C’est devant l’Assemblée nationale que Stéphane Gatignon, maire Europe Écologie de Sevran, a décidé de débuter ce vendredi son action de la dernière chance : une grève de la faim. « On est à bout », explique l’élu, alors que le Parlement étudie actuellement le budget national et qu’il se penchera mardi sur la question des finances locales. « Cela fait 11 ans que je suis maire de Sevran et 11 ans que je fais face à une situation de pénurie financière structurelle, aggravée par la crise économique. Aujourd’hui je suis acculé. C’est ma dernière cartouche. Si on ne prend pas ce problème à bras-le-corps, moi demain je ne peux pas payer les employés municipaux et donc fournir les services de base à mes administrés, je ne peux pas payer les entreprises qui travaillent au renouveau de la ville de Sevran… Je n’ai pas d’autre choix. »
Ce « problème », c’est l’extrême difficulté pour les villes les plus pauvres de l’Hexagone à boucler leur budget annuel. Pour une ville comme Sevran et ses 51 000 administrés, les ressources de la municipalité sont réduites à peau de chagrin puisque dépendant fortement d’une taxe professionnelle très faible dans les zones sinistrées économiquement. Comme de nombreuses villes du Nord-Pas-de-Calais au Languedoc-Roussillon, en passant par la Seine-Saint-Denis, les villes comme Sevran, qui ont perdu une grande partie de leur activité à la suite de fermetures d’usine (Kodak, Westinghouse…), tirent la langue.
« C’est bien simple, par rapport à la moyenne des villes de 50 000 habitants, Sevran touche 30 millions d’euros de moins de budget chaque année. On est obligé d’augmenter les impôts locaux pour subsister mais il arrive un moment où on ne peut plus tirer sur la corde », explique le maire. « On en est rendu à une situation ubuesque où mes administrés, dont 16 % sont au chômage (près de 40 % chez les jeunes), qui ont des revenus inférieurs de moitié à la moyenne nationale, payent plus d’impôts locaux que ceux qui vivent dans les villes riches. »
Il suffit de se promener dans les rues de Sevran pour se rendre compte que la crise touche bien de plein fouet les collectivités locales. Selon Malik, un jeune Sevranais, les associations sportives municipales par exemple se réduisent chaque mois un peu plus, faute de subventions adéquates. « Il y a de moins en moins d’animateurs, de moins en moins de matériel… À Sevran, on n’a jamais eu les installations du Paris Saint-Germain, mais là ça devient pire que tout. Comment voulez-vous que les jeunes aient envie de participer, même les bâtiments partent en morceaux…»
Ce que veut éviter à tout prix Stéphane Gatignon, c’est l’exemple de la ville de Grigny. Dans une situation économique quasi similaire à celle de Sevran mais avec moitié moins d’habitants, Grigny a été mise en 2009 sous tutelle du préfet de l’Essonne, qui gère depuis ses finances. Résultat : une augmentation de 44,25 % de la taxe d’habitation et de 50 % de la taxe foncière, des coupes drastiques dans le fonctionnement de la mairie et des services municipaux (crèches, bibliothèques, conservatoire, équipements sportifs…). De quoi ghettoïser un peu plus une ville qui n’avait pas vraiment besoin de cela. « C’est l’absence de ce type de services qui pousse les familles un peu plus riches, ou en tout cas pas complètement pauvres, à déserter des villes comme Sevran, explique le maire. Vous pouvez construire autant de logements que vous voulez, les seuls qui viendront y habiter ce sont les familles précaires qui n’ont pas d’autre choix, tous les autres iront ailleurs… »
Pourtant, Stéphane Gatignon, lui, se dit tout à fait pour une gestion serrée de sa mairie. « De toute façon, vu la situation actuelle, si on serre plus la ceinture, on attaque l’os. La rigueur, on connaît, je vous assure », plaisante-t-il. « On a tout de même baissé le nombre de salariés à la mairie de 25 %, ce n’est pas rien. » Mais pour lui, le problème est plus ample.
Son plus gros combat, c’est que cette gestion serrée soit partagée par toutes les communes de la région. Que l’effort soit partagé par les voisins. Dans l’intercommunalité de Sevran, on retrouve Villepinte, une commune moyenne, et surtout Tremblay-en-France, beaucoup plus riche, notamment grâce à l’aéroport de Roissy et à l’installation du siège social d’Air France sur son territoire. « Rentrer dans cette intercommunalité a rendu Sevran la pauvre artificiellement un peu plus riche. Comme certaines aides prennent en compte les revenus de l’intercommunalité, Sevran touche moins d’aide et Tremblay en touche plus », fait remarquer Stéphane Gatignon. (Voir les explications sur les différentes aides sous l'onglet Prolonger.)
