De notre envoyé spécial à Bruxelles
L'affaire du limogeage de John Dalli, commissaire européen à la santé, est en train de tourner au bras de fer entre le parlement européen et la commission. Dans un document daté du 9 janvier, auquel nous avons eu accès, les services légaux du parlement jugent que les raisons avancées par l'exécutif de José Manuel Barroso, pour ne pas donner accès au rapport de l'Olaf, pièce maîtresse au cœur de cette affaire complexe, ne tiennent pas. En clair : le parlement estime que la commission fait de l'obstruction et ne respecte pas ses engagements de transparence.
C'est une nouvelle étape dans le durcissement des relations entre les deux institutions, depuis l'éclatement, mi-octobre, du « Dalligate », du nom de l'ex-commissaire John Dalli, contraint à la démission pour avoir, dit-on, accepté au moins un rendez-vous avec un lobbyiste de l'industrie du tabac sans en avoir fait état publiquement. Le Maltais avait été poussé vers la sortie après la remise du fameux rapport rédigé par l'Office européen de lutte anti-fraude (Olaf) à José Manuel Barroso, mais le document n'a jamais été rendu public.
Depuis, cette opacité alimente tous les fantasmes sur l'influence des lobbies du tabac au sein de la bulle bruxelloise. D'autant que le principal intéressé, John Dalli, crie au complot : il aurait été piégé, assure-t-il, par l'industrie du tabac, prête à tout pour retarder la mise en route de la directive tabac sur laquelle il travaillait et qui s'annonçait particulièrement agressive pour freiner la vente de tabac. Ce texte a finalement été présenté fin décembre à la commission et la phase de discussions, côté parlement, s'ouvre cette année.
« C'est une affaire importante, et il faut que les choses s'éclaircissent. Les gens de la commission s'abritent derrière le secret de l'investigation, pour cacher leurs propres irrégularités », s'emporte Inge Grässle, une eurodéputée allemande, qui appartient au même parti politique (PPE, droite) que José Manuel Barroso. « Dans un État de droit, cela ne peut pas se passer comme ça. »
Pour le Français José Bové, « on voit bien comment fonctionne la machine de la commission : personne n'a envie de regarder ce qu'il y a sous le tapis. » L'eurodéputé vert milite pour la mise sur pied d'une commission spéciale, au sein du parlement, pour faire la lumière sur l'entrisme du lobbying au sein de la commission. « L'affaire John Dalli pose aussi la question de l'équilibre des pouvoirs au sein des institutions européennes et la légitimité des gens qui y sont », poursuit-il.
Depuis le départ de Dalli mi-octobre, la commission européenne avance un argument d'autorité pour ne pas publier ce rapport de l'Olaf : une enquête est en cours à Malte, qui vise John Dalli, et il est nécessaire d'attendre les conclusions de l'investigation. Il n'était même pas question de le transmettre, de manière confidentielle, à certains eurodéputés, par exemple les présidents des groupes.
Mais les services du parlement européen viennent de livrer leur analyse : ils estiment au contraire que la commission a obligation de le faire et qu'il suffit, pour y parvenir, de respecter les règles fixées depuis 2010 en matière de transmission d'informations confidentielles de la commission au parlement (lire l'annexe 2). Certains élus désignés pourraient ainsi avoir accès au rapport. La balle est à nouveau dans le camp de M. Barroso.