Source : www.rue89.com
3 293 000 chômeurs en novembre et une hausse de 0,5% : mauvaise nouvelle pour Hollande. Mais la statistique officielle n’inclut pas tous les chômeurs, loin de là. On a complété les chiffres de Pôle emploi.
Raté pour François Hollande : le nombre de chômeurs sans aucune activité (catégorie A) a augmenté de 17 800 personnes en novembre et en métropole.
Depuis que le gouvernement a promis « d’inverser la courbe du chômage », la publication par le ministère du Travail des chiffres de l’emploi prend une caractère presque sportif. Il y a les pronostics, les empoignades sur Twitter et la contestation des résultats.
- Si les chiffres mensuels sont mauvais, la droite fustige l’incompétence du gouvernement et assure que la décrue annoncée (comme c’était le cas en octobre) est une anomalie.
- S’ils sont bons, le gouvernement joue le faux modeste, petit sourire en coin. Michel Sapin dit qu’il faut être prudent et Le Figaro titre sur les emplois aidés.
Les finauds qui ne craignent pas d’effaroucher le lecteur rentrent un peu dans les détails des chiffres. Ils expliquent que l’expression « inverser la courbe » relève de la purée mathématique et évoquent l’Insee, qui, dans sa dernière note de conjoncture, prévoit le marasme pour tous en 2014.
Et ils rappellent que certains chômeurs disparaissent des statistiques ou n’y sont jamais rentrées. Ce sont ces derniers que Rue89 a recensés.
1 Ceux qui ne veulent plus entendre parler de Pôle emploi
Ce sont les désillusionnés qui sont passés au système D. José s’est laissé radier de Pôle emploi en juillet. La voix rocailleuse, il raconte qu’après avoir terminé un contrat court, il a décidé de ne pas retourner voir son conseiller et n’a plus répondu à ses convocations. Ses 800 euros d’aides mensuelles se sont taries :
« C’est mieux ainsi. Il faut sortir de l’administratif pour s’en sortir dans la vie. »
C’est la bagarre des définitions :
- La Dares (direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), liée au ministère du Travail, se base sur les données de Pôle emploi. Les médias se focalisent en particuliers sur la catégorie A : les personnes qui n’ont exercé aucune activité dans le mois et sont activement à la recherche d’un travail [PDF].
- L’Insee fait son enquête sur un « échantillon » de 100 000 personnes. La définition retenue est celle du Bureau international du Travail (BIT) : toute personne de plus de 15 ans, disponible, cherchant du boulot et qui n’a pas travaillé. Peu importe qu’elle soit inscrite à Pôle emploi [PDF].
Les chiffres de la Dares sont publiés tous les mois, ceux de l’Insee tous les trimestres.
Lui décrit Pôle emploi avec un discours d’évadé de prison : les « shérifs » qui « infantilisent », la « paperasse inutile à remplir », les « tunnels administratifs dignes de la maison qui rend fou... » :
« Je passais plus de temps en dossiers et en rendez-vous inutiles qu’à chercher du travail. »
La cinquantaine bien tassée, José a travaillé comme jardinier et dans la logistique, avant d’être « remplacé par des machines » :
« Je disais à mon conseiller : “C’est l’évolution de la société, il suffit de regarder la télévision pour voir sans cesse les usines qui ferment...”
Et lui qui me regardait : “Vous savez monsieur, j’ai 53 ans comme vous, et j’ai retrouvé du travail.” Je n’en pouvais plus... Ça en devenait presque de la maltraitance psychologique. »
Ce qui l’a vraiment découragé, c’est la numérisation progressive de son dossier, les relances par e-mail, les menaces aussi... Aujourd’hui, il travaille au noir et « se débrouille » pour payer son loyer.
Pour les associations, ces personnes qui s’éloignent des institutions publiques sont difficiles à accompagner. A Agir contre le chômage (AC !), on les voit de temps en temps passer dans les permanences, mais ils prennent rapidement leurs distances, déçues par les impasses ou les lenteurs de l’administration.
A les en croire, ce « ras-le-bol » touche de plus en plus de personnes. Au Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), on voit même dans la complexité des procédures un « mode de gestion » : « On compte sur la frustration des chômeurs pour les faire décrocher. »
2 Ceux qui ont été radiés plus ou moins sauvagement
Là, on entre dans un autre royaume. Celui des inscrits qui sont menacés de radiation sans avoir vu passer la moindre convocation.
La dématérialisation des dossiers peut aggraver le problème. Les messages tombent dans un espace numérique que certains n’ont pas le réflexe de consulter. Au MNCP, on constate que la convocation par e-mail n’est pas toujours doublée d’un courrier. En cas de radiation, il faut serrer les dents pendant deux mois avant d’être réintégré(e). Pas drôle.
Mais la numérisation n’est pas la seule coupable. Chacun à sa petite expérience à raconter, ainsi un jeune chômeur qui nous a contacté il y a quelques semaines.
Simon a fait des études de journalisme. Il en sort en septembre 2012 et s’inscrit dans la foulée à Pôle emploi. Première rencontre avec sa conseillère :
« Elle est loin de saisir ce que je lui raconte : journalisme, caméra, réalisation, documentaire... Mais ça lui fait une pause café. Sans café.
Elle remplit sa fiche standardisée, on philosophe deux minutes sur la situation économique en France. Du travail propre, net et bien fait. Rapide et sans bavure. Efficace... »
Pendant quelques mois, il « s’actualise » et le 5 mars, un courriel « tombe dans son espace personnel ». On le menace de radiation. Motif : il n’était pas présent à son entretien de suivi.
