Le Monde.fr | 13.06.2012 à 13h25 • Mis à jour le 13.06.2012 à 13h25
Par Anne Michel
Le chef de l'Etat, François Hollande, en avait fait une question d'exemplarité, l'une des priorités du nouveau gouvernement. Mercredi 13 juin, un mois tout juste après son installation à Bercy, Pierre Moscovici, ministre des finances, a présenté en conseil des ministres le projet de décret visant à limiter les rémunérations des dirigeants des grandes entreprises publiques. Ce décret devrait être publié fin juin. Il s'appliquera aux contrats en cours.
Le texte instaure un plafond pour les patrons des entreprises dont l'Etat est l'actionnaire majoritaire. Leur salaire ne pourra être supérieur à vingt fois la moyenne des plus bas salaires de la quinzaine d'entreprises publiques concernées (EDF, la SNCF, La Poste, Areva, Aéroports de Paris, France Télévisions, La Française des jeux,etc.), soit, très précisément, des 10 % des salariés les moins bien payés (le premier décile).
Cette référence, qui prend en compte la réalité salariale de toutes les entreprises contrôlées par l'Etat - et non pas le plus bas salaire dans chaque entreprise concernée, comme prévu initialement -, permet d'éviter que certains dirigeants soient mieux payés que d'autres, parce que dans leur entreprise le salaire le plus bas est plus élevé qu'ailleurs. Un plafond commun est donc instauré pour l'ensemble des dirigeants du public, c'est une première.
S'exprimant à la sortie du conseil des ministres mercredi, Pierre Moscovici a précisé que le plafonnement des salaires des dirigeants du public serait fixé à 450 000 euros annuels "dès 2012 ou 2013 selon les sociétés". "Gagner 450 000 euros par an ne me paraît pas dissuasif si on veut avoir à la tête de nos entreprises des hommes et des femmes de qualité", a-t-il souligné.
Sans surprise en revanche, seuls les mandataires sociaux sont concernés, le gouvernement n'ayant ni la vocation ni les moyens juridiques de toucher aux contrats de travail. Cette restriction écarte du champ de la réforme les cadres dirigeants dont les salaires sont supérieurs à ceux des PDG, comme, chez EDF, les traders en électricité du groupe, bien mieux payés que leur patron.
En revanche, les dirigeants de filiales devront se conformer à la nouvelle règle, dès lors qu'ils sont mandataires sociaux - ce qui est le cas du patron de La Banque postale, Philippe Wahl, dont la rémunération est supérieure à celle du PDG de LaPoste, Jean-Paul Bailly. Au total, entre vingt et vingt-cinq dirigeants seront concernés.
DISCUSSIONS ANIMÉES
S'agissant des entreprises dans lesquelles l'Etat est minoritaire (GDF Suez, Renault, France Télécom, Safran, Air France-KLM, etc.), il reviendra au représentant de la puissance publique de tenter d'imposer au conseil d'administration l'adoption de la nouvelle règle. Les discussions s'annoncent animées.
Par ailleurs, M. Hollande espère que ces pratiques "de bonne gouvernance" se diffuseront dans le privé, où le rapport entre le salaire du dirigeant le mieux payé et le plus bas salaire peut aller de 1 à... 400 ! Pour ce faire, le gouvernement entend engager un débat au cours des prochaines semaines sur les rémunérations des patrons du secteur privé, dont les fameux bonus, qui défrayent régulièrement la chronique, et les stock-options.
Dans l'attente, munis de leur feuille de route, les patrons du secteur public vont s'emparer de leur calculette. N'ayant pas été associés à la préparation du décret, ils attendaient jusqu'ici de savoir quelle serait la référence choisie par le gouvernement. "Nous n'avons pas eu notre mot à dire, nous nous sommes contentés de fournir des chiffres à l'Agence des participations de l'Etat, indique ce proche d'un haut dirigeant. Il va de soi qu'on appliquera la réforme. On n'a pas le choix."
Il est déjà possible d'identifier les patrons qui devront se serrer la ceinture : Henri Proglio, le PDG d'EDF, dont la rémunération représente 63 fois le salaire minimum du groupe, Luc Oursel, le président du directoire d'Areva, Jean-Paul Bailly, le PDG de LaPoste, ou encore Jean-Pierre Graff, le PDG d'Aéroports de Paris.
De son côté, Stéphane Richard, le PDG de France Télécom, dont l'Etat est le premier actionnaire, avec 27 % du capital, a déjà indiqué publiquement, début juin, qu'il se conformerait à la décision de son conseil d'administration. Reconnaissant que son salaire de 1,5 million d'euros brut excédait largement le plafond envisagé par l'Etat, l'ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy s'est dit favorable à la réforme de la nouvelle majorité.
"Il faut croire à l'effet vertueux de la réforme, le décrochage des rémunérations des dirigeants du secteur public au cours des dernières années ne se justifie pas", estime Daniel Lebègue, président de l'Institut français des administrateurs.
Anne Michel