«On est donc en train de réfléchir sur comment faire en sorte que le logement social puisse mieux aider ceux qui travaillent», a déclaré le ministre de l'enseignement supérieur, Laurent Wauquiez. Cette proposition «met systématiquement en porte-à-faux les suggestions de L. Wauquiez avec la politique qu’il est censé soutenir depuis 2007», explique Didier Desponds, qui vient de publier Pour en finir avec l’égalité des chances. Refonder la justice sociale.
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Laurent Wauquiez, maire UMP de la ville du Puy-en-Velay et ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche à ses heures perdues, est un homme pressé. Il n'arrête plus d'occuper le devant de la scène médiatique comme en témoigne son dernier livre publié chez O. Jacob « La lutte des classes moyennes », ayant fait l'objet d'une aimable promotion lors de l'émission de L. Ruquier du 17 décembre 2011, « On n'est pas couché ». La reprise du concept de lutte des classes appliqué aux classes moyennes peut surprendre. Un ministre en exercice de l'équipe Sarkozy revendiquerait un héritage marxiste... La pertinence même du concept serait surtout à interroger, si l'on excepte les catégories les plus aisées qui parviennent adroitement à défendre leurs propres intérêts en les faisant passer pour compatibles avec l'intérêt général (voir sur ce point les travaux des sociologues M. Pinçon et Mme Pinçon-Charlot), c'est bien davantage le délitement du sentiment d'appartenance à une classe et le morcellement de la société qui s'observent.
La proposition la plus spectaculaire défendue par le ministre vise à réserver les logements sociaux à ceux qui travaillent. Elle part certes d'un constat qu'il est possible de partager (pour avoir un emploi, mieux vaut avoir un logement...) mais se heurte à un certain nombre de paradoxes, mettant systématiquement en porte-à-faux les suggestions de L. Wauquiez avec la politique qu'il est censé soutenir depuis 2007.
- Comment envisage-t-il de procéder pour réserver les logements sociaux à ceux qui travaillent alors que tous les experts en charge de la question pointent une pénurie de l'offre en regard de la demande effective, comme l'indiquent les rapports de la Fondation Abbé Pierre ?
- Si la loi SRU impose un pourcentage de logements sociaux par commune de plus de 1500 habitants en région Île-de-France et de 3500 hors de celle-ci, les réticences à construire proviennent le plus fréquemment de communes dirigées par des maires de la même couleur politique que L. Wauquiez. Il ne semble pas envisager d'accroître les sanctions contre celles qui ne respectent pas la loi.
- Si ceux qui ne travaillent pas ne peuvent accéder au logement social, quelles pistes alternatives s'offrent à eux ? Le parc locatif privé ne constitue sans doute pas la solution adéquate, les prix ayant connu dans ce domaine une forte appréciation, en particulier dans les grandes agglomérations. Il serait naturellement envisageable de mettre en place des dispositifs visant à limiter cette flambée des prix comme ne l'envisage en aucun cas le gouvernement auquel appartient L. Wauquiez. Les contraintes se renforcent donc pour ceux qui n'ont pas la chance de disposer d'un emploi stable ni de revenus conséquents. L'accès au logement, que la loi du 31 mai 1990 présente comme un droit, se révèle ainsi de plus en plus hasardeux.
- Ces difficultés se trouvent accrues en raison des choix opérés pour résoudre les difficultés budgétaires. Le Premier ministre a ainsi annoncé une diminution des APL. Effective depuis 2010, ceci contribue à rendre moins solvables des ménages de jeunes adultes, en particulier ceux qui éprouvent des difficultés croissantes pour accéder au logement. L. Wauquiez ne s'est pas exprimé sur ce sujet qui affecte pourtant de nombreux étudiants.
- Face à ces multiples contraintes, financières et de localisation de l'offre résidentielle, de plus en plus de ménages optent pour des solutions alternatives de logement pouvant les conduire à résider de façon permanente sur des terrains de camping localisés aux marges des agglomérations. Or le gouvernement a récemment choisi de lutter de façon urgente contre ce type de résidence, limitant de nouveau les solutions adoptées par ceux qui n'ont guère de choix :. L. Wauquiez croit tenir la solution en souhaitant réserver les logements sociaux à ceux qui travaillent. Que pense-t-il de ceux qui choisissent des solutions résidentielles non conventionnelles en conséquence de leur solvabilité réduite et de la restriction de l'offre résidentielle accessible ? Ils nuisent probablement au caractère bucolique du paysage rural...
- Quant à ceux qui se trouvent dans la plus grande précarité, il est nécessaire de rappeler la réduction du nombre de places de logements d'urgence. Si la loi DALO (Droit Au Logement Opposable) du 5 mars 2007, a mis en place un dispositif complexe, destiné à permettre l'accès de tous au logement, elle nécessite de recourir à l'offre dans le parc social existant. Ceci concerne d'abord des ménages en grandes difficultés économiques. L. Wauquiez ne nous a pas indiqué s'il comptait revenir sur le dispositif, le modifier, le réserver à ceux qui ont un emploi même précaire quitte à laisser à la rue des familles avec enfants ?
Au final, cette proposition apparaît clairement pour ce qu'elle est : jeter un écran de fumée sur la faillite de la politique du logement mise en œuvre par son mentor, Nicolas Sarkozy, qui promettait de réduire la pauvreté en France et s'était engagé le 18 décembre 2006 à Charleville-Mézières dans un grand discours à la France qui souffre à ce que « d'ici à deux ans plus personne ne soit obligé de dormir sur un trottoir et d'y mourir de froid », celui qui lors de sa campagne de 2007 souhaitait « permettre à chaque ménage d'être propriétaire ». Le club de réflexion créé par L. Wauquiez, la Droite sociale (ce qui dans la Novlangue actuelle signifie la stigmatisation systématique des catégories les plus défavorisées) a donc comme ambition de faciliter l'accès au logement de ceux qui ont déjà un travail, elle pourrait en cas de mise en œuvre accroître les difficultés des personnes à la recherche d'un emploi, en soumettant à une pression nouvelle celles qui résident dans le parc locatif social, voire les conduisant plus facilement à la rue. « Louable proposition » émanant d'une droite se prévalant des valeurs catholiques, dans un contexte de tensions accrues sur le marché du logement. Que l'on se rassure, cette double-peine que L. Wauquiez veut leur appliquer au nom d'un prétendu principe de responsabilité s'inscrit dans l'air du temps consistant à culpabiliser les plus fragiles. La Grande-Bretagne de J. Cameron fait de même avec l'approbation tacite du New Labour de E. Milliband. L. Wauquiez au final ne prend guère de risques, les catégories qu'il stigmatise lâchement n'auront guère d'incidences sur le plan électoral. Elles votent peu...
Pour conclure, je souhaiterais poser trois questions simples à L. Wauquiez :
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1) La perte d'emploi est-elle le stigmate d'une indignité personnelle justifiant l'ajout de nouvelles épreuves ?
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2) Dans le cas de l'adoption d'un dispositif s'inspirant des préconisations de la Droite sociale, que se passerait-il pour l'actif ayant eu accès à un logement social et perdant son emploi, devra-t-il rendre son logement, même s'il paye les traites de son loyer ?
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3) Si les « classes moyennes » que L. Wauquiez prétend défendre ont été affaiblies, quelle part de responsabilité porte la gestion mise en œuvre par l'actuel Président de la République ?
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Dernier ouvrage paru : Desponds Didier (sous la direction de) : « Pour en finir avec l'égalité des chances. Refonder la justice sociale ». Edition Atlande, 2011.