Des documents internes montrent que Philip Morris fiche les euro députés, notamment français, pour mieux les approcher. Tout y est détaillé.
MARC PAYET | Publié le 21.09.2013, 07h37
Des soupçons sur leur budget
Des documents confidentiels datant de 2012 et 2013 montrent comment Philip Morris International, le leader mondial du secteur avec la marque Marlboro, a fiché les 74 députés français (et les autres aussi) qui siègent au Parlement européen. Les classant selon leur proximité supposée avec l’industrie cigarettière et en spécifiant le degré d’urgence de les approcher. « L’existence de ce fichier est une atteinte aux libertés publiques. Il faut que Philip Morris donne des explications », s’exclame Stéphane Le Foll, le ministre de l’Agriculture, dont le nom — alors qu’il était député européen — apparaît dans le fichier comme « à voir d’urgence ».
Ces méthodes semblent très efficaces. Le report de septembre à octobre de l’examen du texte combattu par l’industrie constitue, en effet, une victoire pour elle. Car la discussion parlementaire pourrait traîner en longueur et la directive ne pas être votée avant les élections de 2014. Après, estiment les entreprises du tabac, tout espoir sera de nouveau permis…
Même si aucune trace de corruption n’apparaît, certaines données financières sont troublantes. Dans les documents, la liste complète des 161 lobbyistes montre que chacun se voit affecter un budget spécifique pour l’organisation « d’événementiels ». Au total, pas moins de 548927 €. « Il y a un trou noir sur les destinations de cet argent. Il faut savoir où cela va vraiment », s’interroge Emmanuelle Beguinot, présidente du Comité national contre le tabagisme. Au début de l’année, le commissaire européen à la Santé, John Dalli, était tombé pour suspicion de corruption avec un cigarettier.
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Le Parisien
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Le Monde.fr avec AFP et Reuters | 21.09.2013 à 15h23 • Mis à jour le 21.09.2013 à 17h11
Pour défendre ses intérêts, le numéro un mondial du tabac, Philip Morris, a adopté des méthodes similaires à celle du lobby des armes à feu aux Etats-Unis. Le cigarettier classe les députés européens en fonction de leur sensibilité aux arguments du lobby du tabac, en vue de l'examen imminent de la prochaine directive européenne antitabac. Des documents confidentiels datant de 2012 et 2013, révélés samedi 21 septembre par Le Parisien, montrent que l'ensemble des eurodéputés, dont soixante-quatorze Français, font l'objet d'une telle classification.
Des ennemis farouches (Corinne Lepage, Michèle Rivasi) aux alliés (Christine de Veyrac, Constance Le Grip), en passant par les responsables "à rencontrer d'urgence" (Stéphane Le Foll, Brice Hortefeux, José Bové), chaque nom est associé à un commentaire. Dans quel but ? Si Le Parisien n'a pas trouvé trace évidente de corruption, le quotidien affirme que les cent soixante et un lobbyistes travaillant pour Philip Morris disposent d'un budget total de 548 927 euros pour l'organisation d'"événementiels". Invitations à des matches de football, à des conférences, l'influence du lobby passerait par ces "programmes d'hospitalité".
LE REPORT DU VOTE, UNE VICTOIRE POUR LE LOBBY
En ligne de mire des cigarettiers, la directive européenne antitabac qui doit être examinée le 9 octobre au Parlement européen, et que le lobby entend bien combattre au nom des "libertés publiques". Or, des associations avaient dénoncé au début de septembre l'influence des lobbyistes dans la décision des eurodéputés de repousser l'examen du texte d'un mois – ce qui pourrait empêcher une adoption avant les élections européennes de 2014.
Le 7 septembre, le quotidien britannique The Observer avait également révélé que Philip Morris avait dépensé des millions d'euros pour financer le travail de ses lobbyistes auprès des eurodéputés. En 2012, le commissaire à la santé européen John Dalli avait déjà été poussé à la démission en raison de soupçons de corruption par des lobbyistes du tabac qu'il aurait secrètement rencontrés.
Dans un communiqué, Philip Morris qualifie d'allégations les informations du Parisien et les conteste formellement. Le groupe dit respecter les règles en matière de lobbying et de respect de la vie privée. "Les dossiers dont il est fait mention reflètent simplement une perception des opinions exprimées par les élus amenés à discuter et adopter des textes de lois", lit-on dans le communiqué. "Ceci est en adéquation avec les usages et conforme à ce que font d'autres entreprises, ONG ou autres groupes d'intérêt dans le cadre d'un processus législatif normal afin de porter à la connaissance des élus les problématiques et enjeux."
Lire : "Comment le lobby du tabac a subventionné des laboratoires français"