Source : www.reporterre.net
Nicolas de La Casinière (Reporterre)
jeudi 10 avril 2014
Le tribunal de Nantes a condamné très lourdement quelques personnes ayant participé à la manifestation du 22 février contre l’aéroport de Notre Dame des Landes. Jugées d’avoir été violentes, mais avec des preuves très ténues. Quant aux policiers qui ont gravement blessé des manifestants avec des flash balls, ils courent toujours.
Nantes, correspondant
Le 22 février dernier s’est déroulée à Nantes une grande manifestation contre le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes. Près de 40 000 personnes y avaient participé, ainsi que 520 tracteurs, mais une confrontation avec la police s’était produite. Le lendemain, la police avait annoncé la mise en place d’une cellule spéciale d’enquête d’une trentaine de fonctionnaires pour attraper ceux que les autorités désignaient comme "casseurs".
Cinq semaines plus tard, passée l’échéance politique sensible des municipales, les enquêteurs ont trouvé. À défaut des fameux « blacks blocs qui voulaient casser du policier et s’en prendre aux mobiliers urbains » stigmatisés par Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, on a pris deux militants connus et deux lampistes. Si la préfecture avait annoncé le jour même huit policiers blessés, le chiffre montant à 129 « contusionnés » le lendemain, tous ont disparu des audiences de la justice.
L’urgence, cinq semaines après
Neuf arrestations ont eu lieu au petit matin du 31 mars, le lendemain même du deuxième tour des élections municipales. Mais deux personnes étaient de suite relâchées - l’une n’était pas à Nantes le jour de la manif, les preuves manquant contre le deuxième. Les gardes à vue ont été renouvelées jusqu’au transfert devant le tribunal correctionnel.
La procédure de comparution immédiate est habituellement utilisée en urgence après des flagrants délits. Là, alors que les faits remontent à plus d’un mois, elle a permis de tenir l’audience le 1er avril, dans la continuité des arrestations.
Charges retenues contre les quatre prévenus : des présumées « violences sur personne détentrice de l’autorité publique ». Mais aucun policier n’est venu témoigner avoir été atteint par un des quatre prévenus. Le reste des charges : fabrication d’un engin incendiaire (un fumigène), participation avec arme par destination (un pavé pour l’un, des cailloux ramassés pour les deux autres), dégradation (pour avoir pénétré dans une boutique de la société publique de transport en commun et pris un T-shirt, après avoir été trempé par les canons à eau de la police). Cette récupération d’un T-shirt sec a été qualifiée de « graves exactions » par le juge à l’audience.
Pastilles et bagdes
Philippe, 53 ans, intermittent du spectacle, casier judiciaire vierge, militant de longue date à la CGT et au DAL (Droit au logement), un des quatre dans le box, a bien reconnu avoir fait « retour à l’envoyeur » des « pastilles lacrymogènes ». Mais il souligne : « Il n ’y a aucun lien entre tous les quatre. Alors pourquoi faire un lot, plus d’un mois après ? »
On l’accuse avec trois clichés, captures d’écran d’un film pris au cœur des nuages lacrymogènes par la télévision locale TV Rennes. Sur une capture d’écran, on le reconnaît debout au milieu de gens masqués qui dépavent des rails du tramway. Un autre cliché présente une personne de dos. Une autre image montre une personne non identifiable mais de gabarit similaire. Des badges sur un blouson sombre. Éléments clef de la perquisition, ces « trois badges que tout le monde peut avoir et que les policiers ont reposé en groupe sur un blouson saisi dans la perquisition » pour recouper avec l’image dans la manif.
Fumigène ou engin incendiaire
« La justice était apparemment plutôt contente d’avoir quelques militants investis, plus idéologiquement conformes, qu’on retrouve régulièrement dans des manifs, que les pékins moyens arrêtés le jour même et traduits aussi en comparution immédiate », explique Me Stéphane Vallée, avocat d’Enguerrand, le militant de 22 ans, sans emploi, qui a été condamné à un an ferme. Il a reconnu « quelques pierres et trois fumigènes dans une période de dix minutes, mais contre le mur anti-émeute, pas sur des personnes » explique sa compagne.
Des traces de son ADN sont retrouvés sur un fumigène trouvé par delà des hautes grilles anti-émeutes barrant la rue fixées au devant des camions de police. S’il a admis en garde à vue avoir fabriqué ce fumigène, quoi de répréhensible pour un produit d’artifice en vente libre, utilisé dans toutes les manifestations syndicales ?
- Fumigène dans une manifestation à Metz -
« La justice fait une interprétation pour considérer que, comme on y met le feu pour l’allumer, ça entre dans la catégorie des engins incendiaires ou explosifs », dit Me Vallée à Reporterre, une semaine après l’audience. Son client a aussi été condamné pour violences : « Il reconnaît avoir lancé un pavé en direction des policiers, mais où sont les violences s’il n’y a pas de victimes ? Personne n’a été atteint par ce projectile dans les rangs des forces de l’ordre, on n’a aucun nom de fonctionnaire se disant victime, rien... »
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