LE MONDE | 16.04.2012 à 11h15 • Mis à jour le 16.04.2012 à 14h22
Par Clément Lacombe
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Top départ : les premiers contrats "futures" sur la dette française, qui permettent de miser sur la hausse ou la baisse des emprunts d'Etat à l'avenir, ont été échangés lundi 16 avril sur le marché allemand des produits dérivés Eurex. Les volumes d'échange ont été très faibles à l'ouverture, comme l'attendaient les spécialistes du marché obligataire, et ce nouveau produit évoluait à des taux en légère baisse par rapport à son premier cours.
L'outil a toutefois suscité une vague de protestation dans les rangs de la gauche comme de l'extrême droite, où l'on juge qu'il favorisera la spéculation. François Hollande a déclaré, dans un entretien à Mediapart, qu'il allait demander à Berlin de l'interdire. Les autorités locales n'ont toutefois pas de tels pouvoirs, indique-t-on outre-Rhin. Pour leurs défenseurs, ces contrats sont des outils de couverture du risque, qui permettent de fixer aujourd'hui le prix d'un produit dont on ne prendra livraison qu'ultérieurement.
Face à la polémique, François Baroin, le ministre des finances, a expliqué, vendredi 13 avril, que Bercy "n'avait aucun pouvoir d'autorisation ou d'interdiction concernant l'initiative d'une plate-forme boursière privée". L'Autorité des marchés financiers (AMF) avait fait savoir, un peu plus tôt, qu'elle n'avait pas non plus ce pouvoir.
"Si j'avais pu interdire ce contrat, je l'aurais interdit, explique Jean-Pierre Jouyet, le président de l'AMF. Ce dossier révèle une faille politique, avec l'absence de pouvoir européen permettant d'interdire ou de suspendre ce genre de produits lors de périodes délicates. Mais ce dossier a aussi une dimension symbolique, il démontre l'insuffisante solidarité européenne en ces temps de crise."
"FORTE DEMANDE"
Pour justifier sa démarche, Eurex a fait savoir que ce lancement "répond[ait] à une forte demande des acteurs de marché français et autres acteurs européens, à la recherche d'un outil de protection adapté". Ces contrats sur la dette française existaient déjà dans les années 1990, avant d'être abandonnés lors de la création de l'euro, contrairement au même produit basé sur les titres allemands qui, lui, a été maintenu.
Comme tous les pays de la zone euro se finançaient alors à des taux quasi identiques, les investisseurs se couvraient en achetant des "futures" sur la dette allemande. Des contrats sur la dette italienne ont d'ailleurs été lancés, en 2009, quand les taux de Rome ont commencé à diverger. A Paris, avant l'explosion de la crise, on expliquait souvent le très léger écart entre les taux allemands et français par l'avantage lié à ce contrat...
A l'Agence France Trésor (AFT), chargée de gérer la dette de l'Etat, on explique avoir été prévenu par Eurex très peu de temps avant l'annonce du lancement du produit, le 21 mars. "Si l'AFT considère que le produit d'Eurex est nocif, elle pourrait le dire haut et fort, juge l'eurodéputé Pascal Canfin (EELV). Elle aurait aussi les moyens politiques de le freiner, par exemple en faisant pression sur les banques plaçant la dette française pour qu'elles ne participent pas à ce marché." Interrogés pour savoir si ce contrat était ou non une bonne chose, l'AFT et le cabinet du ministre des finances n'ont pas donné suite.
Les investisseurs avaient jusqu'ici deux outils pour parier contre la France : les credit default swaps (CDS), contrats d'assurance contre le défaut d'un emprunteur, et la vente à découvert (la vente aujourd'hui d'un titre qu'on achètera dans trois mois). Le marché organisé d'Eurex, plus accessible techniquement, ouvrirait la porte à de nouveaux acteurs. Chez les banquiers spécialisés, on juge toutefois que ceux intervenant sur le marché de la dette avec de gros moyens avaient déjà accès aux autres outils. "'Future' ou pas, si des gens veulent vendre la France, ils la vendront", glisse l'un d'eux.
Clément Lacombe
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