Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
Source : blogs.mediapart.fr/blog/marie-anne-kraft
La justice américaine poursuit BNP Paribas pour violation d’embargo à l’égard de l’Iran, de Cuba et du Soudan et menace la banque d'une amende record de 10 milliards de dollars. Pour des transactions de négoce notamment en pétrole effectuées hors des Etats-Unis, mais libellées en dollar. BNP-Paribas a respecté la loi française, européenne, internationale, mais aurait contrevenu à la loi américaine par le biais de l'utilisation du dollar, car la monnaie est compensée sur le sol américain, sur des comptes de correspondants bancaires ou des plateformes de compensation.
Ainsi, la justice américaine met en œuvre une vision extensive de ses compétences, et considère que toute utilisation du dollar relève des lois américaines. Mais comme le dit le très bon article de Mediapart, cela pourrait avoir des conséquences bien plus lourdes que ne l’anticipent les États-Unis :
"Le statut du dollar comme seule monnaie de réserve internationale est contesté. Déjà plusieurs pays pétroliers parlent de libeller leurs échanges en euros. L’Iran a déjà commencé à le faire. La Chine et la Russie ont signé un accord, il y a quinze jours, pour négocier leurs échanges dans leur monnaie, en se passant de la monnaie américaine. Elles appellent tous les pays émergents – Brésil, Afrique du Sud, Asie – à venir les rejoindre, afin d’échapper à la tyrannie du dollar et de protéger leur économie des mouvements excessifs des capitaux. Si le dollar, déjà perçu comme une monnaie dépréciée, devient aussi une monnaie dangereuse, ouvrant la porte à toutes les poursuites, en dehors du droit international, le mouvement de fuite pourrait s’accélérer. Les banques européennes pourraient s’y rallier. Pour les États-Unis, les poursuites contre BNP Paribas deviendraient alors plus contre-productives qu’ils ne le pensent. Cela pourrait même s’appeler se tirer une balle dans le pied."
En effet, c'est grâce à l'utilisation du dollar pour une grosse part du commerce international que les Etats-Unis peuvent vivre facilement à crédit à un taux raisonnable, avec un déficit public permanent financé par émission de titres du Trésor américain. Les exportateurs, notamment les pétroliers, le gouvernement chinois, créanciers pas seulement à l'égard de débiteurs américains mais aussi d'autres pays, ont donc des dollars à placer qui naturellement achètent ces titres du Trésor américain.
Si le commerce international, notamment de matières premières et de pétrole, changeait de monnaie et décidait d'utiliser l'euro à la place du dollar pour une part importante réalisée en dehors des Etats-Unis, les créanciers trouveraient facilement à placer cet argent du fait du stock important des dettes publiques libellées en euro et encore émises en quantité après la crise de 2008. L'euro pourrait dépasser le dollar comme monnaie de réserve internationale. Le FMI estime que sur environ 10 000 milliards de dollars en 2012 de réserves de devises stockées dans le monde, 61% le sont en billets verts. L'euro, qui vient en deuxième position, représente tout juste 27% du montant. Or la dette américaine a dépassé 17 000 milliards de dollars en 2013. La moitié environ étant détenue par des investisseurs étrangers, dont des Etats (Chine, Japon, pays pétroliers). A titre de comparaison La dette publique en euro des Etats de la zone euro représentait 8 600 milliards d'euros en 2012 (soit 11 200 milliards de dollars). Une augmentation de la demande de placement en titres d'Etat en euro aurait un effet baissier sur le taux d'intérêt et a contrario une baisse de la demande d'achat de T-bonds et T-Bills américains aurait un effet haussier sur le taux d'intérêt américain, renchérissant la charge financière de la dette.
Un autre scénario pourrait voir le jour mais à plus longue échéance car difficile sans l'accord des Etats-Unis, celui de la création d'une monnaie mondiale fonctionnant comme un panier de monnaies, de la même manière que l'ECU avant la naissance de l'euro, qui était utilisé non seulement pour libeller des émissions obligataires mais aussi dans des transactions internationales, compensé par la BRI. Le FMI a déjà une forme de monnaie composite avec les DTS (droits de tirages spéciaux) mais limitée (voir explication dans mon article "Plaidoyer pour une monnaie mondiale" écrit en 2009. L'inconvénient étant qu'on ne peut rien faire au FMI sans l'accord des Etats-Unis. Ces derniers sont très réticents à cette idée car ont peur de ne plus pouvoir emprunter à leur guise et à tout le moins de voir le coût de leur dette augmenter.
Quel que soit le scénario, si les négociateurs internationaux en matières premières, les pétroliers, la Chine et les pays émergents, et même les entreprises exportatrices en général, s'inquiètent du risque de se voir infliger des énormes amendes par les Etats-Unis du fait simplement d'avoir utilisé le dollar et de risquer de ne pas être en règle avec la loi américaine, ils vont se tourner sérieusement vers d'autres monnaies d'échange. Cela pourrait bien provoquer une grave crise monétaire et budgétaire aux Etats-Unis. L'affaire BNP-Paribas pourrait bien être le déclencheur d'un grand bouleversement monétaire géopolitique, celui de la remise en cause de la suprématie du dollar.
Source : blogs.mediapart.fr/blog/marie-anne-kraft