Par une affichette épinglée sur leur tableau de service, les contrôleurs SNCF de la région Centre ont découvert lundi le nouveau « challenge », censé les amuser du 1er novembre au 31 décembre. Défi : la « lutte anti-fraude » dans le TER.
Pour espérer remporter un netbook, une console de jeux, un appareil photo numérique ou des chèques cadeaux, il faudra attraper de l’abonnement falsifié, ferrer du voyageur hors-la-loi et faire payer de l’amende.
L’affichette précise les règles :
- 50 gagnants seront récompensés : 40 agents du service commercial trains (ASCT), le terme administratif pour dire contrôleur) et dix groupes de contrôle renforcé (GCR, les équipes dédiées au contrôle à bord) ;
- pour les agents, sera pris en compte les « meilleurs taux d’application des barèmes bord/contrôle » (c’est-à-dire les tarifs majorés, réglés à bord auprès du contrôleur) et les meilleures progressions depuis début 2012 ;
- pour les GCR, les critères retenus seront le plus grand nombre de cartes, billets, abonnements falsifiés ou utilisés par un tiers.
Louis (un pseudo), contrôleur basé à Orléans, a écrit à Rue89 pour rapporter ce procédé qu’il trouve « honteux » :
« La plupart des collègues et moi-même sommes outrés par ce procédé d’incitation aux chiffres qui peut entraîner bien des dérives dans notre travail. »
Moins de « petites fleurs » à bord
« On n’a jamais été poussés à faire du chiffre avant », précise le contrôleur en contact avec Rue89. Il assure ne pas compter changer pour autant ses pratiques. Avec ce type de challenge, explique-t-il, le risque est de laisser de côté les autres missions des agents (sécurité, service commercial) au profit de plus de contrôle.
« Il nous arrive, par exemple, de faire des tarifs guichet dans le train, pour des abonnés qui ont oublié de renouveler leur carte en début de mois... Avec ce système, il y a aura moins de “petites fleurs” à bord, ça va se durcir. »
Les contrôleurs touchent déjà un pourcentage sur les billets vendus à bord, qui représente environ 40 à 150 euros par mois. « Ça ne faisait pas notre salaire, donc ce n’était pas notre priorité. »
« Surprenant », note Louis : le challenge est lancé au moment où les cheminots ont plusieurs fois alerté la direction sur le manque d’effectif (« on se bat pour être au moins deux dans les trains, on est souvent seul ») et les agressions :
« On a des soucis de sécurité, d’incivilité, ça ne va pas s’arranger si on nous pousse à faire du contrôle. »
Louis dit avoir écrit à Rue89 pour avertir les usagers :
« C’est important de diffuser cette info, la SNCF nous pousse à harceler les clients. Ces derniers ont donc le droit de savoir. »
« Bâcler le service public »
« Plus rien qui me surprend, moi », assure Alain Lefaucheux, chef de gare et membre du bureau de la CGT d’Orléans. Il a découvert le challenge mardi :
« On essaie de diviser les cheminots entre eux... Ça ne va pas améliorer le dialogue social, y compris avec les usagers. »
Pour lui comme pour Louis, ce type de procédé est symbolique d’un tournant : la « logique d’entreprise » gagne le service public.
« Aujourd’hui, la direction travaille avec des objectifs de rentabilité à tout prix, une façon de bâcler le service public. »
La CGT d’Orléans doit encore se concerter avant de réagir : elle devrait demander une audition à la direction.
« Action managériale »
Au téléphone avec Rue89, le service presse de la SNCF est moins bavard sur l’« action managériale » (expression répétée plus de cinq fois en dix minutes).
Impossible de savoir si le procédé est en vigueur dans d’autres régions de France : « On n’a pas de réponses à apporter là-dessus ». Clément Nourrit du service presse justifie :
« C’est une action managériale de lutte contre la fraude, animée par un chef d’équipe. Une action managériale comme on peut en trouver ailleurs, dans une autre entreprise. »
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