Romaric Godin
Le parti Pirate, opposé à la limitation du téléchargement sur Internet, est désormais crédité de 13 % des voix outre-Rhin, malgré son programme pour le moins obscur. Pour l'instant, Angela Merkel a toutes les raisons de se réjouir de cette nouveauté dans le paysage politique.
C’est un nouveau coup de tonnerre dans le paysage politique allemand. Ce mardi, un sondage réalisé par l’institut Forsa pour l’hebdomadaire Stern fait du parti Pirate la troisième force politique de la république fédérale. Selon cette enquête, ce parti qui défend avant tout la liberté de téléchargement sur Internet, obtiendrait aux élections fédérales 13 % des voix. Derrière les deux grands partis, les Chrétiens-démocrates d’Angela Merkel (36 %) et les Sociaux-démocrates (24 %), mais devant les Verts (11 %), Die Linke, le parti de gauche (8 %) et les Libéraux (5 %).
L’effet berlinois
Le phénomène « pirate » est un véritable chambardement politique outre-Rhin. Jamais une force politique ne s’était imposée avec autant de force et de rapidité dans le paysage politique depuis la guerre. Lors des dernières élections fédérales de septembre 2009, elle constituait encore un de ses petits partis auxquels parfois les Allemands et les médias ne prêtent guère attention. Ils avaient certes réalisé, pour un premier essai, un score honorable, 2 % des voix, mais c’était encore insuffisant pour que l’on parle d’eux. Du reste, jusqu’au 18 septembre 2011, le parti est resté dans le même anonymat et n’a guère dépassé les 2 % des voix lors des sept élections régionales qui se sont alors tenues. Jusqu’à cette élection de la chambre des députés de Berlin. Ce jour-là, à la surprise générale, les Pirates obtiennent 8,6 % des voix et envoient 15 députés au parlement régional.
Enracinés dans le paysage politique
Les projecteurs des médias se braquent alors sur ces nouveaux élus qui tranchent avec les politiciens établis. Jeunes, ils arrivent en vêtements décontractés dans l’assemblée et parlent sans langue de bois ni langage châtié. On s’étonne de leurs méthodes, comme celle qui consiste à établir leurs propositions par des procédures en ligne très souples. Rapidement, le phénomène prend une ampleur nationale. Beaucoup pensaient que le phénomène pourrait se limiter à Berlin, ville des « marginaux ». Mais il n’en est rien.
Les instituts de sondages commencent à intégrer dans leurs questionnaires ce parti qui dépasse très vite les 5 % des intentions de vote nécessaire pour l’entrée au Bundestag. Début mars, le phénomène est confirmé par les élections régionales en Sarre, Land ouvrier en théorie peu ouvert aux thèmes développés par les Pirates. Ces derniers glanent alors pourtant 7,4 % des voix et 4 députés régionaux. L’irruption des Pirates dans le paysage politique allemand est confirmée. Lors des prochaines élections en Rhénanie du Nord Westphalie, le Land le plus peuplé du pays, le 13 mai prochain, les Pirates visent 6,5 % des voix contre 0,9 % en mai 2010. Ils pourraient être les arbitres de la constitution de la coalition gouvernementale.
Melting-pot idéologique
Qui sont ces Pirates ? Le parti a été fondé en Suède en 2006 pour lutter contre la limitation des téléchargements sur Internet. C’est toujours aujourd’hui un des éléments principaux de son programme politique outre-Rhin. Les Pirates défendent un droit illimité au téléchargement et propose de « soutenir » la culture par des subventions. De façon générale, leurs positions sont un mélange plus ou moins heureux d’idées d’extrême gauche (suppression des réformes Hartz IV, création d’un revenu minimum sans conditions,...), d’écologisme (refus total du nucléaire, défense des ressources naturelles) et de libéralisme économique (combat contre les monopoles) et sociétal (exigence de transparence dans la politique et les affaires).
Depuis que les Pirates ont pris de l’importance dans l’opinion, les médias allemands ne se privent pas de montrer les limites et les errements de ce nouveau venu. La semaine passée, le Handelsblatt a publié la contribution d’acteurs de la culture en faveur du droit d’auteur et la publication d’une plainte pour sexisme au sein du parti a fait les choux gras de la presse. Du reste, les déclarations parfois incohérentes et outrancières de certains dirigeants de ce parti, l’un jugeant les juifs « peu sympathiques », l’autre prônant une « le bombardement atomique de la bande de Gaza » entretiennent les doutes sur le sérieux de cette formation qui reste extraordinairement muette sur le sujet de la crise de la dette européenne.
Electorat volage
Et pourtant, rien ne semble pouvoir stopper l’envolée du parti Pirate outre-Rhin. Qui sont ceux qui sont séduits par cette formation ? Cette grande partie de l’électorat, d’inspiration plutôt libérale, parfois libertaire, qui ne se reconnaît plus dans les grands partis traditionnels hiérarchisés et établis. Ce sont eux qui, en 2009, ont porté le parti libéral FDP à son record de 14,9 % des voix sur ses promesses de baisses d’impôt et de société plus ouverte. Déçus par l’exercice du pouvoir des Libéraux, ils se sont alors tournés vers les Verts, jugés plus « rebelles ».
Début 2011, portés également par Fukushima, les Ecologistes ont ainsi dépassé le SPD en Bade-Wurtemberg. Dans les sondages, ils étaient alors crédité de 24 % des voix au niveau fédéral. Mais là aussi, le caractère modéré et établi des Verts a détourné une grande partie de cet électorat. Aujourd’hui, les Verts sont proches, voire en deçà, de leur niveau de 2011 (12,1 %). Ceux qui les soutenaient voici moins d’un an ont désormais rejoint les rangs « pirates ». Parallèlement, la popularité des deux grands partis est resté assez stable : autour de 35 % pour la CDU et de 25 % pour le SPD.
Une chance pour Angela Merkel
C’est dire néanmoins si le succès des Pirates est fragile, car cet électorat est très volatil. En Suède, le parti Pirate avait atteint 7,4 % en 2009 aux élections européennes, avant de plafonner à 0,6 % des voix l’an prochain aux élections législatives. Pour résister au choc de leur nouveau pouvoir, les Pirates vont sans doute devoir un peu plus structurer leur programme et leur organisation. Au risque de, eux aussi, décevoir, ces électeurs si volages. En attendant, leur irruption fait une heureuse : Angela Merkel. Car en affaiblissant les Verts, elle réduit la force de la coalition Verts-SPD. Et comme pour le moment, les Pirates refusent d’entrer dans le jeu des coalitions, cela fait les affaires de la chancelière. Depuis ce week-end, sa propre coalition avec les Libéraux, dépasse d’ailleurs pour la première fois depuis deux ans son concurrent de centre-gauche. Mais avec six partis au Bundestag, du jamais vu depuis 1953, la constitution d’une coalition majoritaire relèvera de la gageure, à moins de revenir à la grande coalition CDU-SPD. Une option qui ne devrait pas déplaire à Angela Merkel qui avait fort bien gouverné, entre 2005 et 2009, avec les Sociaux-démocrates. D’autant que l’avance considérable de son parti sur le SPD lui assurerait de demeurer locataire de la chancellerie. Une perspective qu’elle désespérait de pouvoir imaginer depuis deux ans.
10/04/2012, 17:11