La conférence de presse pour le lancement du comité contre la torture de la police a eut lieu ce mardi 9 avril 2013. OkeaNews y était pour rencontrer celles et ceux qui ont décidé de dénoncer et combattre ce fléau qui ne se limite pas en Europe aux frontières de la Grèce. Reportage.
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Plaque du musée (Photo Okeanews)
A Athènes, la conférence de presse organisée par le comité contre la torture policière ( Κίνησης ενάντια στην αστυνομική αυθαιρεσία και τα βασανιστήρια en grec) s’est tenue le Mardi 9 avril 2012, avenue Sofias. Le lieu choisi est un symbole fort : il s’agit d’un ancien poste de police de la junte, la sinistrement célèbre dictature des colonels (1967-1974). C'est aujourd'hui un musée de la résistance démocratique contre la dictature.
Pour accéder à la salle de conférence, il faut passer devant les cellules où furent torturés les opposants au régime : « Ici fut torturé le héros Spiros Michalakopoulos », dit la pancarte sur laquelle repose une gerbe de fleurs desséchée.
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Photos des victimes de la junte (photo okeanews)
Le long du couloir, d’interminables séries de photographies de visages en noir et blanc. « Morts » (ΝΕΚΡΟΙ en grec), répète l’écriteau au-dessus de chaque série. Mais dans ces lieux, l’horreur cohabite avec l’espoir : « ελευθερία !», « liberté ! », peut-on lire sur les murs. Avant même que les intervenants s’installent, la tension dans la salle est déjà palpable. La conférence sera donnée en grec, mais une traduction anglaise est proposée aux journalistes étrangers, très majoritairement représentés. La salle est comble, beaucoup restent debout ou s’assoient par terre, mais on ne compte que deux médias grecs.
Zoe, militante au comité contre la torture policière fait les présentations. Une pétition circulera à la fin, elle contient déjà plus de 1500 signatures et parmi ceux qui se sont joints à leur cause, on dénombre d’imminentes personnalités, des scientifiques, des acteurs, des artistes en tout genre. Il est possible de la signer sur internet, en suivant ce lien.
« pas en 2012 »
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Dimitris Katsaris (photo okeanews)
Le premier intervenant est Dimitris Katsaris, l’avocat des 15 antifascistes arrêtés suite à une manifestation contre le fascisme et le racisme. Ce qu’il a vu, il ne peut le tolérer, « pas en 2012 » répète-t-il sans cesse. Il dit avoir « subi un choc ».
Et puis il raconte : le refus systématique qu’oppose la police à ses demandes d’entretien avec ses clients pendant plusieurs jours. Les humiliations subies par les 15 antifascistes. On les a battus, insultés, humiliés pendant des heures. Lui et ses confrères avocats ont tout fait pour rendre l’affaire publique. Mais la presse grecque est restée muette. Pourtant, « Les coups ont été répétés et continus, en particulier chez les femmes. Le comportement était totalement humiliant.» précise-t-il.
Il a fallu attendre que les photos des torturés soient publiées dans « The Guardian » pour que l’affaire éclate en Grèce. Réaction des pouvoirs publics : « Ce sont des mensonges. Tout ça n’est jamais arrivé ». Le ministre de l'ordre public Nikos Dendias à même menacé The Guardian de poursuites.
Comme si l’audience avait à son tour subit un choc, un silence de plomb fut l’unique réaction de la salle.
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Yannis Bourzoukos (photo Okeanews)
Yannis Bourzoukos prend ensuite la parole : « Je crois que la torture, ce n’est pas l’affaire d’une partie de la population mais c’est l’affaire de toute la population. On ne doit pas la combattre qu’en Grèce, ni même qu’en Europe, mais dans le monde entier ». Le reste de son intervention est bouleversante. Le fils de Yannis est l'un des quatre jeunes anarchistes arrêtés après un hold-up et torturés il y a quelques semaines et dont la police avait diffusé les photos retouchées. « Ils se sont rendus sans résistance. » précise Yannis.
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Les photos non retouchées des jeunes torturés
Une fois fois transférés à la station de police de Veria, ils l’ont fait s’agenouiller, une cagoule sur la tête. Ils lui criaient : « On veut jouer les fortes têtes, hein ? » Ils l’ont frappé pendant quatre heures et ne se sont arrêtés que parce qu’ils étaient fatigués. Et quand ils l’ont envoyé se nettoyer, ils lui ont dit : « Ne prends pas peur en te regardant dans la glace ». Par deux fois, une dizaine d’hommes cagoulés sont venus à leur domicile. Ils s’en sont pris à sa fille, ils réclamaient des informations sur son fils. Une femme, blonde, imposante, s’est avancée et a dit à sa fille : « Allez, dis au patron, sinon on a d’autres méthodes pour te faire parler. » Yannis Bourzoukos conclut par l’importance d’étendre la lutte contre les tortures policières à l’ensemble du monde.
