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Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes

Le nouveau scandale des Caisses d’épargne


| Par Laurent Mauduit

Le scandale des Caisses d’épargne avait eu pour paroxisme la perte, en octobre 2008, de 751 millions d’euros à la suite de spéculations hasardeuses sur les marchés financiers. Il va désormais déboucher sur une spectaculaire injustice : alors qu’aucun des dirigeants de la banque de l’époque n’a été inquiété d’une quelconque façon ni sommé de rendre des comptes, c’est un lampiste qui est aujourd’hui mis en cause. Il s’agit de l’un des anciens traders de la banque, Boris Picano-Nacci, contre lequel la banque a porté plainte et qui a été renvoyé devant le tribunal correctionnel au terme d’une ordonnance prise le 2 février 2012 par le juge qui a instruit l’affaire, Serge Tournaire.

 

Révélée par Libération , l’ordonnance de renvoi – dont Mediapart a pu prendre connaissance de source judiciaire – permet à elle seule de comprendre la gravité de cette injustice. Si le juge estime que le trader a vraisemblablement contrevenu aux instructions qui lui avaient été données et que « ces agissements sont susceptibles de constituer une forme d’abus de confiance », il n’en souligne pas moins que « l’enquête a permis d’écarter toute intention malveillante de la part du trader, toute intervention externe ou connivence ».

Traduction : l’affaire Picano-Nacci n’a strictement rien à voir avec l’affaire de la Société générale, celle qui a valu au trader Jérôme Kerviel d’être condamné en octobre 2010 à cinq ans de prison dont trois ferme.

Les poursuites engagées par la banque contre le jeune trader sont stupéfiantes. A la lecture de l’ordonnance de renvoi, on a tôt fait de comprendre que la direction des Caisses d’épargne, qui a toujours été très proche de Nicolas Sarkozy, est, elle-même, grandement responsable des désordres qui régnaient au sein de l’établissement et sans lesquels il n’y aurait jamais eu ces gigantesques pertes de marché. Reprenant à son compte de nombreux faits révélés par des enquêtes de Mediapart – mais sans faire référence à notre journal –, l’ordonnance dresse, en creux, un réquisitoire contre la banque elle-même. A lire l'ordonnance de renvoi, on en vient à penser que la direction a porté plainte pour se défausser de ses propres responsabilités.

Suivons en effet le fil des événements et on comprendra vite pourquoi le secrétaire général de BPCE (la banque qui est née, après cette crise, de la fusion des Caisses d’épargne et des Banques populaires), Didier Banquy (un proche de Nicolas Sarkozy, qui est devenu depuis directeur de cabinet du ministre des finances, François Baroin), a été chargé par l’établissement de porter plainte, en octobre 2008. Une plainte dont l'objectif est de tenter d’accréditer l’idée que la gigantesque perte de marché a été la conséquence, comme à la Société générale, d’un comportement frauduleux ou délictueux et non pas de manquements graves aux règles de supervision de prévention des risques dont la direction de la banque était seule responsable.

Comme le souligne à juste titre l’ordonnance de renvoi, une bonne partie de l’histoire qui conduit à la perte des 751 millions d’euros commence dès 2005. A l’époque, la Caisse nationale des caisses d’épargne (CNCE) est présidée par Charles Milhaud, qui s’est entouré d’une cascade de collaborateurs proches de Nicolas Sarkozy, dont Didier Banquy. Et la banque est une pétaudière, que la Commission bancaire, qui fait office de gendarme des banques, ne cesse de rappeler à l’ordre. C’est ce que signifie l’ordonnance de renvoi : « Par décision rendue 25 avril 2006, la Commission bancaire avait en effet prononcé un blâme à l’encontre de la CNCE et une sanction pécuniaire d’un million d’euros. L’ouverture de la procédure disciplinaire était fondée sur un rapport d’inspection en date du 9 juin 2005. »

