Liliane Bettencourt et les gros donateurs de la majorité ont dû sentir le vent du boulet. Cette semaine, les députés UMP ont failli s'en prendre au financement des micro-partis et s'attaquer aux avantages fiscaux dont jouissent leurs bienfaiteurs. Et puis, non. L'amendement concocté en commission des Finances a été enterré en séance, jeudi 20 octobre. En le votant, l'UMP se serait tiré une balle dans le pied. À la place, elle a promis de créer un «groupe de travail» et de réflexion d'ici décembre.
De cet avantage fiscal, on ne parle jamais. Il est pourtant conséquent. Depuis des années, tout citoyen qui effectue un don à son parti préféré peut déduire de ses impôts 66% de la somme injectée. La loi ayant plafonné les dons à 7.500 euros par an et par formation politique, les réductions d'impôts engendrées devaient, sur le papier, rester raisonnables.
Mais c'était sans compter sur l'explosion récente des micro-partis (pompes à financements dédiées à un seul homme politique), majoritairement de droite, qui sont venus bouleverser la donne. Au lieu de signer un seul chèque de 7.500 euros par an à l'UMP, Liliane Bettencourt a pu, par exemple, multiplier les versements à destination des micro-partis d'Éric Woerth (dans l'Oise) ou de Nicolas Sarkozy (à Neuilly). Un véritable effet d'aubaine, puisque chaque chèque entraîne une réduction d'impôts. La loi a certes fixé une limite, mais qui paraît bien lâche: on peut, par ce biais, défiscaliser jusqu'à 20% de ses revenus déclarés. «Une véritable niche fiscale!», aux yeux du député socialiste Jean Launay.
«Il y a des abus», a reconnu jeudi Charles de Courson (Nouveau Centre), tandis que le rapporteur général du budget, Gilles Carrez (UMP), lâchait aussi: «C'est trop.»
Combien cette niche fiscale coûte-t-elle à l'État aujourd'hui? Impossible à dire. Aucune statistique n'est disponible à Bercy, même pour les députés. «Nous n'avons pas ces chiffres, reconnaît Marc Le Fur (UMP), auteur de l'amendement examiné jeudi par l'Assemblée (et donc rédigé à l'aveugle). Je ne suis même pas sûr que ce soit calculable.» Le ministère des Finances, sollicité par Mediapart, n'a pas répondu à nos questions: quel est le nombre de bienfaiteurs de partis politiques à profiter de cet avantage fiscal chaque année? Quel est le montant global des déductions d'impôts engendrées par ce biais? Quelle est la plus grosse réduction accordée à un contribuable? Certains riches donateurs arrivent-ils à alléger leurs impôts de dizaines de milliers d'euros? Zéro réponse. Seul repère: l'ensemble des réductions d'impôts offertes par Bercy «au titre des dons aux œuvres» (qu'elles soient humanitaires, scientifiques, philanthropiques, politiques ou autres) atteignent le milliard d'euros.
En début de semaine, Marc Le Fur (UMP) avait donc rédigé un amendement visant à «plafonner l'avantage fiscal au titre des dons aux partis», «pour éviter les excès», explique-t-il à Mediapart, en prenant soin de ne pas lâcher les mots «Bettencourt» ou «Premier cercle» (structure regroupant les plus gros donateurs de l'UMP).
Son amendement, imaginé à la demande de la commission des Finances, revenait à supprimer tout avantage fiscal une fois passée la barre des 15.000 euros de dons par personne. «Je ne vois pas pourquoi il faudrait limiter les dons aux micro-partis; ils sont légitimes, utiles au pluralisme, et ont permis aux socialistes de financer leurs primaires, détaille le député UMP. En revanche, l'avantage fiscal, lui, ne me semble plus légitime au-delà d'une certaine limite.» Une fois dans l'hémicycle jeudi, la ministre du Budget a cependant sifflé la fin de la récré: «Je demande le retrait de cet amendement», a lancé Valérie Pécresse, au nom du gouvernement. Marc Le Fur l'a donc remballé, sans même que l'Assemblée vote.
Pécresse: «Il y a en effet quelque chose à moraliser»
Les socialistes, de toute façon, ne voulaient pas de cette micro-avancée. Le député Christian Eckert, en particulier, avait sorti sa calculette: «Si j'ai bien compris, pour un couple avec deux enfants majeurs, votre amendement permet encore une déduction fiscale (sur) 60.000 euros!» «Inadmissible», pour tous les bancs de gauche.
En défiscalisant ces dons, c'est une subvention indirecte que l'État verse aux partis. «Or il est fort probable que l'UMP soit le premier bénéficiaire de ce système», a dénoncé jeudi l'écologiste François de Rugy. D'après les derniers chiffres disponibles, c'est effectivement le parti présidentiel qui empoche le plus de chèques, de très loin: 7,17 millions d'euros en 2009, contre 4,49 millions pour le Parti communiste, 447.000 euros pour le PS, 232.000 pour le MoDem, 207.000 pour les Verts ou 85.000 pour le FN.
Il faut toutefois rappeler (quitte à ouvrir une parenthèse) que le PS, de son côté, reçoit 15 millions d'euros de cotisations de la part de ses élus «maison» – des contributions «volontaires» qui ouvrent également droit à réduction fiscale. Avec 1,7 million d'euros de cotisations récoltées dans ses rangs, l'UMP coûte – de ce point de vue-là – bien moins cher à l'État. Jeudi, Martine Billard (Parti de gauche) s'est d'ailleurs offusquée de l'ampleur des réductions d'impôts dont bénéficient les élus: «Avec les (cotisations) à mon parti, je finis par payer moins d’impôts que lorsque je touchais, avant d’être députée, un petit salaire!»
À l'issue de la discussion, la droite a préféré reporter toute réforme et promettre la mise en place d'un «groupe de travail», dont on ne connaît pas les contours, supposé proposer des pistes pour le collectif budgétaire de décembre. En clair, toute décision est renvoyée aux calendes grecques. «À titre personnel», Valérie Pécresse aura tout de même glissé qu'il «n'était pas question que les micro-partis servent à détourner la loi pour permettre aux parlementaires de se constituer une petite cagnotte personnelle, défiscalisée de surcroît». Celle qui avait créé le sien à l'occasion des régionales de 2010 (avec un plus grand souci que d'autres de la transparence) a reconnu: «Il y a en effet quelque chose à moraliser derrière le fonctionnement de ces structures...»
Les Verts, pour leur part, ont annoncé le dépôt d'une proposition de loi d'ici quelques semaines, «visant à mettre un terme aux abus et contournements de la loi sur le financement des partis politiques». Pour toute la gauche, unanime, la solution est en réalité limpide: plafonner les dons à 7.500 euros tous partis confondus, une bonne fois pour toutes.