et volet faune flore milieux naturels ».
Le document est téléchargeable ici :
Et comme il l’indique, l’attribution du marché ne sera officielle que le 23 juin 2005 : "VI.2) Numéro de référence attribué au dossier par le pouvoir adjudicateur : DDE44/2005/006/NDDL.
VI.3) Date de l’attribution du marché : 23.6.2005.
VI.4) Nombre d’offres reçues : 4.
VI.5) Ce marché a fait l’objet d’un avis publié au JOCE : Oui. Numéro d’avis au sommaire du JO : 2005/S 49-047408.
Du : 10.3.2005."
Mais le candidat retenu in fine, la société « d’ingénierie écologique » Biotope, n’a pas attendu l’avis officiel. Sans même attendre que l’administration ait achevé la consultation des offres des trois autres bureaux d’étude en compétition, les équipes de Biotope sont les bottes dans la boue près de deux mois avant que le marché ne lui soit attribué.
Règle stricte des marchés publics
La loi est pourtant claire : « Un marché public d’au moins 15.000 € hors taxe doit être obligatoirement notifié au candidat désigné avant le début d’exécution du contrat ». Or, le marché d’étude d’impact environnemental en question est de 195 127 euros précisément. Le code des marchés publics prévoit l’égalité de traitement des candidats et la transparence des procédures. Et donc, le début de « l’exécution du marché » (sa phase opérationnelle) ne peut pas intervenir avant la notification au titulaire du marché, ici attribué le 23 juin 2005 (la publication au Journal officiel n’intervenant que le 16 juillet suivant).
Dites que « le coin vous semble sympa »
Pourtant, dès le 13 mai, un courriel interne à Biotope, et que Reporterre révèle ici, organise le travail d’inventaire, tout en prévenant les salairés de son caractère irrégulier, qui appelle des précautions : « Nous ne sommes pas officiellement retenus pour le marché, ce qui demande pour les premières prospections un peu de discrétion, du type : vous faites des prospections à titre perso parce que le coin vous semble sympa. Dès que nous recevons la lettre de mission, je vous la transmets ».
Voici ce courriel à télécharger :
La direction départementale de l’équipement s’associe à cette procédure irrégulière, puisque dès le 6 juin 2005, soit dix-sept jours avant l’attribution du marché, elle donne une lettre de mission à Biotope, que Reporterre publie ici :
Ce feu vert de l’autorité responsable serait tout à fait « normal » selon Biotope, interrogé par Reporterre. Pour l’entreprise, les périodes d’observation auraient été mal prévues. Biotope plaide une méconnaissance des cycles biologiques de la part des services de l’État qui ont lancé l’appel d’offres. L’ordre de mission anticipé interviendrait donc comme un moyen de rattraper illégalement une boulette.
Le 28 juin, un nouveau courriel de Biotope à ses experts naturalistes annonce : « première info : nous avons enfin la notification du marché » tout en rappelant qu’« il est primordial de s’assurer de la sécurité juridique du projet ».
Deux mois d’avance sur la procédure légale
Bertrand Delprat, un ancien salarié de Biotope à l’époque, se souvient très bien de ce qui s’était passé. Il est aujourd’hui à la tête d’une petite société, Caldris, qui fait le même genre de travail. Bertrand Delprat vient de gagner un procès aux prud’hommes, de droit social cette fois, contre Biotope (lire encadré ci-dessous). Pour la période de 2005, il a comptabilisé vingt-et-un jours d’études sur le site, dédiés à l’examen de la flore, des oiseaux, des amphibiens, des insectes, et des chiroptères (chauve-souris). Sans compter le temps de rédaction des observations, et les réunions de suivi. Le premier déplacement sur le terrain date du 7 mai, vouée aux amphibiens. Soit 54 jours avant l’attribution de ce marché !
Des études depuis plus de dix ans
Quelque 240 salariés, quinze agences en France, des bureaux à Madagascar, en Serbie, au Maroc, Biotope est une grosse entreprise, qui a son siège à Mèze, dans l’Héraut, près de l’étang de Thau. Un bureau local a été ouvert depuis dix ans à Rezé, commune jouxtant Nantes.
