Londres, correspondance
Le grand plan d'austérité concocté à son arrivée à Downing Street par le gouvernement du conservateur David Cameron entre cette semaine dans une phase cruciale. Comme prévu, de nombreuses aides sociales vont être réduites, ce qui aura pour conséquence de remodeler en profondeur l'Etat-providence britannique. Des mesures qui ne sont pas du goût de l'opposition travailliste, des associations caritatives ou des leaders religieux.
Dans une rare déclaration conjointe, diffusée le dimanche de Pâques, l'Eglise d'Ecosse, l'Eglise protestante unie, l'Union baptiste de Grande-Bretagne et l'Eglise méthodiste ont accusé Downing Street "de systématiquement déformer la représentation des plus pauvres au sein de la société". De faire des catégories les plus modestes une cible facile en ces temps de crise.
Durant tout le mois d'avril, une série de réformes va remettre à plat le fonctionnement des prestations sociales. A la clé, plus de 3 milliards d'euros d'économies par an, selon les calculs de l'association Child Poverty Action Group.
"TAXE SUR LA CHAMBRE À COUCHER"
Pour cela, le gouvernement n'indexera plus les allocations sur l'inflation (actuellement 2,8 %) et ne les augmentera que de 1 % par an pendant trois années. L'accès aux allocations handicapées va aussi être fortement durci. Mais l'essentiel des réformes concerne trois importants changements.
Le premier est surnommé la "taxe sur la chambre à coucher" par ses opposants : les Britanniques logeant en HLM, et qui disposent d'une chambre vide, vont subir une baisse de 14 % de leurs aides au logement. L'objectif est de pousser ces habitants à déménager dans de plus petits appartements, afin de reloger les familles entassées dans des logements sociaux exigus.
La réforme a suscité une vive controverse, car les enfants d'un même foyer sont censés partager la même chambre : s'ils ont chacun la leur, cela compte comme une pièce vide. De plus, beaucoup de personnes âgées, qui ont vécu l'essentiel de leur vie dans un même appartement mais dont les enfants ont quitté le cocon familial, ne comprennent pas cette obligation de partir de chez eux.
La deuxième réforme au coeur de la polémique est la création d'un plafond maximum d'allocations sociales que les foyers ne pourront franchir : aucune famille ne pourra toucher plus de 2 500 euros par mois d'aides sociales, l'équivalent de ce que gagne un foyer moyen en Grande-Bretagne.
Le montant peut paraître important, mais il est dépassé dans près de 100 000 cas au Royaume-Uni. En majorité, il s'agit de parents célibataires, sans emploi, avec plusieurs enfants à charge, qui vivent à Londres, là où les loyers sont chers. En moyenne, ils perdront 450 euros par mois.
UNE SEULE AIDE AUX CHÔMEURS
Ces deux modifications ne seront cependant qu'un amuse-gueule avant la principale réforme, sur laquelle le gouvernement travaille depuis trois ans : six différentes aides pour les chômeurs vont être fusionnées en une seule. Un projet-pilote va débuter fin avril, avant d'être étendu à tout le pays en octobre. Avec comme principe qu'il ne soit jamais désavantageux financièrement de reprendre un emploi.
Ces changements viennent rappeler que, contrairement à une idée reçue, il existe un système d'aides sociales relativement développé au Royaume-Uni, beaucoup plus proche du modèle européen que du système américain. Le pays dépense en effet près du quart de son PIB en aides sociales publiques, à peu près la moyenne de l'Organisation de coopération et de développement économiques.
Mais ce phénomène fait débat. Les "scroungers" (parasites) qui vivent au crochet de la société sont fréquemment vilipendés par la presse tabloïd et l'aile droite des conservateurs. "Quand des milliers de personnes gagnent plus en vivant d'allocations sociales que des familles qui travaillent dur, il y a quelque chose qui ne va pas", estime Chris Grayling, le secrétaire d'Etat à l'emploi.
C'est cette rhétorique que les Eglises ont condamnée dans leur déclaration conjointe. Elles rappellent que la majorité des pauvres au Royaume-Uni ont un travail, et que les cas de profiteurs abusant du système restent relativement rares. "La logique de la baisse des allocations sociales donne l'impression que les pauvres mériteraient leur pauvreté, que ce sont des gens inférieurs", regrette Paul Morrison, de l'Eglise méthodiste.