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22 juin 2013 6 22 /06 /juin /2013 18:50

 

 

Samedi 22 Juin 2013 à 11:00

 

Hervé Nathan

 

Personne ne peut désormais le nier : la gestion de la faillite grecque par la "troïka" FMI, BCE et Commission européenne a été complètement ratée. Un constat qui a le mérite de rouvrir le débat sur les remèdes possibles.

 

Cordon de sécurité pour contenir les manifestants après la fermeture de l'ERT, chaîne publique grecque - Petros Giannakouris/AP/SIPA
Cordon de sécurité pour contenir les manifestants après la fermeture de l'ERT, chaîne publique grecque - Petros Giannakouris/AP/SIPA
Rendons hommage au Fonds monétaire international : grâce à une de ses études, il est désormais officiel que les plans successifs censés sauver la Grèce de la faillite ont bien abouti à la punition de tout un peuple par l'appauvrissement du pays.

C'est bien le moins, lorsqu'on regarde le bilan en 2013 : un PIB en régression continuelle depuis cinq ans, une production en baisse de 18 % et un chômage officiel atteignant 26,8 % de la population active. Au moins le FMI, dans son bilan, a-t-il l'honnêteté d'avouer les dissensions internes de la troïka, cet improbable attelage du Fonds monétaire international, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne, révélant comment les médecins qui se sont pressés au chevet du malade hellène ont multiplié les remèdes et les opérations inutiles ou contre-productives.

Comme si, depuis 2010, date des premiers « soins » administrés, la Grèce s'était transformée en une sorte d'hôpital fou où les Diafoirus opèrent en se tirant dans les pattes.

Le FMI, le médecin qui force la dose de médicament

Administrer les remèdes aux pays surendettés, c'est la profession même du FMI depuis sa création en 1944. Il avait promis de rompre avec les méthodes drastiques du « consensus de Washington ». Pourtant, dans le cas de la Grèce, il avoue avoir eu la main lourde dans la composition de son cocktail traditionnel alliant privatisations massives et réductions drastiques de la protection sociale et des revenus.

Alors qu'il s'attendait à une récession de deux années entraînant un recul du PIB de 5,5 %, la purge dure depuis cinq ans, avec un recul du PIB de 17 % entre 2008 et 2009. C'est en cela qu'il note des « échecs notables ». En fait les experts du fonds ont administré une médecine quasi mortelle. Ils pensaient qu'en retirant 1 € de dépenses publiques, ils ne feraient chuter le PIB que de 0,5 %, ce qu'en jargon on appelle « le multiplicateur budgétaire de 0,5 ».

Il a fallu attendre le mois de janvier 2013 pour que les mêmes experts s'aperçoivent de leur bévue en admettant que le multiplicateur n'était pas de 0,5 mais de 2 ! Le chef économiste du FMI, le Français Olivier Blanchard, minimise néanmoins l'erreur, et renvoie la responsabilité vers les autres médecins : « Il aurait fallu accepter la réalité et diminuer le poids de la dette » dès avril 2010, explique-t-il sur France Inter.

La Grèce aurait dû néanmoins faire des efforts mais serait sortie plus rapidement de la crise. Mais, justement, l'accord du 23 avril 2010 ne comportait aucun allègement de la dette. Toujours sur France Inter, Olivier Blanchard « balance » celui qui ne voulait à aucun prix de cet instrument crucial : « Jean-Claude Trichet »...

La BCE, le médecin obsédé par la contagion

« Mauvais procès », rétorque le président de la Banque centrale européenne. Placé à la tête de la BCE, le Dr Trichet a préféré défendre d'abord la zone euro, au détriment de la Grèce. Interrogé par Marianne, il rappelle qu'il « ne suffit pas de considérer la situation d'un seul pays, la Grèce, mais le risque systémique d'une contagion à toute la zone euro ».

 

Trichet défendait donc la monnaie, ce qui a bien arrangé les grandes banques européennes qui avaient toutes des emprunts hellènes dans leurs comptes, à commencer par les françaises, exposées pour 54 milliards d'euros, dont 29,5 pour le seul Crédit agricole. Le président de la BCE , arc-bouté sur « l'indépendance » de son institution, a dû faire face à l'opposition farouche des membres allemands du directoire de son institution à tout « sauvetage d'un pays » («no bail out») par la banque centrale.

