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2 juin 2012 6 02 /06 /juin /2012 13:27

A deux ans des Jeux olympiques de Sotchi (Russie), les défenseurs des droits de l'homme redoutent «une escalade de la violence, une intensification des interventions et abus des agents de sécurité» en Tchétchénie, au prétexte de lutte contre le terrorisme, dans cette république qui voudrait s'afficher «normalisée». Par  Benedicte Berner, vice-présidente de l’organisation suédoise Civil Rights Defenders.


 

Située entre la mer Caspienne et la mer Noire, à l’extrême sud-ouest de la Russie, la Tchétchénie est limitrophe du Daguestan à l’Est, des républiques d'Ingouchie et d'Ossétie du Nord à l'Ouest et de la Géorgie au sud. Opposée, dès le XVIIe siècle, à la colonisation russe de la région, cette république fut durement réprimée lors des deux derniers conflits armés (1994-1996 et 1999) opposant forces fédérales aux groupes armés rebelles. Présidée par Ramzan Kadyrov, protégé de Poutine, elle offre aujourd’hui une apparence de normalité et prospérité.

Des apparences…

Le premier signe de cette normalité et prospérité est l’autoroute neuve –en contraste avec celle d’Ingouchie– menant de la «frontière» ingouche à la capitale tchétchène, Grozny. La reconstruction accélérée de Grozny en est un autre. Dévastée par les bombardements russes, la ville ressemblait en 2004 à un tas de ruines. Des avenues bordées de fleurs, un marché central flanqué de quelques boutiques affichant des marques de luxe, une salle de concert moderne, un stade magnifique, une énorme mosquée, huit gratte-ciel dont un centre d’affaires et des appartements (encore en 2006, beaucoup de logements dépendaient des livraisons hebdomadaires d’eau par camions citernes), des routes refaites, un aéroport rénové contribuent à donner à la ville un air de quotidien calme. Et de nombreux Tchétchènes sont satisfaits de ces accomplissements et admirent leur président, le plus puissant et le plus craint de la région.

On célèbre aussi beaucoup à Grozny: l’anniversaire de la mort du président Akhmad Kadyrov, père de Ramzan assassiné en mai 2004 par des séparatistes tchétchènes, et plus récemment les 35 ans du président actuel, qui coïncident comme par hasard avec la fête de la capitale. Cette année, Ramzan Kadyrov avait convié plusieurs célébrités internationales: Jean-Claude Van Damme, Shakira, Eva Mendes et Kevin Costner.

… à la réalité

Et pourtant, derrière cette façade, se cache une autre réalité. Sur le plan économique, c’est la pauvreté, le chômage qui touche près de 40 % de la population (plus chez les jeunes), et la criminalité organisée, alimentée par la circulation d’une quantité importantes d’armes, vestiges des deux dernières guerres et source de revenus importants provenant de contrebande, chantage, et «protection».

Et la réalité politique est celle d’un Etat hautement totalitaire. Ramzan Kadyrov règne en maître incontesté –ses portraits géants affichés de part et d’autre de la capitale le rappellent au passant–, soutenu par un système de clans et de loyautés personnelles sans rapport avec les institutions de l’Etat russe. Pourtant Kadyrov ne doit sa place qu’à la conviction du Kremlin qu’il est le seul capable d’empêcher la république de retomber dans le chaos et la guerre civile. Après avoir mené pendant cinq ans, sous prétexte de la lutte anti-terroriste, un combat sanglant contre rebelles séparatistes et civils, Poutine retire en 2004 75 % des 100 000 militaires de l’armée fédérale stationnés en Tchétchénie et confie à Kadyrov le soin du maintien de l’ordre. Kadyrov en profite pour museler toute contestation. Il s’attaque au wahhabisme tout en poussant à une islamisation des mœurs au nom du respect des traditions tchétchènes.