Ces deux décisions que le juge évoque – l’ouverture en 2005 de la procédure disciplinaire contre la CNCE puis la sanction pécuniaire en 2006 – ont été révélées par des enquêtes de Mediapart en novembre 2009. Il est utile de s’y replonger car elles permettent de comprendre pourquoi le jeune trader est aujourd’hui un bouc émissaire un peu trop commode. Voici ces enquêtes de Mediapart :

Dans la première de ces enquêtes, nous révélions le contenu intégral de la lettre en date du 29 juillet 2005 par laquelle la Commission bancaire annonçait à la CNCE l’ouverture de la procédure disciplinaire. Voici cette lettre : 

« Aucune remontée automatisée et sécurisée d'information »

Cette lettre permet de comprendre ce qu’il y a de stupéfiant à ce que les Caisses d’épargne, et aujourd’hui BPCE, se défaussent de leurs responsabilités en chargeant de tous les maux un trader. Lisons :

« Il ressort du rapport d'Inspection que la CNCE ne disposerait pas d'outils fiables permettant de mesurer et de suivre les risques financiers sur base consolidée tels que prévus par les dispositions du règlement (...) En particulier, les contrôles de certains états prudentiels consolidés seraient insuffisants (...) Le système d'information ne permettrait pas de centraliser une information exhaustive et fiable sur les risques consolidés. La surveillance sur base consolidée des risques de crédit serait défaillante dans la mesure où les outils de mesure et de centralisation des risques seraient insuffisants et les données remontées des entités, essentiellement déclaratives, seraient incomplètes. La qualité des engagements apparaîtrait insuffisamment suivie, compte tenu de l'absence d'alerte et d'actualisation récente de la liste des engagements sous surveillance et de réunions trop peu fréquentes des comités chargés de cette mission. »

La Commission bancaire reprochait donc aux Caisses d'épargne d'exercer leur métier de banquier en dépit du bon sens, presque à l'aveugle. La Commission ajoutait – ce qui était prémonitoire : « En matière de risques consolidés de marché, la Direction des Risques Groupe (DRG) ne disposerait d'aucune remontée automatisée et sécurisée d'information, ni d'un scénario de crise permettant d'apprécier globalement la sensibilité des portefeuilles du Groupe Caisses d'épargne (GCE) au risque du marché. » Et cela se poursuit ainsi, pendant des pages et des pages. « Il ne semblerait pas exister de remontées régulières d'informations de synthèse et d'analyses sur le risque de crédit à destination du Directoire de la CNCE, produites par le pôle Finances et risques», lisait-on plus loin...

« Aucune remontée automatisée et sécurisée d'information » ! La formule est assassine. Et avec le recul, on ne peut s’empêcher de penser que si les mises en garde avaient été entendues, l’Ecureuil aurait sans doute été secoué par la crise financière, mais la perte des 751 millions d’euros ne serait jamais intervenue en octobre 2008. Et Boris Picano-Nacci n’aurait jamais eu les démêlés judiciaires qu’il connaît aujourd’hui.

Car tout est là ! Après cette enquête, qui s’est soldée un an plus tard, en 2006, par un blâme et une amende de un million d’euros – fait rarissime à l’époque pour une grande banque de la place –, la CNCE aurait pu prendre des mesures énergiques pour se soumettre aux exigences de supervision et de contrôle des risques. Mais en fait, si à l’époque quelques mesures de réorganisation ont été prises, elles ont été pour l’essentiel cosmétiques. Et au début de 2008, alors que la crise financière s’amplifie, les risques financiers qui pèsent sur la banque sont encore considérables.

En résumé, toutes les entités du groupe se sont dotées, en ce début d'année 2008, d'une direction des risques spécifique, capable d'évaluer en permanence les positions prises par leur établissement sur les marchés ou de donner un avis sur un investissement projeté. Mais le groupe, lui, ne dispose pas des mêmes outils pour avoir une visibilité globale et centralisée de la marche de toute la banque. En tant qu'entité spécifique, la Caisse nationale n'a pas sa propre direction des risques.