« Ahhh... C’était donc ça le message vocal dans lequel mon conseiller [...] me menaçait de me radier du chômage. Je n’ai pas tout saisi. J’ai reçu des appels en numéro masqué. Puis en 08, qui me demandait de rappeler ce numéro. Sérieusement : on est envahis de publicité et d’un tas de conneries toute la journée, j’ai donc pris le réflexe de ne plus répondre à ce type d’appels. »
En novembre, 43 200 personnes ont été comptabilisées sous la ligne « radiations administratives ». Elles étaient 39 300, l’année précédente à la même époque. La première cause de radiation est la non-réponse à une convocation.
3 Ceux qui ne se sont jamais inscrits
Des jeunots, fraîchement sortis d’études, qu’elles soient longues ou courtes d’ailleurs. On leur a tellement répété que Pôle Emploi ne pouvait rien pour eux qu’ils ne s’inscrivent même plus.
Certains s’arrangent pour allonger d’un ou deux ans leurs études, d’autres cherchent du boulot, mais laissent perdurer le flou administratif qui entoure leur situation. Au MNCP, on explique :
« Ce sont des jeunes rebutés par la paperasserie et qui pensent qu’ils s’en sortiront mieux par l’entraide et la débrouille. »
Même pour des bac+5, le premier rendez-vous à Pôle emploi est reculé autant que possible. D’autant que le premier de la promotion à sauter le pas dégoûte les autres avec ce genre d’e-mails :
« [Je viens d’aller à Pôle emploi]. Ça sent un peu comme dans une animalerie, rayon rongeurs. Ma conseillère est très gentille. Très lucide aussi. “Clairement, on le sait toutes les deux, c’est pas moi qui vais vous trouver un job là où vous le souhaitez.”
Bilan ? J’ai pas assez bossé pour avoir des allocs. Je suis trop jeune pour le RSA. Donc elle a dit “bon courage”. »
Après cela, tu renonces. Arnaud (le nom a été changé) a fait traîner autant que possible son entrée à Pôle emploi. Au bout de quelques mois, il se décide à remplir un dossier. Il raconte :
« J’en suis donc arrivé à la dernière étape : Pôle Emploi te propose un rendez-vous obligatoire où tu es obligé d’aller si tu veux voir ton dossier validé. Il te propose trois rendez-vous différents à trois créneaux différentes afin de bien s’assurer de tes disponibilités. Sauf que Pôle Emploi m’a proposé ses trois rendez-vous à vingt minutes d’intervalle le même jour... »
4 Ceux qui font un stage pour éviter le chômage
Tu veux éviter un trou dans ton CV et tu ne trouves rien à croquer ? Fais un stage. Tania (le nom a été changé) est bac+5. A la sortie de ses études, elle part à l’étranger, travailler en stage pour une association qui se spécialise dans l’entrepreneuriat social.
« J’avais le sentiment d’une véritable morosité ambiante à laquelle je souhaitais échapper. C’était clairement pour moi un moyen de reporter mon entrée sur le marché du travail. »
D’autres jeunes partent à l’étranger dans le même but. C’est ce qu’a fait Adeline, qui parle trois langues mais s’est retrouvée à faire des intérims à la sortie de ses études. Elle est partie donner des cours de français à Dublin et est revenue cette année. « J’ai même dû revenir vivre chez mes parents, dix-huit ans après avoir quitté le cocon familial. »
5 Ceux qu’on a sortis de la catégorie A
Tous les regards sont focalisés sur la catégorie A, qui ouvre le rapport de la Dares. Du coup, les autres catégories servent à dégonfler un peu la première. Ainsi, les emplois aidés ou les formations permettent le basculement de quelques milliers de personnes.
Dans les témoignages reçus par Rue89, beaucoup font état de transvasements un peu acrobatiques. Ainsi, cet ancien conseiller Pôle emploi :
« Le mieux ce sont les cours par correspondance, la restauration ou les chantiers. Un chômeur travaille deux heures dans le mois pour donner un cours de maths et il n’est plus comptabilisé dans les A... »
De la même façon, Coralie a signé un contrat de sécurisation professionnelle :
« Je suis donc considérée comme stagiaire de la formation continue et non comme chômeuse. »
Pourtant, la jeune femme s’est vue refusée une formation de développement informatique pour un problème administratif. Depuis, elle est toujours considérée en formation, même si elle n’en suit aucune. Un conseiller lui a conseillé de laisser courir jusqu’à l’année prochaine.
6 Ceux qui vivent outre-mer
Lorsque le communiqué de presse tombe à 18 heures, toutes les rédactions carburent autour des premiers paragraphes. Quelque chose comme :
« Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi en catégorie A s’établit à 3 293 000 en France métropolitaine fin novembre 2013. Ce nombre est en hausse par rapport à lafin octobre 2013 (+0,5 %, soit +17 800). Sur un an, il croît de 5,6 %. »
On parle plus rarement de l’outre-mer. Rémi travaille dans l’expertise environnementale. A bac+5 en Guyane, il enchaîne les petits boulots et recherche un emploi stable. Lui estime qu’« il n’est pas le plus à plaindre », mais commence à être saoulé des grands airs de la métropole :
« Ici, il faudrait plus qu’une inversion pour que ça soit visible. Je viens de regarder sur le site de l’Insee : “Au deuxième trimestre 2012, le taux de chômage en Guyane s’élève à 22%. Les jeunes, avec un taux de chômage de 41%, sont les plus touchés.”
Mais il semble que tout le monde s’en fout en métropole : voit-on ces chiffres dans la presse nationale ? Qu’en serait-il si c’était en métropole ? »
Source : www.rue89.com