Discutant aujourd'hui avec les ouvriers – marins (anciens et futurs), stagiaires à l'École de la Marine Marchande, j'ai pu mieux cerner leurs appréciations. La doxa commune de la faillite, désormais Européenne semble acquise. Les gens ne se font plus d'illusions, leur sort sera de toute façon, plus difficile. Ils font partie de ceux qui n'ont pas été gâtés par le système de cooptation ou le piston. Sinon ils ne seraient pas là. Mikhalis, homme relativement âgé, travaillait comme soudeur pour le compte de la société gérante du port commercial, avant l'arrivée des Chinois de Cosco, qui ont acheté cette partie des infrastructures portuaires. Il a été également embarqué occasionnellement, en tant que soudeur durant certains voyages. «Trois heures de sommeil par jour et 13 heures de travail durant quatorze jours non-stop. J'ai signé le document sur la sécurité et le repos obligatoire de six heures. Pour le SOLAS cela passait encore m'ont-ils expliqué, je n'étais pas officiellement membre de l'équipage. Maintenant que sur les quais il n'y a plus de boulot pour moi, j'espère me retrouver rapidement en mer. Mais les armateurs des temps nouveaux ne sont pas les mêmes que jadis. Armateurs de deuxième et de troisième génération. Nés et grandis à Londres et à New York. Ils s'en fichent de plus en plus de nous et des équipages grecs, ils préfèrent les Philippins et autres Ukrainiens, ainsi ils ne leur payent pas les cotisations à la caisse des marins. La Grèce, pays de marins et d'armateurs, des foutaises, tiens, ces derniers ne payent pratiquement même pas d'impôts ici...».
Étant en visite, je l'ai accompagné au Pirée en voiture. Covoiturage. Passant devant l'aciérie, la rocade est presque déjà bloquée dans l'autre sens. L'usine est occupée depuis vingt-cinq jours, les ouvriers ne veulent pas subir le temps partiel imposé. La direction se déclare dans l'impasse à cause de la baisse des commandes. Les syndicalistes rencontrés sur la bande d'arrêt d'urgence nous ont affirmé le contraire : «Non, notre société exporte également et suffisamment ». On circule tous, il me semble, sur la bande d'arrêt d'urgence de notre société et de notre système politique.
De plus en plus de monde investi les lieux. Les radios rapportent en direct, la façon violente par laquelle la police a délogé les syndicalistes électriciens du centre d'émission des ordres de coupure pour les clients qui n'ont pas payé la facture comportant la nouvelle taxe immobilière. Le chef du syndicat des électriciens a été arrêté. Il y a eu débrayages aussitôt, et menace de coupure de courant chez le Premier ministre. Entre temps, certains maires menacent aussi ouvertement les sociétés privées, engagées par Électricité de Grèce, en tant que … coupeurs de courant chez les particuliers.
Les ouvriers métallos suivent l'actualité et pensent éviter l'arrivée des MAT (CRS); comme chez les électriciens ce matin. Arrivant au Pirée par la rocade du port, la vue des navires reste toujours fascinante. Mon ami soudeur le confirme. Finalement nous sommes un pays de marins, même potentiels ou chômeurs. A la radio, on tombe sur une émission de Kazakis, éditorialiste de notre bien-aimé hebdomadaire satyrique To Pondiki (La Souris), à la tête également d'un mouvement politique anti-mémorandum. Il lance un avertissement solennel sur les ondes, s'adressant aux cadres de la police et de l'armée; répétant – comme il explique à l'antenne – ce qu'il leur a dit en privé : « Méfiez -vous, car vous servez un gouvernement dictatorial, qui plus est, imposé par les occupants du pays. Lorsque vous exécutez ses ordres contre le peuple, vous risquez un jour, poursuites et jugements très sévères, ne pensez pas que la situation restera comme elle est actuellement ... ».
Durant son émission d'hier, il commentait les derniers chiffres de notre économie mourante. Tandis que ce qui reste de la production industrielle chute de 12%, les exportations augmentent de 18.8%, et une grande part revient aux produits pétroliers. Mais Athènes n'est pas Riyad. En effet, les compagnies pétrolières réexportent des carburants, et pas seulement comme il faut. Le trafic à l'échelle industrielle tient bon. Illustres entrepreneurs, ni vus ni connus.
Avant de me saluer, Mikhalis, l'ancien métallo du port évoque son île. «Tu sais, on a un bateau qui fait la liaison avec une île plus grande, car la notre est trop petite et éloignée pour que la ligne du Pirée soit fréquente. Le propriétaire et capitaine de ce bateau, assez souvent, se rend au large, pour s'approvisionner en pétrole. Il y a une quantité légale et une autre …. plus jutteuse. Il en vend même, au pompiste et aux pecheurs ….».
Kazakis prétend sur la radio que les multinationales, Carrefour ou Lidl, réexportent certains produits, tout comme, une quantité d'argent donnant le vertige, vers leurs maisons mère. Des colonies vers la métropole ?
En tout cas les difficultés de l'Allemagne à se faire financer par les «marchés» de capitaux hier, (ses titres n'ont pas trouvé preneurs à la hauteur de ses espérances) et le mauvais brouillard autour du triple «A» de l'économie française en ont fait rire plus d'un ici.
Entre temps, hier encore, une sorte de grand Smog restait posé sur Salonique, aggravant les insuffisances respiratoires. Outre la pollution habituelle et la météo, les mesures des scientifiques, conduisent à incriminer aussi, l'usage massif de bois de chauffage cette année, contrairement au passé récent.
«Salonique et les triples «A» c'est loin de notre zone portuaire, on s'en fiche» a déclaré Mikhalis en s'éloignant, le regard fixé sur les bateaux au large, en face de Salamine.
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