En ce début d'année 2008, comme nous le racontions dans notre première enquête, la situation est si périlleuse que tout le monde en parle au sein de la direction des risques du groupe, mais aussi au sein de la direction de la conformité et de l'inspection générale. Car les dysfonctionnements sont nombreux et connus de tous.

D'abord, comme le racontent plusieurs cadres des Caisses d'épargne, « le directeur financier de la CNCE ne soumet pas les produits financiers que ses équipes traitent à l'approbation d'un comité spécialisé, dénommé Comité nouveaux produits et activités (CNPA), comme c'est la règle pour les autres entités du groupe, telles que les Caisses régionales». Ensuite, aussi impensable que cela soit, «le responsable du département de la gestion financière CNCE, qui englobe la très sensible salle de marché, ne surveille pas en détail les positions de ses traders et ne suit pas non plus son compte de résultat quotidiennement, contrairement à tous les usages ».

Et le témoignage d'un de ces rapporteurs, très proche de la salle de marché, se poursuit, pointant d'innombrables autres trous dans la gestion de la maison : «Le responsable du Middle-office [dans une banque, c'est le service qui contrôle la conformité des opérations réalisées par les traders et calcule le compte de résultat] ne calcule pas de compte de résultat quotidiennement mais seulement... une fois par mois et sur la base des prix que la salle de marché lui fournit. » Une fois par mois ! Dans le monde de la banque, c'est une hérésie...

En somme, sur ce front-là rien n'a changé : comme en 2005, la banque spécule à l'aveugle, ou presque.

En place depuis un peu plus d'un an, le directeur des risques du groupe, Antoine Frachot, tire donc à plusieurs reprises le signal d'alarme. Laurence May, directrice de la conformité, fait de même. Ainsi, dans le courant de janvier 2008, le directeur des risques alerte son supérieur hiérarchique, Julien Carmona, qui siège au directoire de la banque, pour lui faire part de sa très grande inquiétude. Le courriel, qui finit par circuler les jours suivants dans toute la CNCE, est pour le moins prémonitoire. « Si quelqu'un (...) voulait cacher une perte de trading aujourd'hui, il pourrait le faire sans que la direction des risques Groupe (...) puisse s'en apercevoir avant un certain temps. Je sais que c'est peut-être de la paranoïa de ma part (mais cela fait partie de mon boulot) (...) mais dans le contexte actuel, on joue avec le feu. »

Le juge d'instruction valide les enquêtes de Mediapart

La mise en garde est claire et nette. Et après ce premier mail, daté du 21 janvier 2008, soit juste avant que n'éclate le scandale Kerviel à la Société générale, d'autres, envoyés par l'inspection générale, suivent, qui disent tous, à peu près, la même chose : le groupe est en grand danger, s'il ne prend pas des mesures très rapides de redressement, celles que la Commission bancaire exige depuis plus de trois ans.

Ce compte rendu des faits, tels que Mediapart les avait reconstitués dans notre première enquête, a ensuite été totalement validé par l’enquête judiciaire. Reprenant des formulations entières de notre article, l’ordonnance de renvoi du juge Tournaire indique que le directeur des risques de l’époque, Antoine Frachot, a expliqué aux enquêteurs que dans le système de la CNCE il n’avait qu’un contrôle de deuxième rang.

Il «aurait dû être en mesure de suivre l’activité quotidienne de chacun de ses subordonnés. Or, la direction financière malgré des demandes réitérées ne lui avait pas envoyé le détail des positions complexes prises par les traders», note l’ordonnance, avant d’ajouter : «Antoine Franchot confirmait que certains dysfonctionnements de la salle des marchés étaient connus depuis plusieurs mois. Le 21 janvier 2008, il avait adressé un mail à son supérieur hiérarchique, Julien Carmona, pour lui signaler ces difficultés, notamment l’absence de calcul quotidien des résultats (...) et lui demander de déclencher un audit de l’Inspection générale. Il précisait dans ce mail que la CNCE “jouait avec le feuet que si un trader “faisait des bêtises”, la direction mettrait plusieurs jours à s’en apercevoir”. »

