A l'approche de la présidentielle, les marchands d'influence multiplient les rendez-vous pour se lier avec les politiques. Le PS est particulièrement sollicité.
Pendant les quelques mois qui précèdent le vote, les cabinets de lobbying sont sur les dents. A chaque jour son lot d'événements pour tenter de faire passer des messages aux décideurs politiques de demain.
La journée du 17 janvier est particulièrement chargée. Le matin, le cabinet de conseil en communication Image 7 organise pour le syndicat des industries numériques une conférence de presse dans les salons de la Maison des centraliens, située dans le VIIIe arrondissement de Paris. L'objectif : la présentation de onze propositions aux candidats à la présidentielle.
Le même jour, le gratin d'Areva, d'EDF, de Total et de Dalkia diffusera sa bonne parole au colloque organisé, à la Maison de la chimie, par le club parlementaire Energie et développement présidé par le député François-Michel Gonnot. Les tops managers de la filière nucléaire auront l'honneur de croiser NKM et Eric Besson mais aussi Michel Sapin, l'ordonnateur du programme de François Hollande, avec qui ils ont eu maille à partir, avec la signature de l'accord PS-EELV.
Le soir même, l'agence de lobbying Com'Publics réunit à dîner, au nom de la fédération nationale porcine, les députés UMP du club parlementaire des Amis du cochon pour parler de l'enjeu de la méthanisation. Ceux de l'opposition ont déjà été conviés en décembre.
Filière porcine : un clivage UMP-PS trop important
Fabrice Layer, consultant chez Com'Publics, confie :
« Dans ce genre de période, il faut éviter la foire d'empoigne. Le clivage idéologique entre l'UMP et le PS sur la filière porcine est trop important. Mais la période est une chance pour nous, on peut mieux défendre nos positions. »
Après plus de vingt ans de droite au pouvoir, la possibilité d'une victoire de François Hollande et d'un changement de majorité parlementaire change assurément la donne pour les entreprises. Leurs directeurs des affaires institutionnelles ou les cabinets de lobbying mandatés s'activent comme jamais pour aborder au mieux les changements de cap. La session parlementaire prenant fin en mars, cela leur laisse du temps.
Lobbying zélé
Colloques, petits-déjeuners, déjeuners : tout est bon pour se faire remarquer des candidats et en particulier des états-majors présidentiels. Olivier Le Picard, président de Communication et institutions, explique :
» Comme on ne connaît pas le résultat, nous devons être en relation avec les équipes de tous les candidats pour faire passer les arguments de nos clients. »
« Nous transposons notre action auprès des parlementaires aux responsables thématiques des équipes de campagne », ajoute Fabrice Layer. Parmi les thèmes qui préoccupent le plus les entreprises, reviennent en boucle l'énergie, le coût de l'emploi, le « made in France » et la TVA sociale.
Un partenariat avec Public Sénat
Sur le marché de l'influence, Séance publique, qui recense parmi ses clients prestigieux Air France, EDF ou Suez, a anticipé l'échéance depuis un an. Le cabinet dirigé par Capucine Fandre a mis en place toute une palette d'actions détaillées sur leur site internet.
Séance publique est ainsi partenaire de l'émission « A l'heure du choix », diffusée sur Public Sénat. Pendant une heure, deux politiques de camp opposé s'affrontent sur une thématique.
Le 23 janvier, ce sont François Rebsamen et Claude Guéant qui débattront sur la sécurité. A la sortie, les deux ténors politiques ne manqueront pas de croiser une poignée de clients de Séance publique, invités pour l'occasion. Ils auront en leur main une petite note préparée aux oignons par l'agence de lobbying.
Un cycle de conférences pour « rénover le dialogue entre l'Etat et les partenaires privés » a aussi été mis en place. Ces « Ateliers 2012 », prévus jusqu'en mars et qui coûtent la bagatelle de 5 000 euros, ont déjà accueilli Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental et le vice-président centriste du Sénat Jean-Léonce Dupont, en présence de responsables d'Eiffage concessions et de Suez environnement.
Sont aussi proposées :
- des activités de veille tarifées à 8 000 euros l'année ;
- une cartographie des entourages des candidats ;
- des prises de rendez-vous avec des responsables thématiques des équipes de campagne ;
- mais aussi avec des parlementaires et des membres de cabinets ministériels et des responsables de think tanks.
La vogue de ces boîtes à idées n'a pas échappé à Séance publique. Encore moins leur mode de financement qui dépend parfois de fonds privés. Le cabinet de lobbying a récemment organisé un rendez-vous avec Olivier Ferrand de Terra Nova pour un de ses clients. L'intention était claire, confie Anne Gourault de Séance publique :
« Terra Nova est proche du PS, tout en étant financé par des entreprises. Notre client voulait comprendre leur fonctionnement et voir comment faire passer ses opinions par leur biais. »
Le lobbying à la française
Dans leur activité au quotidien sous tension, les lobbies ne se contentent pas de gagner la bataille des idées. A la pause café, ils essaient d'établir des liens durables avec les responsables de demain. C'est une nécessité.
Par rapport aux méthodes d'influence pratiquées à Bruxelles, le lobbying à la française repose encore sur des rapports très (et trop ? ) personnels. L'équipe de François Hollande est bien évidemment particulièrement sollicitée. « Les lobbys prennent contact avec les futurs ministrables pour leur proposer leurs services », observe un proche du candidat socialiste.
Perçu comme un premier ministrable, le président de la commission des finances Jérôme Cahuzac est une proie de premier ordre qu'il s'agit d'appâter par tous les moyens. Même les moins recommandables.
Un parlementaire raille :
« Certains lobbyistes ont dû se rendre dans la clinique de sa femme spécialisée dans les problèmes de calvitie. »
Mélange des genres
Pour faire valoir les intérêts de leurs clients, certains cabinets n'hésitent à mélanger les genres. Euro RSCG, qui conjugue activités de communication et de lobbying, conseillait Dominique Strauss-Kahn. « Cela leur avait rapporté au début des clients, aujourd'hui sans doute un peu moins », persifle un cabinet concurrent.
Pascal Tallon, l'un des associés de Paul Boury associés, a été l'un des piliers de l'association Désirs d'avenir de Ségolène Royal, en 2007. Aujourd'hui, ce diplômé d'HEC dit faire la part des choses entre ses activités professionnelles et son amitié pour François Hollande. « Quand on est lobbyiste, c'est difficile de conseiller en même temps les hommes de pouvoir », explique-t-il, dans ses bureaux prestigieux situés à deux pas de l'Assemblée nationale.
Il passe pourtant pour être l'un des relais dans le monde de l'entreprise du député de Corrèze, par ailleurs ami de Paul Boury.