Biotope signe des études environnementales pour le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes depuis 2002, réitère en 2006, en 2011. Des paysans occupant le terrain à la ferme de Bellevue sur l’emplacement prévu pour la zone aéroportuaire, affirment avoir vu il y a quelques jours, en octobre 2013, des salariés de Biotope protégés par des gendarmes mobiles. Toujours dans le périmètre de la Zad.
Interrogée pour clarifier les missions actuelles et passées de Biotope, la préfecture de Loire-Atlantique ne souhaite ni commenter, ni même s’exprimer sur le sujet.
Biotope, ni non ni nom
Contactée par Reporterre, l’entreprise Biotope ne nie pas avoir anticipé la signature du contrat en 2005. Tout en concédant avoir été prévenu courant mai qu’elle serait le lauréat de l’appel d’offres, ce qui rendait le bureau d’étude certain d’être attributaire, sauf recours improbable d’un concurrent. Il n’y a d’ailleurs pas eu de contestation judiciaire : les entreprises ne portent en effet jamais plainte dans ce genre de cas, si elles veulent continuer à travailler dans le secteur. Mais aujourd’hui, ni le juriste de Biotope, Pierre Kochoyan, ni son directeur général, Frédéric Melki, ne veulent que leurs propos soient cités.
Devant des tribunaux, la question pourrait se poser d’une illégalité du contrat et donc de son annulation. La DUP se trouverait alors orpheline de son indispensable diagnostic de la faune et la flore existante avant la consultation du public. On pourrait alors entendre parler de la la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.
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Biotope déjà condamné
Le 10 septembre 2013, Biotope a été condamné par le tribunal des prud’hommes de Nantes à verser 76 212 euros à Bertrand Delprat, qui a travaillé pendant sept ans pour Biotope, mais par un biais original : si son temps était dédié à Biotope, il était officiellement rémunéré par une association satellite, VIAS (pour Voyages Inter Associations), présidée par l’épouse du patron de Biotope, et structure habilitée à toucher des aides publiques au titre du financement des emplois jeunes. Les entreprises ne pouvaient pas bénéficier de ces contrats aidés.
Mais Bertrand Delprat bénéficiait d’une adresse électronique fournie par Biotope, travaillait dans leurs locaux, gérait les relations clients, participait aux mission d’étude d’impact, et figure dans bien des documents officiels comme appartenant au bureau d’études. Ces informations ont été révélée par Médiapart en juin dernier. Faussement salarié de l’association, Bertrand Delprat avait été mis à la porte en septembre 2007 sans la moindre procédure, sans lettre de licenciement. Un mois plus tard, l’association était dissoute. Le jugement reconnaît qu’en ne déclarant pas son salarié, Biotope a commis l’infraction de travail dissimulé.
Cette infraction pourrait être un autre motif d’annulation du marché public attribué, donc d’irrégularité de la DUP.
Biotope a fait appel de cette décision de première instance, qui devrait donc être rejugé par la cour d’appel de Rennes.
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La Zad met en cause les naturalistes collaborateurs des bétonneurs
Dans la quiétude des zones humides et du bocage, les ornithologues de Biotope ont parfois dû demander la protection des gendarmes mobiles en tenue anti émeute. Le 28 avril 2011, l’antenne nantaise de Biotope a été envahie par une cinquantaine de militants, qui dénonçaient son rôle dans la prescription des mesures compensatoires, sur les volets faune et flore.
Sur le terrain, les visites à Notre-Dame-des-Landes, des naturalistes de Biotope avaient été mal accueillies. Les militants les interpellent : « Peut être les mesures compensatoires ou d’atténuation que vous serez en mesure de proposer suffisent à satisfaire votre bonne conscience, suffisent à vous faire oublier que vous travailler sous contrat avec la multinationale du béton, Vinci... Nous sommes ici pour vous rappeler cette aberrante contradiction. Le bétonnage de deux mille hectares de terres sacrifiées sur l’autel du progrès et du profit des actionnaires de Vinci ne sera jamais écologique. Il n’y a pas d’aéroport écologique. On croirait un tel oxymore sorti tout droit de la novlangue de 1984. (...) Biotope et ses salarié-e-s participent aujourd’hui grandement à donner, volontairement ou non, la légitimité écologique à un projet et à ses promoteurs. »
En juin 2011, une banderole a même été installée sur une des routes de la ZAD clamant « Biotope, Vinci, fossoyeurs par nature ».