Dans la suite de notre enquête, nous révélions qu’après l’envoi de son mail d’alerte, et n’ayant pas de réponse, le directeur des risques commence à craindre que rien n'aboutisse. La direction des risques embauche alors un consultant extérieur réputé pour sa compétence et ayant déjà conduit une mission similaire dans une banque mutualiste, le Crédit agricole. Le cabinet de conseil «Equinox Consulting» doit donc conduire un audit et déterminer les éventuels dysfonctionnements dans les procédures de la banque.

En réalité, cette mission n'est pas indispensable car chacun sait quelles sont les procédures qui ne sont pas adéquates mais beaucoup pensent que ce cabinet peut avoir la légitimité pour convaincre le directoire du groupe des dysfonctionnements qui menacent la banque. La mission commence donc en mai 2008 et le résultat est strictement conforme à ce que tout le monde sait depuis longtemps : le consultant pointe l'absence de compte de résultat quotidien, l'absence de suivi des portefeuilles, l'absence de feuille de route. Bref, comme l'observe un membre du conseil de surveillance de l'ex-CNCE que nous avions à l’époque consulté, le rapport d'Equinox-Consulting relève ce que tout le monde sait : « La banque dispose d'une salle de marché préhistorique. »

Ancien chef du service de l'Inspection générale des finances, à Bercy, haut fonctionnaire réputé, Thierry Bert – recruté quelque temps auparavant comme conseiller du directeur général, Nicolas Mérindol –, est informé de la situation. Mais malgré ses efforts et l'autorité morale dont il jouit, il ne se passe toujours rien.

En fonction depuis le printemps 2007, c'est-à-dire depuis peu de temps dans ce complexe empire que sont les Caisses d'épargne, Julien Carmona (ex-conseiller économique de Jacques Chirac à l'Elysée), qui siège au directoire et supervise la direction financière et la direction des risques, a, de son côté, trop de combats à mener – au même moment, Natixis est en train de couler ; le groupe multiplie les acquisitions onéreuses... – pour consacrer toute son énergie au règlement de ces dysfonctionnements bien antérieurs à son arrivée. Après avoir fermé les placements en actions du compte propre de la CNCE à l'été 2007, il peut penser qu'il a du temps devant lui pour franchir de nouveaux paliers. Erreur ! En ce printemps 2008, le temps joue désormais contre la CNCE. Le piège se referme sur elle.

Sous ces pressions internes aussi bien qu'externes, le directoire de la CNCE prend certes, le 23 juin 2008, une rafale de dispositions, dont l'arrêt des activités de la banque pour son compte propre, qu'il s'agisse des activités de moyen et long terme, ou des activités de trading. Mais l'arrêt n'est pas immédiat – seulement progressif – dans « la mesure de la liquidité du marché », selon le néologisme qu'affectionnent les banquiers. Et dans l'intervalle, les procédures nécessaires ne sont pas mises en œuvre. L'annonce de l'arrêt progressif des spéculations pour compte propre ne fait d'ailleurs l'objet d'aucune instruction précise. Pas de mode d'emploi ni de consignes de prudence, pas d'instructions écrites sur les modalités concrètes d'extinction des portefeuilles : les traders de la salle de marché ne reçoivent aucune instruction écrite de leur hiérarchie.

En septembre, quand le rapport du cabinet Equinox est présenté officiellement au Comité d'audit du groupe, les dirigeants de la banque semblent presque indifférents. Constitué de « transparents », avec des zones en rouge pour les points détectés de danger, et des zones vertes pour les procédures pertinentes, le rapport est pourtant éloquent : il n'y a quasiment que des zones... rouges !

