Source : www.mediapart.fr
En se faisant réélire président, Bachar al-Assad fait valoir qu'il est le meilleur rempart à la menace djihadiste dans le pays. Mais ces derniers mois, le régime a férocement réprimé tous les groupes d'activistes pacifistes pouvant représenter une alternative démocratique, misant sur la radicalisation du conflit.
Beyrouth, correspondance. Le procès à Damas de Mazen Darwish, avocat et président du Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression (SMC), prend depuis quelques semaines un tour ubuesque. Le 24 mars, la cour antiterroriste de Damas avait déclaré que Darwish, ainsi que quatre autres membres de l'organisation, seraient désormais poursuivis pour « avoir fait la promotion d'actes terroristes ». Arrêtés en février 2012 lors de la mise à sac des locaux du SMC par les services de renseignements de l'armée de l'air, ces cinq activistes documentaient les exactions commises contre les journalistes durant le soulèvement populaire qui a éclaté en 2011.
![Mazen Darwish, arrêté et emprisonné en février 2012. Mazen Darwish, arrêté et emprisonné en février 2012.](https://static.mediapart.fr/files/imagecache/770_pixels/media_24/darwish.jpg)
Leur dossier a ensuite été transféré devant la cour antiterroriste de Damas. Depuis, cette juridiction créée le 25 juillet 2013 attendait que des preuves de leurs présumées activités terroristes lui soit transférées pour débuter le procès. Le 18 juin prochain, il aura finalement lieu sans qu'aucune pièce n'ait besoin d'être présentée : le procureur général a décidé de s'en passer. A cour exceptionnelle, règles exceptionnelles...
Cette pratique ne cesse d'être dénoncée par les organisations de défense des droits de l'homme : « La nouvelle cour anti-terroriste fournit une couverture judiciaire pour la persécution des activistes pacifiques par les branches de sécurité syriennes, estime Nadim Houry, responsable de la section Proche-Orient de Human rights watch (HRW). Le gouvernement peut avoir une loi anti-terroriste mais il n'y a rien de légal dans le fait de poursuivre des activistes pacifiques sans garantie d'un procès équitable pour des actes qui ne devraient jamais être considérés comme des crimes ».
L'accusation de terrorisme dont Mazen Darwish et ses quatre collègues font l'objet est en effet difficile à justifier par les autorités syriennes. Depuis 2004, cet avocat répertoriait les violations des droits de l'homme en s'attachant à la situation des médias et des journalistes. Les accusés encourent aujourd'hui jusqu'à quinze ans de prison.
Ce procès est emblématique d'un phénomène relégué au second plan par les exactions des groupes radicaux qui prolifèrent aujourd'hui en Syrie. Trois ans après le début de la révolution, les opposants à Bachar al-Assad qui ont fait le choix de ne pas prendre les armes sont toujours les cibles premières du régime. « La prison est un moyen de les empêcher de travailler, regrette une proche de Mazen Darwish également arrêtée en février 2012. C'est pour cela que les autorités se permettent d'attendre un an pour obtenir des preuves alors qu'ils savent depuis le départ qu'ils n'en trouveraient aucune ».
Les méthodes du régime pour empêcher les activistes de poursuivre leur lutte s'avèrent souvent encore plus radicales. En novembre 2012, Ayham Ghazoul, membre du SMC, est mort sous la torture après avoir été arrêté à l'université. Et bien d'autres groupes d'activistes ayant fait le choix de la non-violence subissent la même répression. « Le régime nous a visés depuis le départ car nous avons des projets sérieux, on peut représenter une alternative au pouvoir en place », explique Majd Chourbaji, membre de l'organisation des Femmes libre de Daraya, ville de la banlieue de Damas assiégée depuis un an et demi par le régime (lire ici un précédent article sur les massacres survenus dans cette ville). « Nous savons ce que nous voulons pour le futur, c'est-à-dire un état démocratique non sectaire qui respecte toutes les religions », ajoute-t-elle. Un discours très éloigné de la manière dont le régime syrien dépeint ses opposants, qualifiés indistinctement de terroristes.
Majd Chourbaji, qui a aussi participé au lancement d'Ineb Baladi, un journal libre créé au début de la révolution à Daraya, souligne que la plupart de ces activistes croupissent aujourd'hui dans les prisons du régime. Rien que parmi les rangs d'Inab Baladi, trois membres ont été tués et quatre autres sont toujours emprisonnés. Daraya a particulièrement fait les frais de cette stratégie : cette ville est célèbre pour le mouvement non-violent qui a perduré pendant les premiers mois de la révolution. Dès mars 2011, des activistes sont arrêtés et meurent sous la torture pour avoir distribué de l'eau et des roses aux soldats qui tiraient sur les manifestants.
