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24 juillet 2012 2 24 /07 /juillet /2012 20:56

 

Comment ne pas faire le rapprochement ? La semaine dernière, un nouveau scandale bancaire éclatait. Après Goldman Sachs, JP Morgan, Barclays, UBS, c’était au tour de HSBC d’être pris dans les mailles du filet. Une commission d’enquête du Sénat américain venait de mettre à jour dans un rapport de plus de 300 pages les agissements de la banque. Une enquête accablante : HSBC a non seulement favorisé l’évasion fiscale, mais a fermé les yeux sur des pratiques criminelles. Elle a détourné son regard du blanchiment d’argent et du trafic de drogue et d’armes au Mexique, des liens avec le terrorisme en Arabie Saoudite, ou du financement d’armes au Soudan ou en Iran.

Plus de 60 000 comptes liés à sa seule filiale mexicaine ont trouvé l’hospitalité dans les îles Caïmans. Sur 41 % de ces comptes, la banque n’avait quasiment aucune information, ne faisait aucun contrôle, en dépit des mises en garde de plusieurs responsables insistant sur les risques immenses de blanchiment d’argent de la drogue. Prise la main dans le sac, la direction de HSBC s’est déclarée « profondément bouleversée », a présenté ses excuses à ses salariés et à ses clients, renvoyé quelques lampistes, et promis de pleinement coopérer avec les autorités américaines. Une fois de plus, l’affaire risque de se terminer par une amende record, excluant toute autre peine. Et on passera à autre chose.

Dimanche, une fondation indépendante, Tax justice network, publiait dans The Observer une longue étude sur l’évasion fiscale et les paradis fiscaux. Menée par un ancien économiste en chef de MacKinsey, James S. Henry, l’étude a tenté de cerner ce « trou noir » de plus en plus important de la finance mondiale, le prix réel de l’off shore. Selon lui, tout pousse à sous-estimer l’ampleur de cette évasion fiscale. Les  statistiques des diverses organisations internationales – FMI, Banque mondiale, Banque des règlements internationaux – amènent à évaluer les actifs financiers cachés dans les paradis fiscaux autour de 17 000 milliards d’euros. D’après ses estimations, il les chiffre plutôt autour de 25 500 milliards d’euros. Cela représente plus que l’addition du PIB des États-Unis et du Japon. Et encore insiste-t-il : « Il s’agit juste de la richesse financière. Une bonne partie des actifs investis dans l’immobilier, les yachts, les écuries de courses et tant d’autres choses qui comptent pour les grandes fortunes sont détenues au travers des structures off shore qui rendent impossible l’identification de leurs propriétaires ».

Mais il est un autre chiffre encore plus éloquent : « Une analyse détaillée des 50 premières banques privées internationales révèle qu’à la fin de 2010, elles géraient collectivement plus de 15 milliards d’euros d’investissements internationaux pour le compte de clients privés, y compris à travers des trusts et des fondations », note l’étude. Contrairement à ses démentis répétés, le système bancaire international est donc bien la pierre angulaire de ce système d’évasion fiscale.

 

Des parafis disparus en cinq jours

L’étude a repéré tous les grands noms de la gestion de fortune. Toutes les grandes banques y sont. UBS, dont les pratiques d’évasion fiscale et de comptabilité occulte semblent avoir été érigées en règle de management dans tous les grands pays est en tête. Crédit Suisse et HSBC, tout aussi bien connus, le suivent de près. Deutsche Bank et BNP Paribas, nos grandes banques européennes, qui ne cessent d’afficher des brevets d’honorabilité, ont fait beaucoup d’efforts ces dernières années pour se hisser dans le classement de la gestion de fortune. Elles étaient respectivement au 6e et 8e rang en 2005, elles se retrouvent au 4e et 6e rang en 2010. De façon plus anecdotique, le classement de la banque suisse Pictet au dixième rang en 2010, surprend. C’est une toute petite banque genevoise. Mais il est vrai que son nom se retrouve dans nombre d’affaires françaises d’évasion fiscale. Ceci explique peut-être cela.

 

 
© Tax justice network

Mais ce classement impose une autre remarque. Dans cette liste de 2010 figurent de nombreux établissements qui ont été secourus par des fonds publics en 2008 et 2009, comme Barclays, ABN Amro, Goldman Sachs, dans une moindre mesure BNP Paribas et Crédit agricole. Le jeu de dupes de la crise financière apparaît au grand jour : les gouvernements ont sauvé les banques sans leur demander la moindre contrepartie, même pas de fermer leurs filiales dans les paradis fiscaux. En 2010, elles continuent de prospérer sur cette activité. Et de quelle façon !