Pourquoi une consigne n'est-elle pas donnée pour la clôture immédiate du compte propre ? Est-ce seulement pour une raison qui a trait au désordre qui règne dans le groupe ? Ou bien la situation financière délicate dans laquelle la banque se trouve, avec des fonds propres qui ont dramatiquement fondu depuis la rupture d'avec la Caisse des dépôts et consignations, contribue-t-elle aussi à ce laxisme, dans l'espoir de retrouver quelques marges, grâce à des spéculations chanceuses sur les marchés ? La banque cherche-t-elle à se « refaire » ? Ou alors, pour des raisons identiques, la direction de la banque manque-t-elle d'allant, craignant qu'une clôture trop rapide ne conduise à un affichage de pertes trop importantes ?

En tout cas, les portefeuilles du compte propre ne se réduisent que très peu pendant l'été 2008. La direction des risques du groupe n'en a pas la mesure quotidienne, puisque certains jours, les informations ne remontent pas, et il est impossible de calculer ce que les financiers appellent la « VaR » – pour « value at risk », l'indicateur clef. Mais de semaine en semaine, la tendance est nette : cette « Var » ne baisse pas. En clair, les poches de risques sont toujours là.

Les douze plaintes contre Mediapart

Entre eux, les membres de la direction des risques sont si las qu'ils en viennent, en aparté, à se dire que la seule chance de salut pourrait venir d'une nouvelle inspection inopinée de la Commission bancaire. Seulement il n'y aura pas, en ce mois de septembre 2008, de nouvelles missions. Et de toutes façons, cela aurait sans doute été trop tard, car ensuite les choses s'enchaînent, comme nous le racontait pour notre première enquête un cadre de la direction financière qui a participé à la cellule de crise qui a suivi l'accident :

« A la mi-septembre, le trader peut prendre des positions insensées, pour des montants à peu près cent fois supérieurs à ceux autorisés pour un trader senior dans toutes les grandes banques du monde. Et il prend ces positions... sans réaction de la part de son chef direct, le responsable du compte propre ; sans réaction non plus du chef de son chef, autrement dit le responsable du département de la gestion financière ; sans réaction non plus du responsable du Middle-Office ; sans réaction a fortiori du directeur des finances du groupe. Et tout cela a pu durer deux à trois semaines sans que quiconque ne le sache, car l'ensemble de la chaîne hiérarchique était aveugle et ne suivait pas l'activité. »

Deux à trois semaines... Le délai fait frémir. Car « l'incident » arrive au pire moment, aux alentours du 15 septembre 2008, jour où la banque Lehman aux Etats-Unis va être mise en faillite, déclenchant la bourrasque financière planétaire.

Mais cette malchance prospère sur un terreau fertile. D'abord, le secrétaire général de la CNCE, Didier Banquy, commet une faute : il verse en septembre 2008 ses indemnités au chef de service du trader en question, qui est sur le départ, mais ne lui demande pas de quitter ses fonctions. En clair, le trader n'a plus vraiment de chef de service veillant sur ses placements à hauts risques. Et puis surtout, comme on l'a vu, le « reporting » n'est pas automatisé et toute la chaîne hiérarchique de la banque, jusqu'au directoire, est dans l'ignorance de l'existence de cette bombe financière, désormais amorcée.

C'est donc dans ce contexte que la direction des Caisses d'épargne découvre subitement, le mardi 7 octobre 2008, trois semaines plus tard, qu'un des traders du service qui gère les mouvements de la banque pour son compte propre (en clair, les spéculations de la banque pour elle-même et non pour le compte de ses clients) a pris des positions sur les marchés hautement dangereuses. Dans les jours suivants, elle ne mesure pas bien encore l'ampleur du sinistre. Mais à partir du lundi 13 octobre, la catastrophe se précise. Et le mercredi 15 octobre, le directoire demande la fermeture immédiate de toutes les positions inconsidérées prises par ce trader.

