Pour la première fois, l’Assemblée nationale ose réclamer son dû. Chaque député arrivé en fin de mandat le 20 juin a été prié de faire ses comptes : oui ou non, a-t-il épuisé l’enveloppe de 380 000 euros mise à sa disposition pour couvrir ses dépenses à caractère professionnel pendant cinq ans (6 400 euros par mois) ?
En principe, la règle est stricte : les élus ont le droit de piocher dans cette « indemnité représentative de frais de mandat » (IRFM), stockée sur un compte spécial, uniquement pour régler des factures liées à leur fonction. En fin de législature, la morale voudrait donc que les élus disposant d’un « reste » d’IRFM non consommé, le reversent à l’Assemblée.
Bizarrement, par le passé, le Palais-Bourbon n’avait jamais rien exigé : pas la moindre consigne en 1997, 2002 ou 2007. Ces années-là, certains « sortants » ont pu se mettre leur surplus dans la poche en toute tranquillité. Les instructions adressées cette année à tous les députés sont donc inédites : « Les éventuels excédents constatés (sur votre compte IRFM...– ndlr) doivent être reversés au Trésorier de l’Assemblée nationale », peut-on lire dans cette note envoyée en amont des élections, que Mediapart s’est procurée.
Si les services du Palais-Bourbon mettent cette année les pieds dans le plat, c’est que les critiques ont redoublé à l’encontre de l’IRFM et de son détournement à des fins personnelles par certains parlementaires. Des élus qui continuent de refuser tout contrôle sur l'usage de cette enveloppe : vendredi 20 juillet aux aurores, l’hémicycle a encore rejeté un amendement des centristes Charles de Courson et Yves Jégo, qui autorisait le fisc à y mettre son nez.
Alors combien de « sortants » disposaient fin juin d’un reliquat sur leur compte IRFM ? Combien sont prêts à le reconnaître, et à le reverser à l’Assemblée ? Le Palais Bourbon n’ayant aucun droit de regard sur les relevés bancaires, il n’a aucune idée du nombre de politiques concernés ni des montants.
Dans un rapport passé relativement inaperçu en janvier dernier, la Commission pour la transparence financière de la vie politique, chargée d'éplucher les déclarations de patrimoine des élus, révélait qu'un parlementaire avait réussi à stocker, par le passé, jusqu'à 200 000 euros sur son compte IRFM en cinq ans de mandat. Son nom ? Secret de la vie privée.
A minima, l’Assemblée pourrait communiquer à Mediapart le nombre de battus en juin dernier qui lui ont remis de l’argent depuis leur départ du Palais Bourbon. Ou la somme qu’elle a déjà recouvrée. Malgré nos relances, elle se tait, entretenant l’opacité sur le sujet.
Mediapart a donc décidé d’interroger les 23 membres du gouvernement potentiellement concernés, qui ont siégé à l’Assemblée jusqu’à l'élection de François Hollande. En tant que ministres, ils se doivent d’adopter un comportement exemplaire. À chacun, nous avons posé trois questions : aviez-vous épuisé votre enveloppe de frais de mandat lorsque vous avez quitté le Palais-Bourbon ? Sinon, quel est le montant de votre excédent ? L’avez-vous remis au trésorier de l’Assemblée ?
Huit ministres n’ont pas jugé utile de jouer la transparence (ou n’ont pas trouvé le temps), dont Laurent Fabius (aux affaires étrangères), Pierre Moscovici (à l’économie), Jérôme Cahuzac (au budget), Manuel Valls (à l’intérieur), Marilyse Lebranchu (à la réforme de l’État), Alain Vidalies (aux relations avec le Parlement), Valérie Fourneyron (aux sports) et Geneviève Fioraso (à l'enseignement supérieur). Tous les autres ont répondu.
Jean-Marc Ayrault fait ainsi savoir qu’il n’avait rien à reverser, ayant consommé toute son enveloppe. Idem pour Marisol Touraine à la santé, Delphine Batho à l’écologie, et George Pau-Langevin à la réussite éducative (qui renvoie vers son blog pour le détail de ses dépenses mensuelles). Il n’est pas rare, de fait, qu’un parlementaire actif épuise l’intégralité de son IRFM − surtout parmi les « non-cumulards » qui n’exploitent pas les moyens matériels d’une collectivité locale.
Plusieurs ministres, à l'inverse, indiquent à Mediapart qu’ils disposaient d'un reliquat et qu'ils viennent de signer un chèque au bénéfice de l’Assemblée : « Il est parti ce matin avec un montant de 1 100 euros ! » annonce le cabinet de Bernard Cazeneuve, ministre délégué aux affaires européennes.