LEMONDE.FR | 15.01.12 | 14h59
Depuis le renversement de M. Ben Ali, les médias tunisiens se livrent à un mea culpa collectif. AFP/FETHI BELAID
Tunis, Envoyé spécial - Un an après la révolution de jasmin et le départ précipité du dictateur Ben Ali le 14 janvier 2011, les acteurs des anciens et nouveaux médias se sont réunis les 12 et 13 janvier à Tunis pour un colloque intitulé "Tunisie : révolution, transition et mutation" organisé par Canal France International (CFI), l'Association tunisienne des libertés numériques (ATLN), l'Association du multimédia et de l'audiovisuel et Tunisie Live, premier site tunisien d'information en langue anglaise.
Pendant deux jours, entre conférences et ateliers pratiques, quelques cinq cents blogueurs, journalistes, juristes, universitaires, étudiants, hackers ou simplement "citoyens curieux" venus de plusieurs pays de la Méditerranée (dont la France), ont débattu sur la mutation des médias tunisiens malmenés entre la révolution politique et la révolution numérique, qui, avec des armes comme Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux, ne veut pas se contenter d'une période de transition. "Ils sont très impatients", reconnaît Riadh Medhi Lamloum, chercheur en sciences de l'information à l'université de Manouba de Tunis.
Une impatience exprimée par de nombreux intervenants qui ont regretté que le paysage médiatique tunisien soit quasiment resté en état malgré la révolution. Tous, s'inquiétent de la main mise politique du nouveau pouvoir sur les principaux médias publics dont les nouveaux dirigeants ont été nommés en début d'année. Le 9 janvier, à l'appel du Syndicat national des journalistes Tunisiens (SNJT) un rassemblement a été organisé pour protester "contre les pratiques du nouveau gouvernement" qui "rappellent celles du régime déchu". Les nominations contestées concernent principalement l'Agence Tunis-Afrique Presse (TAP), les journaux La Presse et Essahafa ainsi que la direction de la télévision publique tunisienne.
"DÉCLOISONNER LES UNIVERS, SORTIR DU GHETTO"
Manque de reportages, absence de recul, mauvaise hiérarchie de l'information, vieux réflexes idéologiques : durant ces deux jours, le journalisme "traditionnel" a été sérieusement remis en cause par les acteurs du journalisme "citoyen". Même si certains souhaitent "décloisonner les univers, sortir du ghetto" et apporter leur nouveau savoir-faire technologique, ils s'affirment, aujourd'hui, comme l'avant-garde de la transformation de la société tunisienne et veulent "la transparence".
Leur bataille est d'imposer, petit à petit, le logiciel libre, l'accès aux sources pour tous et "l'opengov" (initiée par Barack Obama aux Etats-Unis) qui permet aux citoyens d'intervenir directement sur la préparation des lois ou de lancer des initiatives politiques. Selon eux, ce "mouvement de libération des données" changerait radicalement le traitement de l'information et offrirait, de plus, un champ nouveau pour les entreprises de presse anciennes et nouvelles.
"IL NE FAUT PAS ACCABLER TOUT LE MONDE"
Pour autant, il est difficile en une année de passer d'une dictature féroce à une liberté totale, quasi autogestionnaire. "Il ne faut pas accabler tout le monde", nuance ainsi Emna Menif qui vient de créer Koulouna Tounes, un nouveau mouvement centriste démocratique et qui n'a pas été tendre avec les médias après la révolution. "Tout le monde a été pris de court et nous devons avoir de la compréhension vis-à-vis des rédactions. La libération de la parole est très difficile à gérer et les médias sont en phase de déculpabilisation", dit-elle.
"Il est vrai que nous avons tous gagné en maturité", concède le "militant de l'info" Malek Khadhraoui, 35 ans, un des quatre fondateurs administrateurs du site Nawaat, blog collectif indépendant, qui fut le premier à dénoncer la propagande de Ben Ali. "Les rédactions ont certes franchi des pas importants en se structurant et en affichant une ligne éditoriale plus claire mais, le nouveau gouvernement ne montre pas une volonté démocratique. La meilleure parade à ces ingérences reste la mobilisation de la société civile", poursuit-il.
Est-ce un signe que le temps se couvre dans la nouvelle Tunisie démocratique ? Dans un message solennel, l'association Reporters sans frontières (RSF) qui a ouvert un bureau à Tunis en octobre 2011, a tenu à dénoncer la menace de filtrage d'Internet par le nouveau gouvernement.
Daniel Psenny