Quand elles découvrent le pot aux roses, les Caisses d'épargne font donc la seule chose qu'elles peuvent faire : elles liquident leur position. Le résultat est calamiteux mais inévitable : assez vite, il apparaît que le banque devra inscrire dans ses comptes pour 2008 une perte de 751,6 millions d'euros. A titre de comparaison, cette somme représente près de la moitié du coût du Revenu de solidarité active (RSA) – la moitié des crédits publics alloués aux plus déshérités...

On peut redécouvrir ci-dessous "l'édito-vidéo" que Mediapart avait consacré le 23 octobre 2008 à cette affaire :

 



Dans ces jours de panique financière, Boris Picano-Nacci a-t-il donc commis des fautes, même vénielles ? Puisque le juge d’instruction a décidé de renvoyer le trader devant un tribunal correctionnel, il appartiendra à la justice de l’apprécier. Mais l’enchaînement des faits permet de répondre à une bonne partie de la question : c’est d’abord le grand désordre régnant dans la banque qui est à l’origine de cette perte phénoménale. Et c’est cela qu’ont voulu cacher aussitôt les Caisses d’épargne, en portant plainte pour un motif que le juge d’instruction n’a donc pas retenu.

Le 24 octobre 2008, donc une semaine à peine après la perte des 751 millions d’euros, la direction de la CNCE porte plainte en effet pour abus de confiance contre le trader, suggérant que l’affaire est du même type que l’affaire Kerviel. Selon la banque, relève l’ordonnance, « il avait induit en erreur par des mensonges répétés les contrôleurs et ses supérieurs ». Mais l'ordonnance souligne tout aussitôt que l'hypothèse du mensonge ou de la fraude n'a strictement aucun fondement, comme le confirme peu après l'enquête de la Commission bancaire. «Le rapport de la Commission bancaire indiquait que le trader, à partir de la mi-septembre 2008, avait clairement outrepassé l’ordre de gestion extinctive pour préserver le résultat acquis. Toutefois, un contrôle interne adéquat aurait permis de s’en rendre compte et donc d’éviter des pertes. Or le dispositif de contrôle interne destiné à suivre cette activité présentait de graves lacunes», note l'ordonnance de renvoi.

En clair, c'est d'abord la banque qui est fautive. C'est le paradoxe de cette affaire Picano-Nacci : il est renvoyé en justice au terme d'une plainte déposée par ceux-là mêmes qui ont envoyé la banque... dans le mur.

Il n'est d'ailleurs pas le seul, à l'époque, à faire les frais de ces manoeuvres de diversion de la direction des Caisses d'épargne. Dans la foulée, la direction de la banque procède au licenciement du directeur des risques, Antoine Frachot, celui-là même qui a milité des mois durant, en vain, pour remettre un peu d'ordre dans la maison. Il s'agit d'écarter et de faire taire l'un des rares cadres lucides qui sait que la direction de la banque a commis de graves fautes.

Par ailleurs, Charles Milhaud a, de son côté, déposé les mois précédents onze plaintes en diffamation contre Mediapart (qui me vaudront comme auteur des articles, ainsi qu'à Edwy Plenel, comme directeur de notre publication, autant de mises en examen), qui a eu le tort, à ses yeux, de publier ces longues enquêtes établissant les dérives de la banque. On peut consulter ci-dessous une vidéo enregistrée le 12 mai 2009, à l'occasion de l'interminable procédure engagée par les Caisses d'épargne contre Mediapart :

 


Et quand, finalement, devant l'ampleur du scandale, Charles Milhaud est débarqué, et que le bras droit de Nicolas Sarkozy, François Pérol, est dépêché à la présidence des Caisses d'épargne dans des conditions controversées, rien ne change. Pendant tout un temps, Charles Milhaud garde des fonctions au sein de la banque, de même que Thierry Gaubert, un autre proche du chef de l'Etat qui sera ultérieurement mis en examen dans l'affaire Takieddine. En revanche, le licenciement scandaleux d'Antoine Frachot n'est pas rapporté. Et une douzième plainte est déposée contre Mediapart – qui finalement gagnera cette procédure judiciaire et fera condamner les plaignants pour... poursuites abusives.

