Source : www.reporterre.net
Philippe Desfilhes (Reporterre)
vendredi 27 juin 2014
Jouer sur les catastrophes naturelles à venir pour s’assurer un bon rendement quand les marchés boursiers flageolent : c’est la dernière mode chez les assureurs et les financiers. Bienvenue dans le monde des cat bonds, les placements sur la catastrophe !
On connait Axa, cette compagnie française d’assurances qui est une des premières du monde. Mais qui sait qu’en novembre dernier, Axa a battu un record en matière de levée d’argent sur les marchés financiers ? Pour se prémunir contre les risques de tempête en Europe, l’assureur français a émis une « obligation-catastrophe » (en anglais « catastrophe bond » ou « cat bond ») de 350 millions d’euros, un montant record en Europe.
Le deal avec les investisseurs est simple. Si d’ici fin 2016 ou d’ici fin 2017 (le cat bond d’Axa se décompose en deux classes de 185 millions et de 165 millions), aucune tempête n’occasionne de dégâts dépassant le seuil prévu dans le contrat, ils empochent leur rémunération (2,60 % pour les obligations de classe A et 2,90 % pour celles de classe B, un « coupon fixe » auquel s’ajoutent les intérêts du capital). Dans le cas contraire, ils peuvent perdre jusqu’à l’intégralité de leur mise.
Les risques de tempête ont été simulés et correspondent à deux tempêtes exceptionnelles survenant sur la côte Atlantique tous les 150 ans ou tous les 200 ans. L’arbitre est Perils, une société suisse indépendante qui collecte les informations relatives aux sinistres et émet la plupart des indices utilisés en Europe pour déclencher les cat bonds.
On le voit à cet exemple, les contrats d’assurance transformés en action que sont les « obligations catastrophe » sont une affaire de spécialistes. « L’émission d’un cat bond réunit autour de la table l’émetteur, ses juristes, des banquiers conseils et des experts en modélisation climatique car les catastrophes sont assurées dans des conditions techniques et financières très précises », explique Lofti Elbarhadadi, directeur du secteur Assurances de l’agence de notation Standard & Poor’s.
Une banque d’affaires part ensuite lever les fonds lors des « road shows » qui réunissent les investisseurs potentiels. « Les investisseurs sont en majorité des fonds avec une forte compétence en gestion et évaluation des risques de catastrophes naturelles », indique à Reporterre Thomas Kretzschmar, directeur des opérations de réassurance d’Axa Global P&C, la branche spécialisée dans les opérations de réassurance.
La nature : un marché comme un autre
Après le cyclone Andrew, en 1992 -
Ce petit bijou d’ingénierie financière n’est pas une nouveauté. Les assureurs se prémunissent contre les catastrophes naturelles majeures grâce aux cat bonds depuis une vingtaine d’années. « La plus grande partie des couvertures contre ce type d’événement est placée auprès de ré-assureurs traditionnels mais les marchés financiers offrent une alternative à ce mode de cession », explique Thomas Kretzschmar (Standard & Poor’s évalue le marché mondial des cat bonds à 17 milliards de dollars alors que l’on estime à 350-400 milliards les montants globaux destinés à l’assurance).
Michael Diez, spécialiste de l’assurance enseignant à Paris VIII, fait remonter leur origine au passage d’Andrew en Floride en 1992 qui provoqua pour plus de trente milliards de dollars de dégâts dont les deux tiers ont donné lieu à une indemnisation.
« L’industrie de l’assurance a vite compris la leçon. Elle s’est tournée vers les marchés financiers pour trouver de nouvelles sources de financement et leur transférer une partie des risques que représente pour elle le coût exorbitant de certaines catastrophes naturelles », explique-t-il.
Plus de deux cents cat bonds ont été émis depuis, toujours pour de courtes durées (2 à 3 ans maximum) principalement aux Etats-Unis mais aussi en Europe et en Asie notamment au Japon. « Leur marché a été en expansion constante jusqu’en 2007, puis il a connu une décélération en raison de la crise avant de repartir à la hausse depuis trois ans boosté par la faiblesse des taux d’intérêt », observe Lotfi Elbarhadadi.
Les fonds sont attirés par ces produits qui leur permettent de diversifier et d’équilibrer leurs portefeuilles. Il faut savoir qu’une caractéristique importante d’un portefeuille boursier est son degré de diversification qui permet d’atteindre un juste milieu entre le risque et la rentabilité.
« Or il n’y a pas de corrélation entre une tempête ou un tremblement de terre et les hauts et les bas du dow jones ou du CAC 40 », explique Michael Diez. Autrement dit, les cat bonds permettent aux financiers d’être moins dépendants des cycles des marchés boursiers usuels.
Les investisseurs apprécient d’autant plus les « obligations catastrophe » qu’elles peuvent être très rentables. « Les rendements des cat bonds varient d’un peu moins de 2 % à plus de 15 % en fonction du niveau de risque », indique Thomas Kretzschmar.
- Entre 2007 et 2012, les cat bonds (ligne rouge) ont connu un meilleur rendement que les marchés boursiers (source : Swiss Re) -
Un marché, le Catex pour Catastrophe Risk Exchange leur est dédié. Leur valeur fluctue en fonction de la plus ou moins grande probabilité que la menace se réalise et en fonction de l’offre et de la demande du titre concerné. Il arrive que des titres continuent de s’échanger à l’approche d’une catastrophe ou au cours de son déroulement, par exemple lors d’une canicule en Europe ou d’un ouragan en Floride...
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