Source : www.marianne.net
Deux milliards de recettes fiscales dont on ne verra jamais la couleur, c'est ce que révèle l'enquête du Monde de cette semaine en partenariat avec plusieurs dizaines de médias étrangers. On savait que le Luxembourg était capable de faire les yeux doux aux adorateurs de l'optimisation fiscale. Mais cette fois, avec cette affaire baptisée « LuxLeaks », ce que l'on découvre dépasse l'entendement : l'administration du généreux Duché aurait donc passé entre 2002 et 2010 des accords fiscaux secrets (ou « tax ruling ») avec 340 entreprises, dont 230 américaines et 58 françaises. On retrouve ainsi parmi les bénéficiaires Pepsi, Apple, Amazon, FedEx mais aussi Axa, LVMH, Wendel, Banque populaire, BNP, Caisse d'épargne, Crédit agricole, etc.
Des entreprises privées qui dealent à grande échelle avec un Etat, au détriment des finances d'autres Etats, le tout écrit noir sur blanc, voilà qui fait désordre. Surtout quand on se souvient avec quelle ferveur, pendant les européennes, certains de nos responsables politiques ont soutenu la candidature de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne, lui qui a été, rappelons-le, Premier ministre du Luxembourg de 1995 à 2013. Dans un entretien vidéo à Marianne, Henri Weber, secrétaire national du PS aux Etudes européennes, avait d'ailleurs fini par nous expliquer pourquoi les élus sociaux-démocrates s'étaient ralliés à ceux du PPE derrière la candidature Juncker : parce que, nous disait-il sérieusement, ce dernier « n'est pas un libéral fou » !
Mais il ne s'agirait pas de croire que les vrais cocus de l'histoire sont ces responsables de gauche, y compris français donc, qui ont eu la fine idée d'apporter leur voix à Juncker. Leurs électeurs doivent se sentir, aujourd'hui, autrement plus trahis. Enfin, les véritables cocus, ce sont tous ces Etats — et avec eux, leurs concitoyens honnêtes — qui se sont fait faire les poches fiscales grâce à l'existence de tels accords avec le Luxembourg.
Cette pratique n’est, hélas, pas nouvelle. En France, on a d'ailleurs appris, cette même semaine, l’exonération d’impôts accordée par le précédent gouvernement (sans que l'actuel n'est rien à redire) aux sociétés organisatrices de l’Euro 2016 de football. Cela représente un manque à gagner de 200 millions d’euros pour l’Etat alors que notre pays aura investi 2 milliards d'euros dans la compétition et l'UEFA seulement 20 millions. Du racket fiscal en somme, car c'était ça ou l'accueil de l'Euro nous échappait, nous dit-on !
Mais le cocufiage fiscal n'est pas une fatalité. L'Irlande, connue pour avoir fait le choix de doper sa compétitivité par le dumping fiscal, a récemment renoncé au principe dit du « double irlandais », un dispositif permettant à de grandes multinationales comme Apple et Google de payer peu, voire pas d'impôts. Difficile d'imaginer qu'un tel combat puisse être mené par Juncker lui-même. A moins de considérer qu'un ancien détrousseur de diligences soit le plus apte à porter l'étoile de shérif ?
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