Les mystères du “carry back”

En résumé, prenant la succession de Charles Milhaud, François Pérol s'est toujours gardé de ne pas accabler son prédécesseur, qui est toujours administrateur de l'une des filiales du groupe, Fransabank, une banque libanaise. Aucun véritable audit n'a été fait en interne des dérives passées dans lesquelles les Caisses d'épargne ont été prises.

Ce système d'impunité est d'ailleurs général au sein de BPCE : François Pérol a ainsi porté à la direction générale du Crédit foncier, filiale de la banque, Bruno Delétré, qui est l'un des principaux responsables de la faillite de... la banque Dexia ! Lequel Bruno Delétré fait d'ailleurs aussi partie, comme Charles Milhaud, du conseil d'administration de Fransank (voici le conseil d'administration) dont le président Adel Kassar a pour épouse – le monde est tout petit – une Takieddine, qui se trouve être la cousine de Ziad, celui qui est au cœur de l'affaire qui porte son nom.

Quoi qu'il en soit, pourquoi cette vindicte contre Boris Picano-Nacci, dont les responsabilités éventuelles, si elles devaient être établies par la justice, seraient dans tous les cas de figure microscopiques ? Ces poursuites apparaissent si stupéfiantes, au regard des mises en garde de la Commission bancaire qui n'ont jamais été suivies d'effets, qu'une explication vient à l'esprit : la banque n'a-t-elle pas maintenu sa plainte pour une raison secrète, qui a trait au bénéfice fiscal qu'elle pourrait en tirer ? On sait en effet qu'une disposition fiscale (en fait, assez contestable) autorise une banque à profiter d'un système de crédit d'impôt dès lors qu'il est établi qu'une perte financière est le produit d'une fraude.

A l'occasion d'une question écrite au gouvernement (elle est ici, ainsi que la réponse), le député communiste du Rhône, André Gerin, s'en était inquiété à l'automne 2010 :

« La fiscalité des sociétés va, en effet, permettre à la Société générale d'invoquer des "pertes exceptionnelles" afin de bénéficier d'une réduction d'impôt. Pour l'exercice 2007, la banque a enregistré un gain de 1,471 milliard d'euros grâce à ce courtier et a dû s'acquitter d'un impôt de 507 millions d'euros. Pour l'exercice 2008, la Société générale a enregistré une perte de 6,382 milliards d'euros. Le solde sur les deux années est donc de 4,9 milliards d'euros. Au titre des "pertes exceptionnelles", la déduction fiscale se monte à 2,157 milliards d'euros. Si nous retranchons de ce montant l'impôt payé en 2007, nous obtenons 1,69 milliard d'euros d'économie d'impôt. Ainsi les contribuables vont-ils payer pour les pertes de la Société générale, dont nous avons du mal à admettre qu'elles ne seraient l'œuvre que d'un seul homme ; elles sont, en réalité, les produits d'un système qui consiste à pousser sans cesse plus loin la logique spéculative contre l'économie réelle », observait le député.

La ministre des finances de l'époque, Christine Lagarde, avait confirmé dans sa réponse le dispositif : « La déduction des pertes résulte du droit commun, éclairé au cas particulier par une jurisprudence du Conseil d'État (CE, 5 octobre 2007, Alcatel CIT) qui conduit à ne rejeter la déduction des pertes occasionnées par les détournements d'un salarié qu'en cas de comportement délibéré des dirigeants ou de carence manifeste dans l'organisation de la société ou dans la mise en œuvre des dispositifs de contrôle. »

Si les Caisses d'épargne ont porté plainte contre Boris Picano-Nacci, n'est-ce pas seulement pour prétendre bénéficier de ce dispositif, en arguant que la perte découle d'une fraude ? On peut d'autant plus se le demander que les comptes des Caisses d'épargne pour 2008, tels qu'ils sont présentés dans le document de référence de la banque (ils peuvent être consultés ici), font apparaître (à la page 476) un “carry back” de 130 millions d'euros, ce système de “carry back” correspondant très exactement au crédit d'impôt qui peut jouer dans ce type de circonstances.

