Le Monde.fr | 19.04.2012 à 10h13 • Mis à jour le 20.04.2012 à 10h27
Par Francine Aizicovici
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Miracle à quelques jours du premier tour de l'élection présidentielle : une nouvelle entreprise est sauvée ! Jeudi 19 avril, le groupe Saint Jean Industries a été désigné par le tribunal de commerce de Nanterre pour reprendre la Fonderie du Poitou Aluminium (FDPA), basée à Ingrandes (Vienne), qui fabrique des culasses de moteur.
Une désignation sans surprise, l'offre de Saint Jean Industries étant restée la seule après l'audience au tribunal de commerce du 11 avril. Lundi 16 avril, la venue sur place de Nicolas Sarkozy pour annoncer avant le juge cette reprise ainsi que des commandes jusqu'en 2015 de la part de Renault, le principal client de la FDPA, avait d'ailleurs été qualifiée "de show présidentiel", par Patrice Villeret, délégué CGT. "On savait déjà tout", dit-il. Et ce résultat, "on ne le doit qu'à nous-mêmes, à nos 9 mois de lutte qui ont fait bouger l'Etat et Renault".
392 salariés sur 455 seront repris. La CGT a déjà prévenu, lors d'une rencontre ce jeudi entre Emile Di Serio, président de Saint Jean Industries, et les élus du personnel, qu'elle "n'acceptera que des départs volontaires" pour les 63 postes supprimés. Autre point sensible : les salaires, que Montupet, maison-mère de la FDPA, avait voulu baisser de 25 % à l'été 2011. Le refus des salariés avait entraîné le désengagement de Montupet et sa mise en redressement judiciaire en octobre 2011. M. Di Serio a assuré aux élus du personnel qu'il "n'était pas question de toucher aux montants des salaires mais qu'il y aurait des ajustements de la grille salariale", indique la CGT, soulignant que le syndicat "restera vigilant sur les engagements et les investissements nécessaires au développement" de la FDPA.
M. Di Serio indique avoir "un plan d'investissement de 24 millions d'euros sur 3 ans (2012 à 2015), dont 5 proviennent de Renault et 8 d'aides de l'Etat à la réindustrialisation". S'ajoutent 12 millions d'euros du Fonds de modernisation des équipementiers automobile. Renault compensera, en outre,
pour 14 millions d'euros, la sous-charge de travail en 2012 et 2013.
MAUVAIS SOUVENIRS
Acteur peu connu du public, le groupe équipementier Saint Jean Industries emploie 1 400 salariés dans le monde (en Suisse, en Norvège, en Allemagne, aux Etats-Unis, en Croatie, etc.) dont 900 en France. Il travaille à 90 % pour l'automobile, fabrique des pièces pour les châssis, les moteurs, les roues, et affiche un chiffre d'affaires de 177 millions d'euros en 2011. Il n'en est pas à sa première reprise.
Mais l'une d'entre elles a laissé de bien mauvais souvenirs, à Vénissieux, bien qu'on n'en trouve aucune trace dans le dossier de presse du groupe. En 2005, Saint Jean Industries rachète l'une des plus anciennes entreprises de Vénissieux, la fonderie Duranton-Sicfond, qui emploie alors 108 salariés. Son principal client est Renault Trucks, propriété de Volvo. En février 2009, la fonderie est placée en liquidation judiciaire.
"La crise a fait chuter nos volumes de 70 % en septembre 2008, explique M. Di Serio. 2009 a été catastrophique. Nous avons demandé des aides à Volvo. On nous a répondu que nos prix n'étaient pas acceptables et que des pièces avaient été développées en Inde." C'est le dépôt de bilan. Les salariés sont licenciés sans indemnités. Michèle Picard, maire PCF de Vénissieux, donne une tout autre version de cette histoire. Pour elle, le groupe a "licencié brutalement et sans vergogne le personnel, après avoir organisé la fermeture de l'entreprise."
"Il a fait croire aux salariés que Renault Trucks jugeait ses prix trop élevés, dit-elle. En fait, Saint Jean Industries, qui n'a fait aucun investissement dans l'usine de Vénissieux, avait augmenté ses prix, obligeant Renault Trucks à aller se fournir ailleurs, tout cela dans le but de fermer l'usine et d'envoyer les machines en Croatie notamment."
Agnès (le prénom a été modifié), ancienne salariée du site de Vénissieux, garde un souvenir douloureux de cet épisode : "Le site était dans un état lamentable, il y avait des accidents du travail à répétition. Fin 2008, dans la cour de l'usine, M. Di Serio nous a dit que Renault Trucks nous lâchait, qu'il ne pouvait rien faire et qu'il allait déposer le bilan. Il nous a incités à demander des primes de licenciement à Renault Trucks. Ce qu'on a fait, en menaçant le client de bloquer les livraisons. Les salariés, qui avaient 30 ou 40 années d'ancienneté et dont 70 % avaient plus de 50 ans, étaient totalement paniqués. On a compris, trop tard, qu'on avait été manipulés. On s'est mis en grève."
En vain. Le bilan a été déposé. "J'ai travaillé plus de 25 ans dans cette entreprise, mon père, 40 ans, constate Agnès. C'était une boîte familiale, avec des directeurs que je respectais. Saint Jean Industries nous a repris pour nous jeter ensuite. Quand j'entends parler de cette entreprise, je me sens mal, nerveusement. On est marqué à vie par cette affaire. " M. Di Serio n'a pas souhaité faire de commentaires. "L'actualité n'est pas sur ce sujet aujourd'hui", dit son entourage.
Francine Aizicovici