LE MONDE | 12.05.2012 à 13h22 • Mis à jour le 13.05.2012 à 11h11
Par Sandrine Morel
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N'avez-vous pas honte d'expulser une famille ?" Devant quatre agents de police, deux huissiers et trois conseillers municipaux de Torrelodones, petite ville bourgeoise située à 30 kilomètres de Madrid, une cinquantaine de personnes de tous âges manifestent dans l'espoir d'empêcher l'expulsion d'une famille.
Le rendez-vous a été donné à 9 heures, ce vendredi 11 mai, au numéro 3 de la rue de las Artes. La veille, il a été transmis aux assemblées populaires des "indignés", ce mouvement citoyen contre la crise, la "dictature des marchés" et la corruption politique, né le 15 mai 2011, (aussi appelé "15 M"). La convocation a aussi été envoyée par mail à plus de 300 "volontaires", avec un résumé de la situation du couple et de leurs enfants de 5, 10, 13 et 16 ans, menacés d'expulsion par la société publique municipale parce qu'ils ne paient plus leur loyer depuis que la mère est au chômage.
"Je suis ici pour défendre une victime d'un système injuste et d'une crise dont elle n'est pas responsable, pour empêcher l'exclusion sociale et la précarité", explique Manuel San Pastor, jeune avocat de 30 ans, membre volontaire du 15 M. Chemise rayée à manches courtes, lunettes carrées, il négocie avec les huissiers, dossier en main, un délai supplémentaire de deux mois avant l'expulsion, le temps que les enfants terminent l'année scolaire.
Près de 60 000 personnes ont été expulsées l'an dernier selon le Conseil général du pouvoir judiciaire, 20 % de plus qu'en 2010. Et selon la Plate-forme des victimes des hypothèques (PAH), plus de 300 000 personnes en Espagne se trouvent en instance d'expulsion, incapables de faire face au remboursement de leur crédit immobilier, alors que 24,4 % de la population active est sans emploi et que 1,7 million de foyers comptent tous leurs membres au chômage.
Tatyana Roeva, psychologue d'origine bulgare qui plaide auprès des conseillers municipaux pour la construction de logements sociaux, se trouve dans ce cas. Figure du 15 M, elle est la première à avoir mobilisé les "indignés" pour empêcher qu'elle, son mari et sa fille de 17 ans, ne soient expulsés de leur logement par la banque. Elle a obtenu depuis l'effacement de sa dette et une solution provisoire.
"Nous demandons un moratoire sur les expulsions durant toute la période de la crise, la mise en place de locations sociales correspondant à 3 % du revenu au maximum et une loi qui permette d'effacer les dettes en rendant les clés du logement", énumère Felicita Velazquez, 57 ans. Car, en Espagne, la loi permet que la banque s'adjuge le logement pour 60 % de sa valeur et continue d'exiger le reste aux anciens propriétaires.
En attendant qu'ils obtiennent gain de cause, ce dont ils ne doutent pas, le gouvernement ayant déjà imposé aux banques un "code de bonne conduite" appliqué dans les cas de grande misère, inspiré de leurs revendications, les "indignés" ont créé un "bureau logement" qui assiste les personnes concernées. La famille menacée ce vendredi n'en aura pas besoin. Après une heure de négociation, les huissiers et conseillers municipaux acceptent de repousser l'expulsion au 29 juin. Les "indignés", eux, parlent déjà de revenir.
Beaucoup sont des habitués qui ont trouvé dans la lutte contre les expulsions l'une des expressions les plus "tangibles" du mouvement du 15 M, explique Sergio Martin, 33 ans, et père de deux enfants qui participe en moyenne à trois actions de ce type par semaine. En un an, près de 420 expulsions ont été empêchées dans toute l'Espagne, selon la PAH.
En un an, le 15 M a tissé sa toile, investi les quartiers et Internet, des milliers de cerveaux connectés entre eux, et propose des solutions aux problèmes dérivés de la crise : une "agence contre la précarité de l'emploi", des banques du temps basées sur l'échange de services, des marchés de troc... Il a "réveillé la conscience sociale et politique" des Espagnols, et "rendu l'espoir de pouvoir changer les choses", estime Sergio. Jusqu'au 15 mai, les "indignés" ont décidé de retourner dans la rue pour célébrer leur premier anniversaire : avec des assemblées populaires géantes et - qui sait ? - de nouveaux campements...
Sandrine Morel
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