C’est une étude qui risque de faire beaucoup de bruit : dans sa dernière livraison du « Portrait social » de la France, qu’il publie chaque année, et que l'on peut consulter ici, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) révèle que les inégalités face au patrimoine se sont de nouveau creusées à très vive allure ces dernières années. L’étude vient donc ruiner une idée reçue selon laquelle les inégalités face au patrimoine sont considérables mais aussi globalement stables depuis quelque temps.
Ce « Portrait social » de la France, publié par l’Insee, ne se limite certes pas à cette seule question des inégalités de patrimoine. Formidable travail assis sur les enquêtes de l’institut, et les milliers d’études qu’il réalise chaque année sur tous les paramètres de la vie des Français, il présente un diagnostic méticuleux de toutes les conditions de vie des Français. Évolutions démographiques, mutations du marché du travail, changements des conditions de vie : c’est un tour d’horizon complet de la situation sociale de la France que dresse l’Insee.
Ce « Portrait social » est donc, en quelque sorte, chaque année, le garde-champêtre du débat public : il livre des statistiques incontestables sur toutes les grandes questions qui sont au cœur des controverses actuelles. Dans la livraison de cette année, on relèvera, en particulier, avec intérêt des statistiques impressionnantes sur les inégalités face à l’enseignement supérieur en fonction des origines sociales, les inégalités face à la mort ou encore les évolutions face aux inégalités salariales.
Mais c’est vrai que chaque année, le diagnostic sur les inégalités face au patrimoine retient plus particulièrement l’attention. Pour une raison qui n’a d’ailleurs rien de mystérieux : de toutes les inégalités, ce sont les plus spectaculaires. On se souvient en effet du chiffre qui est fréquemment avancé dans le débat public : on a coutume de résumer ces inégalités en rappelant que 10 % des Français parmi les plus riches détiennent à eux seuls 50 % des patrimoines français. Et depuis plusieurs années, c’est souvent cette même proportion qui est avancée, comme si ces inégalités étaient somme toute considérables mais relativement stables.
Or précisément, l’étude de l’Insee atteste que ce n’est pas le cas mais qu’à l’inverse, les plus riches ne cessent de devenir… de plus en plus riches, tandis que les plus pauvres suivent exactement le chemin inverse, en devenant encore plus pauvres.
Voici cette étude plus particulière sur l'évolution des inégalités face au patrimoine :
Les inegalites de patrimoine (*visible sur le site de Médiapart)
Globalement, l’étude fait ainsi apparaître que la masse de patrimoine brut détenu par les ménages a doublé en euros constants de 1997 à 2009, du fait essentiellement du boom de l’immobilier. Mais la hausse a été vertigineuse pour les très hauts revenus tandis qu’une baisse a été enregistrée pour les plus bas. D’où un formidable creusement de ces inégalités.
« En 2009, écrit l’Insee, les 10 % de ménages les mieux dotés possèdent en moyenne 35 fois plus de patrimoine que les 50 % de ménages les moins dotés, contre 30 fois plus en 1997. » L’Insee ajoute : « Cet accroissement des disparités est le résultat d’une polarisation entre les ménages propriétaires, qui ont bénéficié de l’envolée des prix de l’immobilier, et les ménages locataires. Entre 1997 et 2009, les inégalités de niveau de vie ont augmenté mais pas dans les mêmes proportions que les inégalités de patrimoine : le niveau de vie moyen des 10 % de personnes les plus aisées a progressé de 29 % (en euros constants), tandis que celui des personnes modestes, comme celui des personnes des déciles intermédiaires, a progressé de l’ordre de 20 %. »
Pour étayer sa démonstration, l’Insee publie un graphique impressionnant que voici :
Comme l’explique l’Insee, on constate sur ce graphique que les 10 % des ménages les plus riches ont vu « leur patrimoine immobilier contribuer à une hausse moyenne de 55 % de leur patrimoine entre 1998 et 2010 », en euros constants, tandis que leur patrimoine financier a contribué à une hausse moyenne de 13 % et les autres composantes de leur patrimoine de 24 %. Et au total, « leur patrimoine brut a augmenté en moyenne de 92 % en euros constants sur cette période ».
Ces chiffres donnent le tournis. Au total, en près de douze ans, les 10 % les plus riches ont donc vu leur patrimoine presque doubler en euros constants. Et plus généralement, les 50 % des Français parmi les plus riches ont enregistré des évolutions presque aussi favorables.
Mais en revanche, le graphique établit avec précision que pour les 30 % les plus pauvres, leur patrimoine en euros constants a stagné ou même pour la plupart d’entre eux a baissé. Le constat de l'Insee est le suivant : « La masse détenue par les 30 % de ménages les moins bien dotés a augmenté à un rythme légèrement inférieur à l’inflation en douze ans. En effet, ces ménages ne possèdent pratiquement pas d’actif immobilier, et n’ont par conséquent pas bénéficié de l’envol des prix de l’immobilier sur les 12 dernières années. Par ailleurs, leur patrimoine est essentiellement constitué d’actifs financiers détenus sur des compte-chèques ou des livrets d’épargne réglementés, dont le rendement suit l’inflation. Ainsi, en euros constants, la masse de patrimoine qu’ils détiennent s’est tassée sur la période. »
L'Insee ajoute : « La composante financière a également contribué au creusement des inégalités de patrimoine, mais dans une moindre mesure. Ainsi, en 12 ans, le patrimoine financier détenu par les 10 % des ménages les mieux dotés en patrimoine a crû en euros constants de 72 %, contre seulement 21 % pour celui détenu par les 10 % des ménages les moins bien dotés. »
CQFD ! Les riches sont devenus encore plus riches. Et les pauvres encore plus pauvres. Terrible radiographie d’une époque !