| 11.11.11 | 12h50 • Mis à jour le 11.11.11 | 16h12
Londres Correspondant - A lire un petit entrefilet publié récemment dans le Times, plusieurs appartements de Hyde Park One, le nouveau quartier de super-riches bâti à Knightsbridge, ont été achetés par des armateurs grecs à la recherche d'un sanctuaire.
L'agent immobilier Knight Frank, en charge de la vente, a refusé de divulguer l'identité de ses clients. "The London Greeks", comme on appelle les magnats grecs du transport maritime installés à Londres, sont d'une discrétion à toute épreuve.
Le Lloyd's List, le quotidien de référence du transport par mer, estime qu'une centaine de compagnies maritimes grecques, employant 1 500 personnes, ont pignon sur rue dans la capitale britannique.
Les plus grands noms de la profession y sont présents : Chandris, Goulandris, Embiricos, Lemos, Hadjipateras, Niarchos ou Tsakos. Ce dernier groupe représente un bon quart des membres du Baltic Exchange, la Bourse des affrètements maritimes de la City. Ils contrôleraient 10 % à 20 % de la flotte grecque.
Pourtant, la liste des 1 000 plus grandes fortunes britanniques, publiée annuellement par le Sunday Times, ne comprend qu'un seul nom grec, celui de John Goulandris. Dans le classement 2011, les avoirs de cet "empereur du shipping" sont évalués à 200 millions de livres (234,4 millions d'euros), ce qui le place à la 337e position. M. Goulandris se situe loin derrière les oligarques russes, les industriels des pays émergents ou autres nababs du Golfe ayant élu domicile outre-Manche.
"Il est impossible d'en savoir plus" sur ces London Greeks, "car ce sont des sociétés privées qui recrutent les meilleurs avocats pour tenir les curieux à distance. La plupart contestent même le fait qu'ils vivent à Londres, affirmant qu'ils n'y disposent que d'un simple pied-à-terre", souligne Philip Beresford, l'auteur du hit-parade du Sunday Times.
Conservateurs
La première raison de cet ancrage est fiscale. Les London Greeks bénéficient du statut de "résidents non domiciliés". Cette qualification leur permet de n'être imposés que sur les revenus générés au Royaume-Uni et non pas sur l'ensemble de leur patrimoine.
Autre motif, Londres reste le premier carrefour mondial des affaires maritimes en matière de financement, d'assurance, de courtage et d'affrètement. S'ajoutent à tout cela l'avantage des fuseaux horaires et l'expérience des professionnels aux méthodes bien rodées.
Les premières familles d'armateurs grecs sont arrivées à Londres dans les années 1850 pour acheter des bateaux à vapeur. En 1935 a été fondée le Greek Shipping Cooperation Committee, une organisation de représentation liée à l'Union des armateurs grecs établie au Pirée.
Fuyant la guerre civile de 1946-1949 et les soubresauts politiques, les Niarchos, Onassis et consorts se sont réfugiés à Londres. L'existence, à l'époque, d'une royauté grecque et le mariage du prince Philip (d'ascendance grecque et danoise) avec la future reine Elizabeth II leur a ouvert les portes de l'establishment britannique.
Conservateurs, voire réactionnaires, beaucoup ont soutenu la dictature des colonels (1967-1974). Aujourd'hui, ils financent l'ancien roi Constantin, qui vit en exil à Londres, des causes philanthropiques et des chaires d'études helléniques dans les universités britanniques.
Les armateurs grecs constituent un lobby d'une grande efficacité. Quand le gouvernement de Gordon Brown, en 2008, a essayé de taxer davantage les résidents non domiciliés sur une partie de leurs avoirs détenus à l'étranger, ces derniers se sont mobilisés, menaçant de partir en masse au Pirée, à Nicosie, à Genève ou à Singapour.
Cette campagne a eu raison du projet de relèvement de l'impôt. Le ministère des finances s'est contenté de frapper les non-résidents installés depuis plus de sept ans d'un impôt fixe annuel ridiculement bas de 30 000 livres.
Marc Roche