Les Indignés n’ont pas rencontré un succès important en France. Pourtant, l’influence de ce mouvement n’est pas nulle. Grâce aux rencontres du philosophe Jean-François Mattei, auteur de l’ouvrage De l’indignation et de Félix Reimbold, élève en 4ème année à l’IEP d’Aix et auteur du mémoire Sociologie politique du mouvement des Indignés, le cas espagnol, nous nous sommes intéressés à l’essence de ce mouvement et à son influence potentielle sur la campagne présidentielle.
« Indignation individuelle, révolte collective »
Aujourd’hui le terme « indignation » est souvent confondu avec celui de « révolte ». Pourtant, ces deux types de réactions sont initialement bien distincts l’un de l’autre.
Contrairement à la révolte qui est active et collective, l’indignation est passive et singulière. Elle relève d’un sentiment personnel qui se crée si l’on est témoin d’une quelconque violation de la dignité d’une personne. Pour qu’il y ait indignation, il faut donc trois facteurs : l’auteur d’un mal, la victime passive et le témoin qui ressent de la colère par rapport à l’acte commis.
L’indignation se développe depuis le XXème siècle, siècle de la subjectivité, de l’individualisme, de la singularité. Aujourd’hui, nous vivons de plus en plus dans une société des affects qui incite à l’indignation. Les réseaux sociaux (mais aussi les séries télévisées ou les boîtes de nuit) représentent le summum du règne du relationnel basé sur l’affect.
Le mouvement des Indignés est issu d’une colère du peuple mais il y a une confusion entre les victimes du système qu’ils condamnent et les manifestants. De plus, l’indignation dont on parle aujourd’hui est collective et a donné lieu à des rassemblements de grande ampleur. Le terme utilisé par le mouvement n’est donc pas tout à fait adapté.
Anarchisme 2.0
Le mouvement des Indignés se défend d’être anarchiste car l’anarchisme, que l’on assimile à tort à de la désorganisation, a tendance à être décrédibilisé. Or, « Los Indignados » sont organisés selon le modèle anarchiste. Ils naissent d’eux mêmes notamment grâce aux réseaux sociaux et aux plateformes Internet. Il n’y a pas de leadership avéré, et le mouvement est ouvert à tous et à tous types de revendications.
C’est pourquoi Félix Reimbold caractérise brièvement ce mouvement de « base organisationnelle avec des revendications ouvertes » L’essence du mouvement se trouve donc dans cette forme nouvelle d’anarchisme. On peut tout de même relever deux thèmes majeurs de revendications :
- La lutte contre « la dictature des marchés » (expression de Stéphane Hessel dont on a tendance à surestimer l’implication dans le mouvement en France)
- Une meilleure représentativité démocratique.
Malgré la tradition contestataire très prégnante, le mouvement ne s’est pas propagé en France. Cela peut s’expliquer notamment par la puissance organisationnelle des syndicats et par l’élection présidentielle à venir qui représente pour certains un espoir de changement. Parmi les 10 candidats à la présidentielle, qui incarne dans une certaine mesure l’idéologie des Indignés ?
Mélenchon « l’indigné »
Mélenchon emploie davantage les termes de révolte et de révolution citoyenne que celui d’indignation, mais il fait des propositions qui ont des filiations avérées avec le mouvement. Dimanche 18 mars a eu lieu à son appel un rassemblement de plusieurs dizaines de milliers de militants à la Bastille, lieu choisi l’année dernière par les Indignés.
Il emploie le même type de discours (« amélioration de la vie du peuple qui pâtit ») et propose que la reprise du pouvoir par le peuple se fasse grâce à une Assemblé Constituante strictement paritaire (qui serait à l’origine d’une 6ème République). Cette mesure est réclamée par les mouvements sociaux depuis les années 70 et elle fait partie des revendications des Indignés.
Enfin, quand il déclare « Prenez les places et les rues de la République comme vous le pouvez dans toutes les villes et chaque village de France. », le lien est assez clair car il appelle à manifester et notamment au niveau des villages.
Les phénomènes Indignés et Mélenchon touchent un peu les mêmes publics, reprennent les même thématiques, dénoncent les mêmes problèmes, même s’ils se manifestent de manière différente. Les premiers sont organisés de façon décentralisée alors que le second bénéficie de la structure forte d’un parti politique aux traditions très centralisatrices. Mélenchon est donc le candidat qui semble le plus proche idéologiquement du mouvement des indignés. Il bénéficie d’ailleurs d’une popularité croissante depuis le début de la campagne, si bien que parmi les sondages les plus récents, certains le placent en 3ème position devant Marine Le Pen et François Bayrou.
Les Indignés : entre déclin et postérité
Mis à part le candidat du Front de Gauche, la dénonciation de la dictature des marchés est faite par tous les candidats d’extrême gauche (c’est le cas de Philippe Poutou du Nouveau Parti Anticapitaliste et de Nathalie Arthaud de Lutte Ouvrière). L’opposition au monde de la finance fait également partie du programme de Hollande. Il a d’ailleurs déclaré à plusieurs reprises « mon ennemi c’est la finance ». Enfin, au niveau de la représentativité démocratique, même Nicolas Sarkozy semble aller dans ce sens avec son projet de référendum sur l’indemnisation des chômeurs. En règle générale, on cherche à augmenter le pouvoir du peuple.
Au-delà de l’élection, les Indignés seraient surtout, selon le philosophe Bertrand Badie, le révélateur d’une « coupure entre la société et le monde politique traditionnel ». Ils proposent un modèle de substitution : d’un côté un repli sur les communautés et les villages et de l’autre, une universalisation par Internet. Il y a donc un refus de la participation politique classique qui s’accompagne d’une lutte pour davantage de démocratie directe. C’est donc surtout le divorce entre Etat et société que les Indignés mettent en évidence. Malgré son essoufflement et ses critiques, le mouvement des Indignés n’est donc pas mort.
Pour aller plus loin :
- REIMBOLD Félix, Mémoire « Sociologie politique du mouvement des Indignés. Le cas espagnol ».
- MATTEI Jean-François, De l’indignation, Paris, La Table Ronde, 2005.
- BADIE Bertrand, « Printemps arabes, indignés, les sociétés s’attaquent à la légitimité du politique », chat sur le site du monde le 26 octobre 2011 : http://www.lemonde.fr/international/article/2011/10/26/printemps-arabes-indignes-les-societes-s-attaquent-a-la-legitimite-du-politique_1594189_3210.html
- « Jean-Luc Mélenchon à Bastille : nous sommes le cri du peuple », article du 19/03/12 sur le site du Monde : http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/03/18/melenchon-a-bastille-nous-sommes-le-cri-du-peuple_1671699_1471069.html
Jérôme DECOSTER