| 01.11.11 | 11h20
Vue du chantier de l'EPR, à Flamanville, le 1er juillet 2011.AFP/KENZO TRIBOUILLARD
Ce devait être le fleuron de la filière électronucléaire française, la vitrine de son savoir-faire et de son haut niveau de sûreté, son meilleur ambassadeur pour exporter sa technologie. Las ! Le réacteur EPR (European Pressurized Reactor) s'est surtout illustré par ses contretemps, ses surcoûts et les rappels à l'ordre de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Ces déboires ne sont pas imputables uniquement aux inévitables tâtonnements d'un prototype.
Pour l'EPR de Flamanville (Manche), dont le chantier a démarré en 2007, le bilan est sévère : quatre ans de retard, après deux reports successifs qui ont repoussé à 2016 sa mise en service, initialement prévue en 2012, et un budget qui a presque doublé, pour atteindre 6 milliards d'euros.
L'EPR français, dit de 3e génération, est destiné, comme son nom l'indique, à assurer la transition entre les réacteurs à eau pressurisée (REP) de 2e génération, entrés en activité dans les années 1970 à 2000 et formant la totalité du parc actuel, et les réacteurs de 4e génération, dont le déploiement industriel n'est pas attendu avant 2040. Les REP ont été conçus pour durer quarante ans et, même avec une vie prolongée de dix ou vingt ans, les plus anciens deviendront obsolètes avant l'arrivée des réacteurs du futur.
Développé depuis le début des années 1990 par Areva (ex-Cogema) et EDF, en partenariat avec des électriciens allemands, l'EPR est prévu pour fonctionner soixante ans. Quatre exemplaires sont en construction dans le monde, le premier en Finlande, à Olkiluoto (le chantier, commencé en 2005, a pris lui aussi du retard), le deuxième à Flamanville, les deux derniers en Chine, à Taishan.
"MANQUE DE RIGUEUR"
Il s'agit, en fait, d'une version améliorée des REP actuels : puissance accrue (1 650 mégawatts), rendement supérieur (17 % d'uranium consommé en moins pour une même quantité d'énergie produite), sécurité renforcée (plusieurs dispositifs sont destinés à résister à une fusion du cœur, l'accident nucléaire majeur qui s'est produit en 1979 aux Etats-Unis, à Three Mile Island, et en 2011 au Japon, à Fukushima), impact sur l'environnement réduit (30 % d'effluents et de certains déchets radioactifs en moins).
Malgré cette carte de visite flatteuse, l'EPR a, dès le départ, connu des problèmes. A Flamanville, l'Autorité de sûreté a prescrit à EDF, en 2008, de suspendre les travaux de bétonnage "à la suite de multiples écarts constatés dans le ferraillage ou le bétonnage des radiers [socles] constitutifs de l'îlot nucléaire". Le gendarme du nucléaire y a vu "un manque de rigueur de l'exploitant sur les activités de construction, des difficultés dans la surveillance des prestataires et des lacunes en matière d'organisation".
Fin 2009, les autorités de sûreté française, britannique et finlandaise ont demandé à EDF et à Areva, maître d'œuvre du réacteur d'Olkiluoto, d'"améliorer la conception initiale de l'EPR". Motif: une insuffisante indépendance des systèmes de contrôle, utilisés en fonctionnement normal, et des systèmes de sûreté, actionnés en cas d'incident, qui "ne doivent pas faillir simultanément".
"MORATOIRE"
Le 24 janvier, puis le 11 juin, deux accidents mortels se sont produits sur le chantier de la Manche. Début juin, l'ASN a reproché aux entreprises intervenant sur le site, en particulier au groupe Bouygues, "l'absence de déclaration d'accidents du travail survenus sur le chantier".
Peu après l'accident de Fukushima, le président de l'ASN, André-Claude Lacoste, déclarait : "Si la question d'un moratoire [sur l'EPR] se pose, et nous nous la posons, ce sera sur la construction de Flamanville."
Un peu tard, EDF a annoncé, en juillet, la mise en place d'une "nouvelle organisation" et de "nouvelles pratiques dans le pilotage et la conduite du chantier", ainsi que le "renforcement des exigences en matière de sûreté".
Pierre Le Hir