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LE MONDE | 19.04.2012 à 12h29 • Mis à jour le 19.04.2012 à 12h29
Par Claire Gatinois et Sandrine Morel (à Madrid)
Pour échapper à la colère des marchés, et éviter tout nouveau dérapage budgétaire, l'Espagne est prête à aller loin. Trop loin, peut-être. Après un plan d'économies de 27 milliards d'euros, les ministres du gouvernement conservateur de Mariano Rajoy devaient approuver, vendredi 20 avril, le décret-loi détaillant la "saignée" de 10 milliards supplémentaires imposée aux budgets des communautés autonomes (régions) : 3 milliards de réduction de dépenses d'éducation et 7 milliards pour la santé.
L'enjeu : rassurer des investisseurs sur le qui-vive. Le pays, qui devait encore emprunter, jeudi, 2,5 milliards d'euros sur les marchés, veut éviter que les taux d'intérêts réclamés ne poursuivent leur envolée. Opération anti-gabegie ou décision hâtive et dangereuse ? En agissant ainsi, le gouvernement prend un risque politique - celui de remettre en cause le principe d'ultra décentralisation inscrit dans la Constitution - mais, aussi, économique, en menaçant le modèle social et la formation des générations futures.
Le danger est d'autant plus élevé qu'en Espagne les dépenses d'éducation sont déjà inférieures à celles des grands pays européens, note Jesus Castillo, économiste chez Natixis. Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en 2007 - avant la crise, donc - le pays consacrait 7 200 dollars (5 490 euros) par habitant pour la scolarité obligatoire : moins que la moyenne de l'OCDE, que l'Allemagne (7 558 dollars) ou la France (8 225 dollars).
"No pain, no gain" (sans souffrances, pas de récompense), résume Fernando Fernandez, professeur à l'IE Business School, à Madrid. Les régions concentrent, de fait, l'essentiel des doutes quant à la capacité de l'Espagne à respecter ses objectifs de déficit public pour 2012 (5,3 % du produit intérieur brut).
DES EFFORTS PEUT-ÊTRE VAINS
En 2011, elles ont été responsables des deux tiers du dérapage qui a fait exploser le déficit à 8,5 %, contre 6 % prévu. Aujourd'hui, Madrid compte sur elles pour se racheter. Et puis, "le danger dépend de la manière dont les coupes sont opérées", relativise Nick Bate, économiste chez Bank of America Merrill Lynch (BAML).
Dans l'éducation, le ministre José Ignacio Wert a expliqué que les économies proviendraient, notamment, d'une augmentation du nombre d'élèves par classe et des heures de cours des professeurs (vingt-cinqheures par semaine en primaire et vingtheures en secondaire, au lieu de dix-huit). Des mesures qui "n'ont pas d'incidence sur la qualité de l'enseignement", assure M.Wert, même si les syndicats dénoncent un dispositif néfaste au suivi d'élèves en difficulté, dans un pays où le taux d'abandon scolaire atteint 26,3 %.
Mais c'est dans la santé que sont prévues les principales économies, pour "en finir avec le tourisme sanitaire et les abus des étrangers", pointe la ministre de la santé, Ana Mato. Jusqu'ici, pas besoin de travailler ni de cotiser pour bénéficier de l'accès gratuit aux soins. Un certificat de résidence, dont peuvent se doter les sans-papiers, suffit pour recevoir la carte garantissant consultations gratuites et prise en charge de 60 % du prix des médicaments, voire de 100 % dans le cas des retraités. Désormais, les retraités paieront 10 % du prix des médicaments, les salariés entre 40 % et 60 %, selon leurs revenus, tandis que les chômeurs en fin de droit auront à l'inverse désormais droit aux médicaments gratuits.
De plus, le gouvernement ne permettra plus aux régions de rembourser des interventions non prévues par la loi, telles que le changement de sexe, pris en charge en Catalogne, à Madrid ou en Andalousie.
Un programme ambitieux. Mais est-il seulement faisable ? Les dix-sept régions sont en majorité de la même couleur politique que M. Rajoy, mais six ne sont pas du PP (Andalousie, Catalogne, pays basque..) et pourraient se rebeller.
Pour les faire plier, le gouvernement leur imposera dès le mois de mais peu ou prou la même discipline que l'Europe inflige aux pays de l'euro : un contrôle minutieux des comptes tous les trois mois et des sanctions en cas de sortie de route, assorties d'une possible reprise en main de leur budget par l'Etat.
Reste que tous ces efforts seront peut-être vains. Le Fonds monétaire international (FMI) juge déjà intenable l'objectif d'un déficit à 5,3 %. "Un plan d'économie sur trois ans, peut-être moins ambitieux (...) aurait sans doute été plus malin pour l'Espagne mais aussi pour la crédibilité de la zone euro", conclut Laurence Boone, économiste chez BAML.
Claire Gatinois et Sandrine Morel (à Madrid)