C'est un nouveau coup de canif à l'image déjà bien abimée du diesel. La Cour des comptes, dans un rapport dévoilé par Libération vendredi 1er mars, critiquee "la perte de recettes fiscales", de près de 7 milliards d'euros en 2011, liée aux exonérations dont bénéficient les véhicules diesel. Alors que le principe de la réduction progressive de l'écart de taxation entre l'essence (0,60 euro par litre) et le gazole (0,42 euro par litre) a été entériné en 1999, le différentiel reste ainsi supérieur à l'écart moyen communautaire.
Et les magistrats de la rue Cambon d'épingler une politique fiscale française sur l'énergie qui "répond davantage au souci de préserver certains secteurs d'activité qu'à des objectifs environnementaux".
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En France, les moteurs diesel équipent aujourd'hui près de 60 % du parc automobile (contre 4,8 % en 1980) et pèsent pour 73 % dans les nouvelles immatriculations (contre 55 % pour la moyenne européenne).
Pourtant, les études scientifiques se sont multipliées depuis vingt ans pour dénoncer la nocivité de ce carburant, notamment responsable d'importantes émissions de particules fines - des particules de 2,5 µm ou 10 µm de diamètre qui, inhalées, s'avèrent dangereuses dans la mesure où elles peuvent se fixer sur les poumons et provoquer des maladies respiratoires.
NOVICITÉ DÉNONCÉE
Dès 1988, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), l'agence pour le cancer de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), classe les émissions des moteurs diesel parmi les cancérogènes probables pour l'homme. En 1997, le Comité de prévention et de précaution, mis en place par Corinne Lepage ministre de l'environnement du gouvernement Juppé, attribue aux particules émises par le gazole "une vaste gamme d'effets sanitaires", notamment des crises d'athme, des pathologies respiratoires et surtout une surmortalité par affections cardio-vasculaires ou cancer du poumon.
Des alertes qui prennent tout leur poids en 2006, quand l'OMS chiffre pour la première fois l'impact sanitaire de la pollution atmosphérique : les dépassements de particules entraînent 350 000 morts prématurées par an en Europe, dont environ 42 000 en France. Dans un avis en 2009, l'Agence française de sécurité sanitaire, de l'environnement et du travail (Afsset) évoque à son tour "l'impact sanitaire des particules dans l'air (...) dès des niveaux moyens de pollution". L'agence ajoute que si "un bénéfice sanitaire peut être attendu de la mise en œuvre de dispositifs de dépollution incluant un filtre à particules sur les véhicules diesel", celle-ci s'accompagnait "d'une surproduction de dixoyde d'azote (NO2)", avec des "effets toxiques sur le système respiratoire".
Mais ce n'est qu'en juin dernier que la dangerosité du gazole est définitivement entérinée : les gaz d'échappement des moteurs diesel sont alors classés parmi les "cancérogènes certains" pour les humains par le CIRC. "Les preuves scientifiques sont irréfutables et les conclusions du groupe de travail ont été unanimes : les émanations des moteurs diesel causent des cancers du poumon, déclare alors le Dr Christopher Portier, qui le présidait. Etant donnés les impacts additionnels pour la santé des particules diesel, l'exposition à ce mélange chimique doit être réduite dans le monde entier."
Lire : Les gaz d'échappement diesel classés cancérogènes par l'OMS
INCITATION FISCALE
Pourquoi alors, en dépit de ces nombreuses alertes, le parc automobile français n'a-t-il cessé de se diéséliser ? La raison réside dans un choix politique, influencé par des lobbies économiques. Dans les années 50, lorsque l'Etat crée la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers) puis, plus tardivement, la TVA (taxe sur la valeur ajoutée), les professionnels de la route (routiers, taxis, commerçants ou VRP) s'organisent pour obtenir une modulation de ces taxes. Ils obtiennent ainsi des avantages fiscaux sur le gazole, principale source d'énergie de leur outil de travail. Plus cher à produire que l'essence, le diesel se voit alors vendu moins cher grâce à une fiscalité préférentielle.
Autre lobby incontournable pour l'Etat français : l'industrie automobile nationale. Au milieu des années 1990, Peugeot et Renault se lancent à plein régime dans les moteurs alimentés au gazole, synonymes de réduction des consommations, d'augmentation de la puissance et d'autonomie record. Des filtres à particules sont installés sur les pots d'échappement pour faire taire les critiques.
"L'Etat a fait le choix de soutenir ses constructeurs, et donc les emplois, contre la santé. Et ce, en dépit du coût de la pollution atmosphérique pour la société française", regrette Patrice Halimi, chirurgien-pédiatre et secrétaire général de l'Association santé environnement France.
Le diesel connait alors une ascension fulgurante, encore renforcée par un dernier mécanisme : le "bonus-malus écologique". Fondé sur le seul CO2, ce mécanisme, mis en place par le Grenelle de l'environnement dès le 1er janvier 2008, procure au diesel un avantage décisif par rapport au sans-plomb en raison de ses moindre émissions de gaz à effet de serre. En revanche, les émissions d'oxyde d'azote, pour lequel le bilan du diesel est autrement plus dégradé, sont ignorées.
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TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
Avec le rapport de la cour des comptes, cette hégémonie pourrait donc cesser. Jeudi, la ministre de l'écologie, Delphine Batho, a jugé "incontournable" l'alignement "progressif" de la fiscalité du diesel sur celle de l'essence, estimant que c'était une question "de santé publique" avant d'être une question fiscale.
Sans compter que la nouvelle norme européenne d'émissions maximales, Euro6, qui entrera en vigueur en septembre 2014, va renchérir le coût de fabrication des moteurs diesel, incitant les constructeurs à réinvestir dans les mécaniques essence.
"Nous n'avons plus le temps pour d'autres rapports : il est urgent de sortir de la niche du diesel et d'aller vers des transports plus propres, avertit Patrice Halimi. Cette transition énergétique doit être accompagnée par le gouvernement : le consommateur ne doit pas être le seul à pâtir d'un choix dont il n'est pas responsable."