Reportage, Académie française, Paris
Mardi matin 19 novembre, un colloque sur les plantes génétiquement modifiées se tenait à l’Institut de France, sous l’égide de l’Académie des Sciences, de l’Académie d’Agriculture de France et de l’Académie des technologies. Sous les lustres en or et les portraits d’illustres savants tels Lavoisier, Turgot ou Voltaire, il était question de mutagénèse, de marqueur moléculaire, de fragments chromosomiques et de variabilité génétique. Il s’agissait notamment de promouvoir l’amélioration des plantes par le « génie génétique, qui permet de favoriser des variétés adaptés au changement climatique et de répondre ainsi aux besoins de l’agriculture durable », selon André Gallais, professeur honoraire d’AgroParisTech.
Dehors, l’ambiance est beaucoup moins calme. Une vingtaine de membres de la Confédération Paysanne sont bloqués par un cordon policier leur interdisant l’entrée. Les forces de sécurité sont deux fois plus nombreuses que les représentants syndicaux.
Derrière une banderole affichant le message « Les plantes mutées sont des OGM », la revendication de la Confédération Paysanne est simple : participer aux échanges sur la question pour faire entendre un point de vue opposé aux OGM. L’entrée leur est d’abord refusée : « Le colloque est un débat scientifique alors que les manifestants portent un message citoyen, ils font du social, cela n’a pas sa place ici », justifie l’attachée de presse de l’Institut de France. La directrice des services administratifs de l’Institut poursuit : « Ici, c’est le parlement des savants, on ne peut pas laisser la parole aux membres de la Confédération, car il faut avoir un certain niveau d’expertise. Leur propos ne porte pas sur le même niveau, il y a des choses qu’on ne peut pas laisser dire ici sur les OGM ».
Deux membres de la délégation sont finalement autorisés à rejoindre la grande salle des séances. Dans une brève allocution, Laurent Pinatel, porte-parole du syndicat, regrette de devoir « faire le coup de poing pour pouvoir s’exprimer ». Sur les deux minutes qui lui sont allouées, il concentre son discours sur l’absence de transparence des pouvoirs publics alors qu’il existe un refus populaire des OGM : « Les citoyens rejettent massivement ces biotechnologies et les pollutions qu’elles induisent ».
Guy Kastler est le responsable sur les semences à la Confédération Paysanne. Il explique que les plantes mutées sont des OGM au sens de la définition qu’en donne la Commission européenne dans la directive 2001/18. Alors que la transgénèse reste interdite par la réglementation, la mutagénèse permet selon lui de contourner la loi pour produire des « OGM clandestins ». Il dénonce l’opacité des informations quant à l’utilisation de cette technique : « Il n’y a aucune traçabilité, donc il est difficile d’avoir des chiffres exacts. Mais tout le riz cultivé en France et tout le colza autorisé sont par exemple issus de mutagénèse. On estime que plus du tiers de notre alimentation vient des plantes mutées. Or si on ne peut pas établir des preuves de toxicité pour l’instant, il est scientifiquement prouvé que la mutagénèse a plus d’effets indirects que la transgénèse ».
Quelques minutes après cet incident, un ancien ingénieur agronome devenu expert en biologie cellulaire, et membre de l’Académie d’agriculture, Jean-Claude Mounolou décrypte pour Reporterre les conceptions qui s’entrechoquent sur la question de la modification génétique du vivant.
Il y a d’abord, selon lui, les chercheurs en biologie moléculaire qui travaillent sur les méthodes de sélection, à l’échelle microscopique des génomes. Leur objectif est de développer les connaissances dans ce domaine. Ils représentaient l’importante majorité des participants du colloque.
Ensuite, ce qu’il appelle les écologistes, qui réfléchissent aux milieux naturels, aux réserves de biodiversité. L’enjeu des plantes génétiquement modifiées pose pour eux la question de la diversité du vivant, le risque d’une généralisation des OGM étant d’aboutir à l’uniformité des paysages et des milieux agricoles.
Et puis, il y a les agriculteurs-paysans, qui s’inquiètent d’un certain modèle social issu du développement de ces cultures. Il s’agit de savoir comment tirer un revenu suffisant pour vivre quand les semences brevetées réduisent toujours plus l’autonomie de leur profession. « Ils ressentent les OGM et PGM comme une façon d’être toujours plus exploités, à juste titre », reconnaît le scientifique.
Pour Jean-Claude Mounolou, ces trois approches sont légitimes et doivent exister. Elles peuvent ne pas être contradictoires en soi, bien qu’elles s’opposent sur l’angle d’approche du problème. Se pose alors la question de l’arbitrage et de l’utilisation des avancées de la science, qui, par définition, ne doit pas être contrainte dans ses recherches ? « C’est le citoyen qui doit trancher, à travers le pouvoir politique, et avec l’aide des médias. Au fond, la question n’est pas tant de régulation que d’éducation ».