Ces arrestations ont sans nul doute affaibli la dynamique qui prévalait durant les premiers mois du soulèvement. « En arrêtant les opposants qui défendaient une ligne pacifique, le régime a permis à la révolte armée de prendre le dessus », poursuit Majd Chourbaji, qui est restée sept mois en prison. «Pendant ma détention je voyais des femmes qui avaient aidé les rebelles être relâchées au bout d'un mois ou deux, alors qu'on m'a libérée au bout de sept mois et dans le cadre d'un échange d'otages : je n'aurais même pas dû sortir !», témoigne-t-elle.
Imad (son nom a été changé pour des raisons de sécurité) observe chaque jour les retombées d'une telle stratégie. Cet activiste est membre du conseil local qui administre Daraya depuis octobre 2012. Joint par Skype, il explique que la révolte armée a donné un coup d'arrêt aux activités pacifiques. « Une fois que la bataille de Daraya a commencé en novembre 2012, le bureau militaire du conseil local est devenu très important alors que les bureaux qui s'occupent d'animer la société civile sont devenus minimes », regrette-t-il.
Un chaos bénéfique au régime de Damas
Avec l'arrivée des armes, les activistes pacifiques ont en effet perdu leur influence sur le terrain. Wesam Sabaaneh est coordinateur pour l'organisation Jafra, qui aide les habitants des camps palestiniens syriens. Originaire de celui de Yarmouk, au sud de Damas, il explique les difficultés rencontrées par les activistes restés dans cette ville assiégée par le régime depuis presque deux ans. « Contrairement aux rebelles, ils n'ont pas d'argent, ils ne sont pas armés , résume-t-il. C'est la guerre, le chaos, c'est très dangereux : de plus en plus d'activistes se sont donc affiliés à des milices car ils n'ont pas d'autre choix pour avoir une protection. A partir de là, beaucoup ont perdu leur indépendance ».
L'homme note aussi que le paysage des activistes a évolué : « Beaucoup ont fui avant le siège, ceux qui sont actifs à l'intérieur sont jeunes, ils étaient encore adolescents quand la révolution a commencé ; ils sont courageux et essayent de faire de leur mieux mais c'est difficile car ils n'ont pas d'expérience ».
Même s'ils sont aujourd'hui affaiblis, ces activistes continuent d'être pourchassés par le régime. A Yarmouk, ils sont systématiquement exclus des trêves conclues pour évacuer le quartier. Si des combattants ont été autorisés à quitter Yarmouk en janvier dernier, les activistes pacifistes n'ont pas fait partie de l'accord. Depuis la trêve, trois ont été arrêtés en essayant de sortir du camp. « Ahmad Qudaymi est détenu car il travaillait dans le seul hôpital de Yarmouk », dénonce un activiste originaire du camp. Lui-même a fui le pays après que toute sa famille a été arrêtée en septembre dernier, lorsque son père a transmis de l'argent à un commerçant censé fournir de la nourriture pour les habitants assiégés du camp.
![Ruines dans la ville de Yarmouk à l'été 2013. Ruines dans la ville de Yarmouk à l'été 2013.](https://static.mediapart.fr/files/imagecache/770_pixels/media_24/501300130.jpg)
Les activistes pacifistes en sont persuadés : le régime fait tout pour les pousser à l'exil afin d'affaiblir leur lutte. « Une fois qu'on est dehors, on est loin, plus confronté aux difficultés des Syriens de l'intérieur », admet un ancien membre du bureau des médias du comité local de coordination de Zabadani, installé en Turquie car il ne lui était plus possible de travailler sous les bombes. « Pour cette raison, je n'ai mené que des projets personnels depuis que je suis sorti du pays », dit-il.
Cet exil désole d'autant plus les opposants qu'il laisse le champs libre aux éléments les plus radicaux du conflit. Le régime n'est maintenant plus le seul à opprimer les activistes pacifiques. « Depuis plusieurs mois, les attaques et surtout les enlèvements de militants des droits humains et journalistes en particulier, se sont multipliés de la part d'acteurs non-étatiques armés », constate Marie Camberlin de la FIDH, organisation membre de Free Syria's Silenced Voice. Cette campagne lancée en mai répertorie les arrestations et disparitions d'activistes afin de « redonner une voix à ceux qui militent pacifiquement pour les droits des Syriens ».
Le plus emblématique de ces enlèvements est celui de Razan Zaitouneh. Cette avocate a fondé les Comités locaux de coordination qui organisent et couvrent les activités civiles opposées au régime, ainsi que le centre de documentation des violations (VDC). Avec trois autres activistes, elle a été kidnappée en décembre 2013 par un groupe armé à Douma, en banlieue de Damas. En avril 2014, ses proches ont publié une déclaration interpellant Ziad Alloush, leader du groupe rebelle L'Armée de l'Islam, responsable de la zone dans laquelle elle a disparu.
Ce chaos, qui dégrade l'image de l'opposition, est bénéfique au régime. « Il se montre comme la seule solution pour protéger les minorités et rétablir le calme, analyse une proche de Mazen Darwish. Mais il ne doit pas oublier qu'il a maintenant la responsabilité de protéger tout Syrien contre les éléments extrêmes et djihadistes ».
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