Son successeur, Mario Draghi, n'aura plus ces pudeurs. En 2012, il achètera massivement les obligations espagnoles ou italiennes. En 2010, la solution la pire s'impose pour la Grèce : pour rembourser les dettes privées, le FMI et les pays de la zone euro lui prêtent 110 milliards d'euros alors que la dette publique atteint déjà 145 % du PIB. Trichet a surendetté le malade pour que les banques continuent à gagner de l'argent...

Et il a fallu attendre juillet 2011 pour que soit organisé, enfin, un effacement de 50 % de la dette privée, avec 130 nouveaux milliards de prêts européens à la Grèce. Pendant ce temps, les banques avaient revendu leurs obligations...

La Commission, le médecin qui trahit son serment d'Hippocrate

Implicitement Jean-Claude Trichet met en cause l'égoïsme de certains Etats européens. Et effectivement, le FMI déplore la méthode qui consistait à discuter en priorité de leurs exigences avec les Allemands, les Finlandais ou les Néerlandais, avant de se retourner vers le gouvernement grec.

Dans ces combats obscurs, la Commission européenne aurait dû être garante de l'intérêt commun européen et non de celui des Etats membres. Or le commissaire Olli Rehn, en charge des questions économiques, était très attentif au respect du pacte de stabilité et de la règle des 3 % maximum de déficit public, et sensible aux tentations punitives de Berlin vis-à-vis des fautes, évidentes, de la Grèce, qui avait masqué son déficit réel pendant des années.

Au nom du respect du traité de Maastricht, Bruxelles a même jeté aux orties le modèle social européen, en dictant une baisse généralisée et autoritaire des salaires d'environ 15 %, balayant le principe de l'autonomie des partenaires sociaux dans la détermination des rémunérations. Aujourd'hui, Olli Rehn défend ce triste bilan en bloc et renvoie le FMI dans ses buts : « Le directeur général du FMI Dominique Strauss-Kahn n'avait pas proposé [en 2010] de restructuration anticipée de la dette, et Christine Lagarde [aujourd'hui à la tête du fonds] y était opposée. »

Le malade est devenu pharmacodépendant

Manifestations en faveur des employés de la télévision publique, récemment licenciés - Nikolas Giakoumidis/AP/SIPA
Manifestations en faveur des employés de la télévision publique, récemment licenciés - Nikolas Giakoumidis/AP/SIPA
Pour leur défense, les Diafoirus de la troïka doivent faire face à un drôle de malade. Le gouvernement socialiste de Georges Papandréou a longtemps pensé qu'il pourrait faire semblant d'accepter les exigences du trio infernal.

Ainsi un membre du gouvernement allemand se rappelle avec effroi comment le ministre socialiste des Finances avait accueilli la troïka qui lui suggérait de réduire les dépenses militaires, les plus élevées d'Europe en proportion du PIB : « Pourquoi voulez-vous que je le fasse ? De toute façon, vous paierez pour nous », avait-il répondu...

Son successeur, le Premier ministre conservateur Antonis Samaras aurait pu se saisir du rapport du FMI pour remettre en cause le plan de sauvetage. Il a choisi non seulement de ne pas saisir l'occasion, mais en plus de donner en gage de sa volonté de privatiser la fermeture brutale de la radio-télévision publique et le licenciement sans préavis de ses 2 650 salariés.

Et maintenant ?

L'autocritique du FMI a au moins une vertu, celle de rouvrir le débat sur l'impossible plan pour la Grèce. L'économie grecque, qui a un déficit de compétitivité de 30 %, est toujours enfoncée dans la récession et ne devrait en sortir que progressivement. Contrairement aux attentes de 2011, puis de 2012, la dette grecque n'a aucune chance de devenir « soutenable » à l'horizon 2020.

En 2011, les 15 milliards d'euros d'intérêts versés aux créanciers ont représenté 17 % des recettes de l'Etat, trois fois plus que la moyenne européenne. Il faudra donc bien se résoudre à une nouvelle opération de réduction de dette, sans doute après les élections législatives allemandes, en septembre. Mais alors, ce ne seront plus les banques qui payeront, mais les Etats membres de l'Union européenne, donc les contribuables.
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