Contactée par Mediapart, la direction de BPCE nie toutefois que cette créance de “carry back” corresponde à un crédit d'impôt ouvert en cas de fraude. Elle fait valoir qu'à la différence de la Société générale, elle n'a pas usé de cette procédure et que ce “carry back” a joué seulement compte tenu des déficits antérieurs de la banque.

Mais alors, si c'est le cas, cela relance une autre question : si la banque n'a pas eu recours à une procédure à laquelle elle aurait pu prétendre, n'est-ce pas la preuve qu'elle savait que dans son cas le dispositif ne jouerait pas pour la raison indiqué par Christine Lagarde dans sa réponse au parlementaire : « La réduction des pertes occasionnées par les détournements d'un salarié » ne joue pas en cas « de carence manifeste dans l'organisation de la société ou dans la mise en œuvre des dispositifs de contrôle » ?

A tout le moins, il apparaît donc ubuesque que Boris Picano-Nacci soit traduit en justice alors que tous ceux qui ont conduit la banque dans le mur n'ont jamais été inquiétés. Et cette injustice est connue de beaucoup de gens. Même en très haut lieu. Même au ministère des finances où Didier Banquy, après avoir servi avec zèle Charles Milhaud, dirige désormais le cabinet de François Baroin...

Le jour de l'audience, viendra-t-il témoigner de ce qu'il sait, ainsi que Thierry Gaubert ou encore Charles Milhaud ? Et ceux qui ont sonné le tocsin et qui en remerciement ont été licenciés, tel Antoine Frachot, seront-ils conviés à la barre pour témoigner ? S'il est bien mené, le procès ne sera pas forcément celui du trader...

 

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P
l'affaire était rondement menée remarquez ils n'ont pas beaucoup changé ils ont la vie dure les vieux démons , ils n'avaient pas longtemps tourné en rond pour me taper a ce jour environ 60% ou + de 3000 euros de mes ronds dans le jargon c'est ce qui s'appelle "passer au rond" pour pas un rond mais que c'est donc bon ! pour information ils en connaissent un sacré rayon façon pièges a cons avec ces attrapes couillons que sont les actions , sans discussion ce sont bien les champions , les autres en comparaison ne sont que des petits garçons , ils touchent le plafond pour nous envoyer par le fond boire le bouillon , une splendide réputation , nous les écoutons les résultats sont bons de plus en plus bons , les gros cochons de patrons jonglent avec les millions , mais il y gros a parier que le jour ou ça sentira un peu moins bon qu'ils fileront ou qu'ils ch..... un mauvais coton ils nous diront "désolés les petits pigeons nous vous informons nous les gros cochons que nous préparons nos cartons , nous fermons le cabanon et nous mettons la clef sous le paillasson , nous rejoignons Lehman qui par le fond sert de nourriture aux petits poissons , mais votre pognon c'est vachement bon ! nous vous rappelons que vos réclamations votre indignation franchement entre nous nous en tapons royalement nous nous en torchons , a l'occasion nous vous saluons de tout cœur nous vous remercions a la prochaine édition nous vous attendons ...bande de cons !" au nom de la liberté d'expression sans hésitation avec le soupçon d'une légère modification "caisse d'épargne" la banque sale définition , ceux-là pardon ils ont vraiment un don , comment pouvoir imaginer une boutique aussi daubée ? mais j'aime ma banque a en perdre la raison , d'un bon coup de piston quelle compression , ils me l'ont mis bien profond dans l'ognon , ah la vache ah les cochons , partout sur le net des commentaires d'enfer , une publicité du tonnerre ça pousse comme des champignons : "comme dans une chanson vous pouvez y laisser la chemise et le pantalon éventuellement le caleçon et vous retrouvez les garçons en tenue de conseil de révision !" , pas mal comme narration non ?
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