Certaines lois russes régissant officiellement la république sont ainsi remplacées par une série d’oukazes annoncés par le leader, en tchétchène, lors de discours télévisés: il ordonne le port du foulard pour les femmes, encourage la polygamie et le crime d’honneur, prône la soumission des femmes aux hommes dont elles sont, selon lui, la propriété. L’oppression des femmes n’est pas un phénomène visible de prime abord lorsqu’on croise des groupes de jeunes filles arborant les rues de la ville en T-shirt et hauts talons. Cependant il n’est que d’écouter les témoignages des ONG locales ou internationales pour saisir le degré de violence domestique, physique ou psychique, exercé sur beaucoup de femmes (1).

L’ordre règne dans la république, maintenu avec efficacité et cruauté par une milice loyale à Kadyrov de près de 25 000 hommes. En échange, Moscou verse de généreuses subventions: 90 % du budget tchétchène, autrement dit près de 250 milliards de roubles (environ 6 milliards d’euros) en 2011. Cet argent est source d’un vaste réseau de corruption. Officiellement, il est destiné à indemniser des centaines de milliers de résidents de la république de la destruction de leur habitation durant les deux dernières guerres et à les aider à trouver des solutions alternatives autre que les baraques et appartements collectifs leur servant aujourd’hui de logement. En réalité, heureux est celui qui en reçoit même une petite partie, dont il doit, comme tout salarié en Tchétchénie, s’il ne veut pas se retrouver aux prises avec les miliciens, reverser entre 30 et 50 % au fond «Kadyrov», un fond qui alimente directement les poches du Président.

Kidnapping et arrestations arbitraires de personnes souvent choisies au hasard au nom de la lutte anti-terroriste font des victimes parmi des civils innocents: religieux mais non jihadistes, familles de prétendus terroristes, journalistes et défenseurs des droits de l’homme; Kadyrov remplit ainsi le quota imposé par la lutte anti-terroriste. Ces opérations sont souvent menées par des hommes masqués, sans badge ni uniforme, se déplaçant dans des véhicules non immatriculés, rendant ainsi très difficile la constitution de preuves.

Selon l’organisation des droits de l’homme russe Memorial, 3 500 personnes auraient disparu en Tchétchénie depuis 2000. Les victimes sont ensuite, dans de nombreux cas, torturées –les familles restant sans nouvelles en moyenne pendant huit jours– et vont, suite à ces traitements, signer de fausses confessions d’actes terroristes et donner les noms d’autres personnes qui à leur tour vont subir les mêmes sévices (coups et chocs électriques) et donner encore d’autres noms. Les autorités se chargent de fabriquer des preuves, en plaçant des explosifs ou autre matériel compromettant, par exemple de la drogue, dans les maisons ou autres biens (sacs, habits...) des victimes. Et pour semer une atmosphère de peur généralisée, les autorités ont de surcroît mis en place un système de punition collective consistant à brûler les maisons des familles ou amis liés aux présumes islamistes.

 

Qu’attendre des institutions locales ou fédérales?

Recourir aux autorités judiciaires? Elles se montrent en réalité inefficaces et incapables de sanctionner les structures locales, ou éventuellement fédérales, responsables des abus commis. Les violations des droits de l’Homme ne font l’objet d’aucune enquête, entraînant une totale impunité pour les coupables. Cette situation résulte d’une part de la corruption et d’autre part du refus des autorités de coopérer avec les procureurs et les tribunaux. Les enquêtes judiciaires traînent ou sont interrompues dès qu’elles touchent à des agents de sécurité; les présumés coupables ne se présentent pas aux convocations des juges; les témoins, les familles et amis des victimes ne sont pas interrogés et si nécessaire, ils sont menacés psychologiquement ou physiquement. Le cas Zarema Gaysanova, représentante du Conseil danois pour les réfugiés, illustre bien ce système. Enlevée à Grozny en octobre 2009, Zarema n’a toujours pas été retrouvée; aucun témoin n’a été jusqu’à maintenant interrogé, et l’enquête est au point mort.

