Le Salon de l’agriculture débute au moment où la crise ouverte par l’escroquerie sur les lasagnes de cheval devenues lasagnes de bœuf met en lumière les scandales de l’industrialisation de l’agroalimentaire.
Ce n’est pas une surprise. Le marché mondial ne recherche que le profit. Le produit agricole est devenu une variable d’ajustement des cours mondiaux. Le consommateur et le paysan sont les dindons de la farce d’une chaîne alimentaire devenue folle où la multiplication des intermédiaires renforce le coût des produits et l’opacité du système.
Moins il y a de paysans et plus les dérives de cette agriculture hors-sol créent une situation que plus personne ne parvient à maîtriser.
Tradition corrézienne
Mais peut-on encore faire marche arrière dans ces conditions ? Là aussi, le renoncement en politique fait des dégâts. François Hollande, fidèle à la tradition corrézienne instituée par Jacques Chirac, peut avoir passé dix heures au rendez-vous de la Porte de Versailles à tâter le cul des vaches, que retiendra-t-on au final de son action concrète ? Qu’une semaine avant, dans les tristes conciliabules des chefs de gouvernement de l’Union européenne, il aura tout fait pour défendre la Politique agricole commune (PAC)… Mais sans la changer !
Défendre la PAC sans la changer, c’est soutenir les intérêts de la partie de la paysannerie qui mise tout sur le productivisme agricole, la financiarisation des matières premières, celle qui, avec la FNSEA et les lobbies de l’agro-alimentaire, nous mène droit dans le mur depuis plus de 50 ans.
Famine au Sud, malbouffe au Nord
Je sais bien qu’il est difficile de s’opposer au poids du syndicat majoritaire, du Crédit agricole, des chambres d’agriculture et des industriels de l’agroalimentaire, mais avec les dernières négociations de Bruxelles, la France a obtenu 9,5 milliards d’euros sur les 50 distribués par l’Europe.
En ne plafonnant pas cette aide, en ne la réorientant pas vraiment vers l’agriculture durable et bio, le gouvernement continue à soutenir toujours les mêmes depuis des décennies : les gros céréaliers et les tenants d’une agriculture intensive, polluante et qui contribue, par l’exportation, à affamer les paysanneries du Sud.
Ceux qui possèdent le plus d’hectares de blé ou de betterave sucrière bénéficieront de plus de subventions, tandis que ceux qui pratiquent le maraîchage ou le petit élevage et qui n’ont jamais été protégés par les prix, auront très peu accès à ces subventions.
La PAC, machine à paupériser
A force de céder en rase campagne à chacune des exigences du lobby agricole, on est en train de détruire les tenants de l’agriculture paysanne, déjà malade : crise de l’élevage, non renouvellement des générations… Et l’on va accentuer la crise de ce secteur par notre soutien à l’exportation plutôt qu’à l’agriculture de proximité.
Cette politique crée la famine au Sud et la malbouffe au Nord, selon le titre d’un ouvrage de l’agronome Marc Dufumier qui a succédé à René Dumont. Dès les années 70, l’un des pères de l’écologie politique française dénonçait cette politique suicidaire. Depuis rien n’a changé. Au contraire.
La délocalisation de l’industrie agro-alimentaire a entraîné celle des paysans eux-mêmes. Les industriels de l’agro-business français achètent des terres dans les pays de l’est, en Ukraine ou en Roumanie, et jouent du dumping avec les prix agricoles. La PAC est devenue une machine à paupériser les paysans, ici en Europe et là-bas dans le Sud.
Bientôt plus de paysans ?
Il reste en France 490 000 exploitations agricoles, il y en avait 2 100 000 en 1960. Au rythme actuel des disparitions, il en restera 100 000 en 2030.
Alors que la taille moyenne des exploitations grandit, la mécanisation encore plus poussée de la production induit des milliers de suppressions d’emplois. En France, entre 1980 et 2010 l’agriculture en a perdu 3 millions.
Entre 1960 et 2004 le volume de la production agricole française a doublé, sa valeur a baissé de 16%.
La pauvreté concerne 25% des agriculteurs, contre 13% en moyenne pour l’ensemble de la population.
Tandis qu’une classe de managers de l’agro-business s’est créée sur le dos des paysans-travailleurs, le monde rural n’a plus que le choix entre désert social et culturel et lieu de villégiature. Avec l’étalement urbain, c’est chaque année des dizaines de milliers d’hectares qui disparaissent. Les paysans n’ont plus que les méthodes de la jacquerie pour se faire entendre. Leur parole est souvent confuse. Pourtant c’est eux qui nourrissent le monde.
Cauchemar prôné par Monsanto
Quel type de société veut-on pour nos enfants ? Celle qui est décrite comme une utopie meurtrière dans le film de science-fiction « Soleil Vert » ? Ou celle de la relocalisation de l’agriculture, de l’agro-alimentaire, des circuits courts, du bio de proximité, de l’agriculture urbaine et de l’agro-écologie, c’est à dire des bonnes pratiques issues du savoir-faire paysan, liées à un environnement sain débarrassé des pesticides et des OGM ?
Les malfrats de l’industrie agroalimentaire et les politiques irresponsables sont en train de transformer le cauchemar prôné par Monsanto et ses comparses en réalité. L’agriculture française est une bombe à retardement.
Si nous sommes tous responsables de ce que nous mangeons, alors nous devons être solidaires des paysans qui se battent pied à pied pour sauver leur métier : celui de nourrir les hommes en étant rémunérés décemment. Au Salon de l’agriculture, derrière le cul des vaches, il y a des femmes et des hommes, ne l’oublions pas.