La salle l’applaudit à tout rompre, comme pour lui signifier sa solidarité.
« Il faut que ça s’arrête ! »
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Dimitris Kopanas (photo Okeanews)
Puis, c’est un jeune homme de 30 ans, Dimitris Kopanas, qui prend la parole. Après son arrestation, il indique qu'il a d’abord été retenu pendant trois jours sans qu’il ne se passe rien, puis il a été placé dans une autre cellule où il a été battu sans arrêt. Les policiers n’ont laissé ni sa famille ni son avocat le voir pendant près d’une semaine, parce qu’il était trop amoché. Quand ils ont enfin levé l’interdiction, le 6ème jour, son avocat a demandé des explications sur son état physique. Ils ont dit qu’il était tombé dans les escaliers. « Comment j’aurais pu tomber dans les escaliers alors que je n’ai pas quitté ma cellule ? » S’indigne Dimitris. Dents cassés, contusions partout sur son visage et calculs rénaux furent le résultat de son séjour en prison dans laquelle il a vu des étrangers se faire torturer et tabasser jusqu’à tomber dans le coma. Il insiste pour parler des cellules bleues du service psychiatrique de la prison. Il y a passé 4 jours, nu, à subir la climatisation qui passe du chaud au froid toutes les 15 minutes. « Il faut que ça s’arrête ! » sera son mot de la fin.
« Les droits de l'homme sont l'affaire de tous »
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Paulos Klavdianos (photo okeanews)
Enfin, Paulos Klavdianos, journaliste torturé par la junte pour avoir écrit un article sur la torture prend la parole. « Quand on s’est retrouvés en prison avec mes confrères et mes compagnons, on se disait qu’après la dictature ça serait la fin des tortures. On pensait qu’après la dictature, les gens se rendraient compte que même s’il ne leur été rien arrivé personnellement, ils étaient concernés par la torture et que ça ne se reproduirait plus ». D’un air dépité, il conclut qu’aujourd’hui les gens se comportent de la même façon, que s’ils ne se sentent pas directement concernés, ils ne s’en mêlent pas, et c’est, d’après lui, précisément cela qui doit changer. Il faut que les droits de l’homme soit une évidence pour tous. Qu’ils soient respectés sans faire de distinction entre les Hommes, et que c’est l’affaire de tous.
Les quatre intervenants assis à la tribune s’étant exprimés, d’autres prirent la parole, les premiers étant inscrits sur la liste officielle des intervenants, les derniers s’exprimant spontanément. Dimitris Christopoulos, le président de la ligue des droits de l’Homme a ainsi déclaré : « Il semble que la violence policière raciale ou ethnique a cédé sa place à une violence de classe et une violence politiquement orientée. Nous voyons que l'idéologie de l'extrême droite entre dans la police. L'évolution de certaines pratiques devient la règle.».
Aphrodite Babassi fait partie d'une association qui aide les détenus : « 13000 prisonniers vivent dans des conditions terribles de surpopulation et de violations des droits de l'homme. Ces derniers jours, le ministère de la Justice a décidé de mettre l'EKAM[forces spéciales anti-terroriste] de Dendias [le ministre de l'ordre public] à l'intérieur des prisons et de procéder à des inspections inopinées au cours desquelles les détenus sont déshabillés et battus tout en étant menottés. Nous craignons que cette coopération va encore aggraver la situation. Il faut continuer à donner la parole aux prisonniers anonymes dans les prisons grecques et les centres de détention.».
Yannis Mouzalas, de Médecins du Monde, un universitaire de l’université de Londres, une doctoresse qui avait été appelée auprès des émigrés en camp de détention, diverses associations et un autre journaliste torturé durant la junte ont manifesté leur indignation vis-à-vis de ces pratiques policières et du silence des médias grecs à ce sujet, tous faisant bloc d’une seule et même voix.
Les anciennes générations, qui avaient connues la junte, et les nouvelles se confondaient à tel point que le journaliste qui avait été torturé, tenant à tout prix à remercier les participants et « surtout le jeune Dimitris », s’est tourné vers lui et lui a dit : « Nous avons connu la même prison. C’est comme si tu étais avec moi en 1967. ».