Tous les ans, les négociations entre les représentants de la grande distribution et leurs fournisseurs donnent lieu à des annonces solennelles. Il y a quelques jours, la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), qui représente les grandes enseignes, a ainsi officiellement annoncé qu’à l’issue d’âpres discussions de plusieurs mois, les prix des produits alimentaires vendus dans leurs rayons resteront stables en 2013. Ces négociations sont encadrées par la loi et sont censés permettre aux fournisseurs de peser un peu face aux grandes centrales qui représentent les super et les hypermarchés.
Voilà pour la théorie, et pour la vitrine. Mais en fait, les tarifs affichés à l’issue de ces négociations correspondent rarement à l’argent qui arrive finalement dans les caisses des fournisseurs. Les grandes surfaces leur réclament en effet très régulièrement des ristournes, souvent peu justifiées, que les petits producteurs sont rarement en mesure de refuser. C’est le cas de ce fabricant de produits d’art, dont Cultura, une enseigne de loisirs créatifs, qui compte une cinquantaine de magasins en France, est le plus gros client. « Il y a trente ans, notre marque était distribuée par un réseau de magasins indépendants, souvent dirigés par des passionnés, témoigne le dirigeant de ce fabricant, qui a requis l’anonymat. Aujourd’hui, nous répondons aux commandes des financiers qui ont investi notre profession, et qui savent qu’ils nous tiennent. On n’a pas le choix. »

Avec moins d’un million de chiffre d’affaires annuel, ce producteur a un besoin vital d'être référencé par la grande enseigne, qui lui fournit environ un cinquième de son activité. En contrepartie, Cultura lui demande de grignoter ces marges chaque année un peu plus, à coup de conséquentes « remises sur factures » et autres « ristournes de fin d’année ». « Au début des années 2000, lorsque les magasins se sont développés, ils nous ont référencés parce que nous sommes très présents dans les magasins spécialisés. Vu les possibilités d’expansion, nous leur avons accordé une remise de 15 % sur tous nos tarifs », raconte le dirigeant.
Mais, au fil des ans, les exigences du distributeur se sont durcies. La remise de base dépasse désormais 20 %. « La méthode est simple : une année, ils ont énormément restreint leurs commandes et ne m’ont permis de réaliser que la moitié du chiffre d’affaires que j’avais réalisé dans leurs rayons l’année précédente. Je peux vous dire qu’après, j’ai accepté leurs conditions ! »
À ce rabais de base, s’ajoute une très longue liste, selon un contrat auquel Mediapart a eu accès. Entre 4 % et 7 % de remise « logistique », si le fabricant livre ses produits dans un centre de stockage et non directement aux magasins (mais ce n’est pas toujours lui qui choisit). 10 % de réduction supplémentaire sur les premières commandes réalisées lorsque la chaîne ouvre un nouveau magasin. Mais aussi, assure le dirigeant, 3 % de rabais pour les produits proposés par Cultura lors des opérations spéciales de rentrée. Ou encore 2 000 euros à débourser pour chaque photo apparaissant dans les catalogues fabriqués par l'enseigne.
Il faut encore comptabiliser une lourde ristourne dite « de fin d’année » : 4 % pour compenser la « centralisation » des commandes par une centrale d’achat unique. Sans oublier un rabais supplémentaire allant de 2,5 % à 5 %, en fonction du chiffre d’affaires réalisé dans les magasins de l’enseigne ! « En additionnant tout, je consens entre 30 et 40 % de réduction sur mes factures, et donc sur ma marge, calcule le chef d’entreprise. Et ça bouffe ma trésorerie. » Selon lui, cette perte de revenus pousse bon nombre de fabricants de son secteur à faire fabriquer leurs produits en Chine, au mépris de la qualité.