Recourir aux ONG des droits de l’homme? La situation des défenseurs russes des droits de l’homme en Tchétchénie est extrêmement difficile et dangereuse. Pour ne citer que les cas les plus connus liés à cette république: les assassinats, en 2006, de la journaliste Anna Politkovskaya; en 2009, de Stanislaw Markelov, avocat des droits de l’momme, de la journaliste Anastasia Babourova, de Natalia Estimirova de Memorial, directement menacée par Kadyrov lors d’une réunion, suivis de la disparition de personnes affiliées à d’autres ONG ont semé la peur au sein de la communauté des organisations des droits de l’homme. Après avoir fermé son bureau de Grozny pendant six mois en 2009, Memorial y a repris très prudemment ses activités. Prudemment, car certains représentants des ONG sont de plus en plus ouvertement accusés par les autorités de prendre parti pour les terroristes et étiquetés comme«ennemis de l’Etat». Ces accusations ont un double effet: effrayer les défenseurs des droits de l’homme et décourager les victimes d’abus de droits de l’homme de s’adresser aux ONG de peur d’être à leur tour accusées de complicité avec les terroristes.

Espérer un changement de politique de Poutine? Au cours de son mandat, Medvedev a évoqué la nécessité d’une politique de développement pour le Caucase du Nord. Nommé en 2010, envoyé plénipentotiaire du président pour la région du Caucase du Nord et vice-premier ministre de la Russie, Alexander Khloponin est censé être l’architecte principal de la stratégie de développement économique et social de la région. Pour le moment aucun projet économique viable n’a vu le jour et aucun plan de modernisation des institutions politiques n’a été discuté. Inexistante aussi, une politique visant à mettre en place des instruments de lutte contre la corruption pour surveiller l’emploi des fonds fédéraux.

Notons toutefois un élément qui pourrait être éventuellement porteur de changement à plus long terme car il pose un dilemme à Poutine: la montée d’un sentiment anti-caucasien au sein de la population russe. Un sentiment nourri par la continuation des attentats terroristes sur tout le territoire, par les sommes faramineuses englouties par Kadyrov et par les démonstrations ostensatoires de richesse de ce dernier dont une armada de voitures de luxe, un zoo privé et des chevaux de courses. La campagne «Arrêtez de nourrir le Caucase!» lancée par le célèbre bloggeur anti-corruption Alexei Navalny est une des manifestations de cette colère. Plusieurs régions en Russie ont des infrastructures déplorables et se sentent lésées. Certains vont même jusqu’à demander l’exclusion de la Tchétchénie de la Russie. Un sondage effectué récemment par le centre Levada à Moscou indique que plus de 51 % de la population ne serait pas opposée à un redécoupage des frontières.

Mais à court terme, un changement de cap du Kremlin paraît tout à fait improbable. L’approche des Jeux olympiques d’hiver, prévus pour 2014 à Sotchi, située à une heure de voiture de la frontière ouest du Caucase du Nord, complique la situation. Les Jeux sont importants pour le prestige de Poutine: le symbole non seulement d’une Russie moderne qui prend sa place parmi les grandes puissances de ce monde, mais aussi de la normalisation de la situation dans le Caucase du Nord. Une attaque terroriste ciblant les installations olympiques affaiblirait sérieusement la position du Président. Les ONG des droits de l’homme craignent à présent une escalade de la violence, une intensification des interventions et abus des agents de sécurité pour prouver leur «efficacité» risquant de provoquer une radicalisation des groupes armés. Certains experts de la région prévoient la mise en place par les autorités d’une stratégie visant à diviser les différent groupes rebelles en les arrosant de pots de vin –une stratégie pour le moins incertaine.

 

Que peut faire la communauté internationale?