En cinq ans, leurs actifs gérés pour le compte de leur clientèle internationale ont presque été multipliés par 1,5, passant de 9 à 15 milliards d’euros d’actifs gérés. Les effets de la mondialisation, sans doute. « Nous aurions dû tous nous alarmer quand la liste noire des paradis fiscaux établie par l’OCDE, qui était censée être la ligne de front du combat mondial contre l’opacité était vide dès le 7 avril 2009, seulement cinq jours après le communiqué du G20. Les paradis fiscaux sont maintenant censés être nettoyés. Pendant ce temps, les banques internationales continuent de prospérer dans la gestion de fortune », insiste James Henry.

Les paradis fiscaux, cependant, comme le souligne l’étude, ne sont bien souvent que des structures de transit, des lieux de passage. Car si les grandes fortunes recherchent l’opacité et le secret pour fuir les impôts et les taxes, elles veulent en même temps bénéficier des meilleures garanties pour protéger leurs avoirs. Elles veulent la sécurité du droit et de la loi. Et il n’y a que les grands pays développés qui peuvent leur apporter cette sécurité.

 

 

Les vrais paradis fiscaux, ce ne sont pas les îles Caïmans ou les îles Vierges, mais Londres, la Suisse, le Luxembourg et New York, rappelle l’étude. « Nous avons ici la stabilité. Stabilité du régime juridique et fiscal et stabilité politique, économique et sociale, ce qui est très important pour les investisseurs », rappelait Fernand Grulms, président de Luxembourg for Finance, cité par Nichaols Shaxson, dans son ouvrage très complet sur les paradis fiscaux.

Un système opaque que pour les non-initiés

Les grandes banques sont devenues expertes dans ces prestations sur mesure, offrant à la fois les meilleurs conseils fiscaux, juridiques et de placement, sachant passer d’un fonds à un autre, d’une place à une autre dans la plus totale discrétion, pour le plus grand profit mutuel de leur établissement et de leurs clients. L’enquête menée par la Barclays avant de consentir un prêt de 13,6 millions d’euros à son nouveau client, Ziad Takieddine, (lire l'article publiée par Mediapart), est à cet égard, un modèle du genre. Là où la justice aurait sans doute mis des années avant de découvrir la géographie du capital de l’intermédiaire sur les marchés d’armes, il n’a fallu que quelques semaines à la banque britannique pour recouper les montages et mener l’enquête. Ce que l’on supposait se vérifie : le système n’est opaque que pour les non-initiés. Mais les banques y naviguent sans grande difficulté.

La conclusion de l’enquête réalisée par la Barclays illustre combien l’évasion fiscale, le mensonge, la corruption sont désormais des facteurs « normaux » dans le monde bancaire : « Comme on peut s’y attendre pour un client de la nature de Ziad, ses avoirs sont détenus par le biais de structures offshore, bien qu’il soit, lui et non un trust, le bénéficiaire direct de chacune (...) En raison de sa résidence (fiscale – ndlr) à Paris, la structure de ses propriétés d'actifs est un peu complexe », observait la Barclays, avant de conclure que le nouveau prêt passerait par une structure aux îles Vierges.

Mais il y a longtemps que les banques ont appris à fermer les yeux. Après avoir accueilli dès les débuts des années 1970, les dictateurs africains ou des pays sous-développés qui reconvertissaient (dans les semaines voire les heures après) en avoirs personnels les crédits obtenus par leur pays, en laissant les dettes à leur population, elles ont ouvert les bras à tous à partir des années 1980, à la faveur de la libéralisation des marchés de capitaux et de la baisse des impôts, voulues par Ronald Reagan et Margaret Thachter. Qu’ils soient fondateurs dans la Silicon Valley, propriétaires de grands groupes, sportifs, oligarques russes, ou narco-trafiquants, tous sont les bienvenus.

Ils sont les 1 % bénéficiaires de la mondialisation. Dans une deuxième étude sur les inégalités, la fondation Tax justice network rappelle les travaux de l’économiste Thomas Piketty, de l’école économique de Paris, et d’Emmanuel Saez, de l’université de Berkeley, sur les revenus aux États-Unis entre 1980-2010. Durant cette période, les revenus des 1 % les plus riches ont doublé, ceux des 0,1 % les plus riches ont triplé, ceux des 0,01 % les plus riches ont quadruplé. Pendant ce temps, les 90 % restants ont perdu plus de 5 % de revenus.

