Venue débattre d'islam et de laïcité, la journaliste a été violemment prise à partie par des manifestants anti-mariage pour tous, qui l'ont poursuivie jusque dans le train.
Caroline Fourest aux Journées de Nantes, le 13 avril 2013. (Cyril Bonnet/Le Nouvel Observateur)
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"Merci à ces intermittents du spectacle d'avoir montré qu'il y a des extrémistes dans toutes les religions !" La journaliste et essayiste Caroline Fourest, invitée aux Journées de Nantes organisées par "le Nouvel Observateur" les 12 et 13 avril, vient d'être très violemment prise à partie par des dizaines de militants brandissant des banderoles de la "Manif pour tous". Ils se sont infiltrés dans l'amphi de 800 places de la Cité des Congrès, où elle débattait avec l'écrivain Tahar Ben Jelloun et le député PS Jean Glavany sur le thème "Vers un islam moderne ?" Pour la plupart très jeunes, les militants anti-mariage homo se sont levés comme un seul homme dès la première prise de parole de la militante féministe, connue pour ses positions en faveur de la laïcité et du mariage pour tous.
Sifflets, hurlements, boules puantes et gaz lacrymogènes. Alors que la grande majorité de la salle hurle "Dehors ! Dehors !", les protestataires sont rapidement expulsés par le service d'ordre. Caroline Fourest, imperturbable, peut enfin parler de l'éveil prometteur de cet islam spirituel qui s'oppose à l'islam politique en Egypte et en Tunisie, et de cette défense de la laïcité qu'il ne faut pas confondre avec du racisme. Non sans avoir auparavant remercié les spectateurs pour leur réaction solidaire.
"Désolée pour ceux qui toussent et qui ont un peu ramassé des gaz tout à l'heure", plaisante-t-elle.
A l'extérieur, la manifestation grossit, enfants et jeunes ados au premier rang. Les drapeaux de la "Manif pour tous" se mêlent aux drapeaux français et breton, les slogans et la sono se font entendre jusque dans les salles du colloque. Le bâtiment est cerné, à l'issue des débats, Caroline Fourest doit être discrètement exfiltrée.
L'intervention des manifestants n'avait rien d'improvisé. Ils attendaient déjà Caroline Fourest à la gare, à son arrivée à Nantes. Nombre d'entre eux avaient même réservé leurs places à l'avance pour être sûrs de pouvoir assister au débat, et fait connaître leurs intentions sur Twitter. "Je voudrais remercier Caroline d'être venue, c'est courageux", a conclu le directeur du "Nouvel Observateur", Laurent Joffrin.
Mais décidés à ne pas lâcher leur proie, les manifestants ont ensuite conflué vers la gare, où Caroline Fourest devait reprendre le train pour Paris. Massés sur les quais, surchauffés, cavalant dans les couloirs, ils scandent "Première, deuxième, troisième génération, nous sommes tous des enfants d'hétéros". Guettent la journaliste en s'égosillant sur "la Marseillaise". Et sur l'air des supporteurs de foot : "Mais elle est où, mais elle est où..?" Mains et poings levés. Des boules puantes sont jetées dans un wagon de première classe.
Alors que le départ du train est annoncé, la tension monte encore d'un cran. Un cordon de CRS réussit finalement à repousser la foule, mais le train ne peut pas quitter le quai. Des manifestants sont descendus sur la voie. Quand, avec 45 minutes de retard, le TGV démarre, les plus remontés le regardent partir en chantant : "Ce n'est qu'un au revoir…"
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Les commandos de la haine contre Caroline Fourest
Ils l'ont traquée toute la journée, ce samedi 13 avril où elle intervenait à Nantes aux débats du Nouvel Observateur. Traquée, cernée, insultée, de la salle d'où elle a dû être exfiltrée jusqu'à la gare, jusqu'aux wagons, jusqu'à Paris où d'autres l'attendaient. Sans la protection de la police, elle ne sait pas ce qui aurait pu se passer. " Au moins les opposants à la loi ont-ils montré leur vrai visage!" affirme-t-elle crânement, en pleine tempête. Caroline Fourest fait toujours front, de ce beau front qui exaspère tant les imbéciles parce qu'on y lit tant de raison gardée face à la forêt hagarde des déraisons.
De quoi la haine anti-Fourest est-elle le nom? Qu'est-ce qui, dans cette jeune femme obstinée, déclenche les fureurs conjointes des anti-mariage homosexuel, des islamistes, salafistes ou non, de l'extrême-droite et de tous les extrêmes en général? Empêchée de parler, agressée, Caroline l'est sans cesse, de Nantes à Bruxelles, de Civitas à la fête de l'Huma et à toutes les scènes sur lesquelles se ruent les ennemis multiples de la parole claire.
Que veulent-ils faire taire en elle? Le discours limpide de " la dernière utopie", son ode à l'universalisme( Grasset) , son analyse impitoyable des obscurantismes religieux, son refus de céder aux sirènes du compromis qui enchantent tant de ceux qui sont pourtant de sa rive politique, à gauche? Que veulent-ils écraser dans cette silhouette qui court plus vite que leur fureur et, chaque fois, malgré les crachats, les cloue dans leur bêtise dangereuse d'un salut narquois? A coups de documents, d'enquêtes- de Tariq Ramadan à Marine le Pen- de livres-clés, de la télévision avec ses récents " réseaux de l'extrême" à son blog du Huffington Post ( il lui ouvrit ses colonnes après son étrange éviction du Monde l'été dernier), Caroline Fourest est devenue l'intellectuelle française engagée en un temps où l'heure est aux salons goinfrés de narcissisme désengagé.
Disons-le clairement: ils la haïssent tous parce qu'elle est femme et ose penser à l'heure du grand bond en arrière. Parce qu'elle ose dire leurs quatre vérités à des gens qui, tout en se haïssant les uns les autres ( les islamistes, l'extrême-droite, etc...) se ressemblent furieusement par les interdictions de penser semées sous leurs pas. Parce qu'elle est féministe. Parce qu'elle est homosexuelle. Parce qu'elle dénonce le patriarcat, cette plaie commune à tant de sociétés dissemblables comme le souligne avec justesse notre ambassadeur aux droits de l'homme François Zimeray.
Ils la haïssent parce que plus ils l'attaquent, plus on la voit. Parce que, tant pis pour eux, sa parole passe de mieux en mieux. Parce que Caroline Fourest, n'en déplaise à ceux qui se hurlent les représentants de différents courants pseudo-populaires, est très simplement et très clairement populaire. Personnellement, je l'ai connue lors de la désormais lointaine et pourtant si actuelle affaire Tariq Ramadan où tous les plateaux télévisés nous vendaient alors pour musulman cartésien un expert en manipulation de mirages obscurantistes. Notre plus récent échange, c'est autour de l'histoire d'Amina, la jeune Femen tunisienne qui s'est dressée avec un courage inouï contre toute sa société. Là-dessus, toutes les féministes et leurs alliés ont commencé à pincer les lèvres: " Les Femen, pouah! " Justement ,Caroline venait de leur consacrer un reportage avec la cinéaste tunisienne Nadia el Fani ( une héroïne elle aussi, menacée de mort dans son pays si beau pourtant , depuis qu'elle a tourné "Laïcité Inch Allah").
Mais Caroline, pas plus que Nadia, ne siffle "Pouah...attention...doucement!" quand la liberté s'habille ou se déshabille des armes du temps.
La vérité nue, voilà ce qu'elle regarde en face.
Continue Caroline, bien qu'on ait pas besoin de te le dire, tes amis sont avec toi.