La principale instance qui peut espérer exercer un tant soit peu d’influence à court terme sur la Russie est la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). La Cour européenne est intervenue maintes fois sur des cas liés au Caucase du Nord. De 1999 jusqu’en décembre 2011, sur les 320 cas de violations graves des droits de l’homme dans la région soumis à la Cour, près de 200 concernaient des opérations anti-terroristes (dont 60 % des cas de disparitions) en Tchétchénie. Dans une grande majorité des affaires, la Cour a condamné la Russie pour non respect des articles 2 (droit à la vie), article 3 (interdiction de la torture), article 5 (droit à la liberté et à la sûreté), article 13 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne des droits de l’homme. Les condamnations de la Cour mettent en évidence la gravité et la fréquence des violations des droits de l’homme en Tchétchénie et donnent un réconfort psychologique important aux victimes par la reconnaissance des injustices subies.

Deux facteurs en limitent cependant l’efficacité. D’une part, le refus de la Russie de poursuivre et punir les coupables malgré les condamnations de la Cour. Un des jugements récents de la Cour, relatif à la Tchétchénie, Beksultanova c. Russie, en est l’illustration. En octobre 2004, un officier des forces spéciales s’était présenté à la maison de Beksultanova, ordonnant à son fils Timur (né en 1980) de l’accompagner au poste de police afin de vérifier certains renseignements quant à ses liens avec des réseaux terroristes. Timur a depuis lors disparu. Condamnée par la Cour européenne à verser à la plaignante 60 000 euros pour dommage moral et 3 000 euros pour frais de procédure ainsi qu’à poursuivre l’enquête, la Russie s’est contentée de payer, sans procéder à aucune investigation, perpétuant l’impunité des coupables (2).

Officiellement, les autorités russes disent vouloir donner la priorité à l’application des jugements rendus par la CEDH sur la Tchétchénie et ont pris à cet égard un certain nombre de mesures dont la mise en place en 2010 du Comité fédéral d’investigation et d'un Comité tchétchène d’investigation, chargés d’informer les victimes et leurs familles du progrès des enquêtes. Les résultats sont pour le moment maigres et le seul véritable travail d’investigation est conduit par des «groupes mobiles» affiliés au Comité contre la torture russe, une ONG dans le collimateur du pouvoir.

D’autre part, la durée de la procédure. Saisie après épuisement de tous les recours nationaux, la Cour met environ quatre ans avant de statuer. C’est ce qui explique que la plupart des affaires tchétchènes jugées par la CEDH aujourd’hui datent des guerres de 1994 et 1999. Ces cas sont particulièrement difficiles suite au refus des autorités fédérales de donner accès aux archives des unités militaires présentes en Tchétchénie lors des opérations anti-terroristes de l’époque.

Cependant, la Cour a depuis un an adopté des dispositions plus radicales. Elle a accepté, en 2011, de prendre pour la première fois en «procédure urgente» (article 39) des affaires de violations des droits de l’homme commises en Tchétchénie. Il s’agit de Tamerlan Suleimanov, enlevé à Grozny en mai 2011 par des agents de la sécurité nationale et d’Islam Umarpashayev, disparu pendant quatre mois, détenu dans la cave d’un bâtiment de la police du ministère de l’intérieur de Tchétchénie sans aucune charge retenue contre lui et contraint à laisser pousser sa barbe, dans le but de le faire passer pour un islamiste radical. Non seulement, la CEDH est intervenue très rapidement, mais elle a aussi réussi à faire libérer Umarpashayev. Il faut espérer que la CEDH utilise dorénavant plus fréquemment ce genre de procédure et puisse ainsi peser sur la Russie dans des affaires plus récentes où il reste encore des chances de retrouver les victimes vivantes.

(1) Divorcer par exemple et obtenir la garde de ses enfants est quasiment impossible. Pourtant, la loi russe le permet et les jugements sont souvent rendus dans ce sens mais jamais appliqués car les ex-maris et leurs familles, fort des propos de leur Président, se font alors très menaçants.

(2) Dans d’autres affaires, des agents de la sécurité fédérale ou militaire ont même été promus malgré des preuves évidentes de leur culpabilité et un jugement rendu dans ce sens par la CEDH.

 

 

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