 

 

Une à une, les théories libérales tombent. L’augmentation des revenus des plus riches ne se transmet pas au reste de la population, comme prévu la libéralisation des marchés des capitaux ne garantit pas l’efficience des marchés, mais au contraire favorise les trous noirs de plus en plus importants de la finance internationale. La baisse des impôts n’endigue pas, bien au contraire, l’évasion fiscale, et accroît les inégalités, en cassant les systèmes de redistribution.

L’économiste Paul Krugman a dénoncé depuis longtemps cette machine inégalitaire qui menace l’économie, la cohésion sociale, voire la démocratie. Alors qu'elle le considérait jusqu’ici comme hérétique, l’OCDE est en train de se convertir à la thèse. Dans son dernier rapport sur l’économie américaine, l’organisation souligne que « les inégalités de revenus et la pauvreté y sont parmi les plus élevées de toute la zone OCDE. (…) Pour diminuer à la fois les inégalités de revenus et les distorsions de l’allocation des ressources, il faudrait progressivement limiter les dépenses fiscales avantageant les hauts revenus de manière disproportionnée ». Cela tient d’une petite révolution pour une institution jusqu’alors chantre de l’orthodoxie.

Des pays débiteurs qui sont en fait créanciers

Mais le prix de cette opacité financière et ces inégalités ne s’arrête pas là. Ces disparités deviennent de moins en moins tolérables au moment où il n’est question que de récession, de dettes, de coupures dans les budgets sociaux et d’éducation. James Henry a fait le calcul : sur la base d’un rendement de 3 %, les revenus des milliards dissimulés au fisc, s’ils étaient imposés à 30 %, rapporteraient entre 155 et 225 milliards d’euros aux gouvernements.

Ces sommes, elles, manquent d’abord aux pays non occidentaux. L’évasion qu’ont connue l’Amérique latine, l’Afrique ou l’Asie depuis plus de trente ans est spectaculaire. 

 

 

« Les 139 pays aux revenus les plus bas dans le monde qui sont considérés comme traditionnellement débiteurs net, affichent, selon les statistiques officielles, une dette extérieure de 4 900 de milliards d’euros, à la fin 2010. Mais si les réserves en devises étrangères et les comptes extérieurs, y compris off shore, de leurs riches ressortissants sont inclus, l’image s’inverse totalement : ils sont créanciers nets à l’égard du reste du monde à hauteur de 12 200 à 15 800 milliards d’euros. Le problème est que les actifs sont détenus par un petit nombre d’individus riches tandis que la dette est supportée par l’ensemble de la population de leur pays », note James Henry.

Mais l’Europe, en pleine crise financière, est dans le même cas. Si l’évasion fiscale et l’opacité financière ne minaient pas le système, la zone euro serait aussi créancière nette à l’égard du reste du monde, assure Thomas Piketty. Et les dettes jugées insupportables des pays comme la Grèce, l’Espagne, l’Italie, diminueraient de façon spectaculaire si l’argent exilé en Suisse, au Luxembourg ou à Londres revenait dans les pays d’origine et payait normalement l’impôt.

Au-delà des bonnes paroles de mise, quel responsable européen a osé soulever la question ? Qui a demandé aux banques internationales d’en finir avec leurs filiales off shore et l’évasion fiscale ? Aucune interdiction, aucune limite n’a été posée, en dépit des scandales bancaires qui chaque fois mettent le système un peu plus à nu, dévoilant l’état de corruption qui règne dans le monde bancaire. Même la taxe sur les transactions financières est régulièrement renvoyée aux calendes grecques. Il a fallu un changement présidentiel pour que la justice française accepte de désigner un juge d’instruction pour enquêter sur le système d’évasion fiscale organisé par la banque suisse UBS.

Les grandes fortunes et les banques sont arrivées à un niveau de puissance où elles organisent le système pour leur unique profit, exigeant auprès des politiques les meilleurs services et les meilleures protections, sans accepter de payer le prix, comme insiste Thomas Piketty. Dans le même temps, ce sont les mêmes qui, au travers des banques, des hedge funds, des fonds d’investissement, grâce aux masses de capitaux qu’ils ont accumulés pendant ces trois décennies, organisent la déstabilisation de la zone euro, et protestent contre l’ampleur des dettes. Au moment où l’Europe court à sa ruine, où les mêmes dépenses sociales et d’éducation sont considérées comme des luxes insupportables, la question de la reprise du contrôle de ces trous noirs financiers organisés par la finance ne peut pas être éternellement différée.

 

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