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Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes

Les Européens jouent la Grèce à la roulette

| Par Martine Orange

« Est-ce le saloon de la dernière chance ? La roulette ? Ou l’escalier pour le paradis ? » Ce petit jeu lancé mardi par le Financial Times auprès de ses lecteurs pour avoir leur opinion sur le dernier plan de sauvetage grec démontre la prudence avec laquelle le monde financier accueille l’accord conclu dans la nuit par les dirigeants européens. Ils ont du mal à croire que la Grèce (et l’Europe avec elle) est sortie du drame.

Tous en sont convaincus :  les dirigeants européens ont signé hier, parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement. Tout échec aurait acculé la Grèce à un défaut désordonné et précipité l’ensemble de la zone euro dans un chaos financier. Ils se sont donc résolus à approuver le plan de sauvetage, dans l’espoir de gagner une nouvelle fois du temps.

Les treize heures de discussion qui ont précédé l’accord formel, alors que la réunion était censée n’être que de simple formalité prouvent les doutes de plus en plus nombreux des responsables de la zone euro. Ils sont dans une impasse.

Des documents rédigés par des experts européens, de la BCE et du FMI, juste à l’ouverture de la réunion, ne laissent pourtant planer guère de doute sur le succès futur de la politique d’austérité imposée à la Grèce. En dépit des 237 milliards d’euros d’aides affichés, le redressement du pays est loin d’être acquis. « Il y a une tension fondamentale  entre les objectifs du plan d’aide de réduire la dette d’un côté et d’améliorer la compétitivité de l’autre, dans la mesure où la dévaluation interne requise pour restaurer la compétitivité de la Grèce conduira inévitablement à un ratio dette/PIB plus élevé à moyen terme », préviennent les experts. Il a juste fallu deux ans pour que les analyses de nombreux économistes, insistant sur les dangers et les limites de la politique d’austérité imposée par l’Europe, franchissent les enceintes protégées de Bruxelles.

Mais n’imaginant pas d’autres solutions, les dirigeants européens ont décidé de poursuivre leur chemin, et de faire comme si tout allait se dérouler parfaitement. L’endettement de la Grèce ne retombant qu’à 129 % du PIB à l’horizon 2020, dans le meilleur des cas, au lieu des 120 % exigés par le FMI pour remettre le pays dans une voie de redressement, les responsables européens ont décidé de demander un nouvel effort aux créanciers privés. Au lieu d’une décote de 50 % sur leurs titres, ils devront accepter une baisse de 53,5 %.

L’échange entre les anciennes obligations grecques et les nouvelles devrait intervenir dans les prochains jours. Les responsables de la zone euro tablent sur une réponse positive d’au moins 70 % des créanciers privés. Cet échange devrait permettre une annulation de la moitié de la dette grecque détenues par les banquiers, la ramenant de 200 à 100 milliards d’euros.

En parallèle, les gouvernements européens et le FMI apporteront 130 milliards d’aide. Le FMI n’a pas encore indiqué le montant exact de son prêt, mais il devrait tourner autour de 10 % du total, beaucoup moins que lors du premier plan de sauvetage. Les pays européens devront donc ajouter la différence.

« La solidarité, ce n'est pas gratuit »

Dans un grand élan de générosité, les responsables de l’eurogroupe ont approuvé l’idée de baisser un peu les taux d’intérêt pour les prêts accordés à la Grèce. Ils devraient tourner autour de 3 % au lieu des 5 % exigés auparavant. « La solidarité, ce n’est pas gratuit », comme l’a rappelé la commissaire européenne, Viviane Reding.

Les Européens se montrent plus discrets sur l’utilisation des fonds versés à la Grèce. L’essentiel des aides est déjà préempté pour aider les banques : 23 milliards vont être mobilisés pour recapitaliser les banques grecques, 35 milliards vont servir au rachat de la dette grecque par le gouvernement, 30 milliards seront versés en compensation aux créanciers qui acceptent d’apporter leurs titres en échange. Au total, sur les 130 milliards d’aide, 94 milliards sont pour le sauvetage du monde financier et bancaire.

 

 
© Yiannis Biliris

En contrepartie de cette aide, les Européens exigent des réformes structurelles et un changement radical des lois sociales en Grèce. La diminution de 22 % du salaire minimum, les baisses des retraites, la suppression de 15.000 emplois publics figurent parmi les gages exigés par Bruxelles et le FMI. Dans le cadre des 3,3 milliards d’euros d’économies sur les dépenses publiques, recherchées dès cette année, ceux-ci en revanche ont repoussé les propositions du gouvernement grec de réduire les dépenses militaires, au-delà des 400 millions d’euros prévus.
 

« Les autorités grecques pourraient ne pas être capables de réaliser les réformes structurelles et les ajustements politiques au rythme escompté. Une plus grande flexibilité salariale pourrait se heurter à la résistance des agents économiques. La libéralisation de la production et des services pourrait continuer à être ralentie par la forte opposition des intérêts acquis. Et la réforme de l’environnement des affaires pourrait aussi être compromise par les lourdeurs bureaucratiques », insistent les experts dans leur étude.

Cette crainte a dominé tous les débats européens. Et tout a été imaginé pour prendre le maximum de précaution et d’engagement sur l’avenir, quel que soit le résultat des élections d’avril. Ainsi, il est prévu qu’une délégation de la Troïka (Union européenne, BCE et FMI) soit présente en permanence à Athènes pour veiller aux orientations économiques et politiques, vérifier la mise en œuvre du programme imposé par l’Europe. Cette délégation aura la haute main sur toutes les décisions financières, budgétaires et sociales. C’est elle qui délivrera les autorisations de paiement. En parallèle, l’aide européenne sera déposée sur un compte bloqué géré par les Européens et les montants ne seront versés qu’au fur et à mesure de l’avancement des réformes exigées. « Ce n’est pas une mise sous tutelle. Non, il n’a jamais été question de mettre la Grèce sous tutelle », s’est défendu le ministre des finances français, François Baroin, à la sortie de la réunion.

Malgré toutes ces précautions, les experts européens envisagent avec beaucoup de sérieux que le deuxième plan de sauvetage déraille comme le premier. D’après leur scénario le plus pessimiste, la dette pourrait représenter 178 % du PIB en 2015. Et elle ne retomberait qu’au niveau de 160 % en 2020. Tous savent que cette situation est intenable. Mais les Européens ont préféré ignorer l’avertissement.

Déjà, certains affirment que l’Europe ne pourra pas faire autrement que de s’avouer la réalité : la Grèce est insolvable et aucune mesure prise jusqu’alors ne permet de redresser la situation. Des responsables européens commencent déjà à parler d’un troisième plan européen, de l’ordre de 50 milliards d’euros dès l’année prochaine. La suggestion a été accueillie par un silence glacial par tous. « C’est probablement le dernier plan de sauvetage grec que nous voyons, par pour les raisons avancées par les autorités. Ni les Grecs ni l’Union européenne n’auront la patience d’engager de nouvelles négociations, une fois que ce dernier paquet aura échoué », pronostique le financier Dario Perkins de Lombard Street Research. Pour lui, il n’y a pas de doute : l’Europe a joué à la roulette.

 

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