Une déclaration qui fait bondir le maire communiste de Gennevilliers, Jacques Bourgoin, qui met en avant la situation sociale très défavorisée de sa population : « À Gennevilliers, les revenus mensuels par personne sont les plus bas du département des Hauts-de-Seine, près de 50 % des foyers fiscaux ne sont pas imposables, le taux de chômage atteint les 17 %, la part des ménages touchant le RSA est de 13 %. Au classement des communes d’Île-de-France dont les populations sont les plus pauvres, Gennevilliers figure à la 19e place sur 1 242 communes, Sevran est à la 21e place. »
« La population de Gennevilliers, aussi pauvre que celle de Sevran, a autant besoin de services publics de qualité : logements, santé, culture, éducation », conclut le maire de Gennevilliers, même s'il se dit lui aussi « favorable à l’instauration d’un système de péréquation à l’échelle nationale et régionale ». En clair, si Gennevilliers doit reverser une aide au Fonds de solidarité de l’Île-de-France, c’est parce que celui-ci ne prend pas en compte la réalité sociale de la population, contrairement au Fonds de solidarité urbaine de l’État.
« Ma volonté par cette démarche n’est pas de monter une ville contre une autre », précise Stéphane Gatignon, « je ne cherche pas à déshabiller Pierre pour habiller Paul, je dis juste qu’il y a un vieux système rigide en France qu’il faut réformer. Il y a des villes riches dans la région (Paris, Puteaux), il faut qu’elles acceptent une redistribution des cartes. Il y a suffisamment d’argent pour tout le monde. Il faut que les élus arrêtent de vouloir s’en sortir tous seuls, grâce au copinage avec le préfet, ou en se satisfaisant de ce qu’ils ont avec pour seul objectif d’être réélus. »
Au ministère de la Ville, les gesticulations de Gatignon commencent à faire grincer des dents. On indique d’ailleurs que des aides supplémentaires ont déjà été débloquées pour 2013 : +120 millions d’euros de dotation de solidarité urbaine (DSU), +50 millions d’euros d’augmentation pour la Dotation de développement urbain (DDU) reversée aux 100 communes les plus pauvres…
« C’est un effort de péréquation sans précédent qui est ainsi proposé pour 2013 », explique, dans une lettre ouverte à Stéphane Gatignon, le ministre délégué à la Ville François Lamy, avant d’assurer que la porte du ministère est grande ouverte à l'élu, « sans qu’il y ait besoin de recourir à la pression médiatique ».
Joint par Mediapart, le service du ministre de la Ville se veut apaisant : « Le fait de cibler la Dotation de solidarité urbaine (DSU) plus particulièrement sur les 100 villes les plus pauvres plutôt (plutôt que sur les 250 actuellement - ndlr) est étudié par le ministre. Il compte rencontrer M. Gatignon et a confié il y a un mois au maire de Sarcelles, François Pupponi, une mission de consultation qui doit rendre son rapport fin janvier 2013 », explique-t-on au cabinet du ministre.
Pour l’instant, Stéphane Gatignon dit ne pas avoir entendu parler d’une rencontre avec le ministre et ne compte donc pas fléchir sans avoir obtenu des réformes structurelles qui lui permettraient d’arrêter de venir « mendier chaque année pour ne pas mettre la clé sous la porte ».
« L’autre problème, dans ce système, c’est que le tout libéral est devenu la norme dans le monde des collectivités locales, sans prendre en compte le fait que nous soyons là pour répondre à des besoins sociaux, de proximité avec la population, et non avec des visées commerciales. Or aujourd’hui, on a institutionnalisé le fait qu’une collectivité locale devait être gérée comme une entreprise », assure Stéphane Gatignon.
L'édile prend l’exemple des prêts bancaires inévitables pour boucler un budget municipal. « Comme il y a eu des faillites de municipalités en Espagne ou au Royaume-Uni, les banques ne prêtent plus qu’aux villes riches, qui ont les reins assez solides pour rembourser, ou alors avec des taux toxiques, ce qui fait que certaines communes ont des prêts à 25 % d’intérêts aujourd’hui en Seine-Sant-Denis. Le problème, c’est que l’État et la Caisse des dépôts ne prêtent plus non plus. »
Il y a même « pire » selon le maire. « Ce sont les communes qui prêtent de l’argent à l’État, lequel met des années à nous rembourser les programmes de rénovation urbaine mis en place dans la ville mais avec l’aval du gouvernement… Aujourd’hui, on a un retard de versement de l’État de 4,7 millions d’euros et moi, il me manque 5 millions pour boucler mon budget. C’est le serpent qui se mord la queue… »
C’est donc dans ce contexte que le maire a débuté vendredi à 16 heures sa grève de la faim. Avec ses 69 kilos pour 1,82 mètre, son médecin lui a conseillé de ne pas prendre de risques inutiles, mais lui assure qu’il ne lâchera rien, jusqu’à ce que les choses changent. À ceux qui l’accusent d’aller toujours plus loin dans les coups d’éclat médiatiques, il rétorque qu'il veut des résultats. « Ça fait huit ans qu’on nous promet la mise sous tutelle et jusqu’ici on y a toujours échappé, mais toutes mes victoires, je suis allé les chercher avec les dents. C’est peut-être dommage mais en tout cas dans ce pays, si on ne fait pas ce genre de sorties, personne ne vous écoute. Il a fallu mon appel aux casques bleus l’an dernier pour qu’enfin on m’envoie des compagnies de CRS supplémentaires pour arrêter les règlements de comptes entre bandes. Quand on est dans la merde, on a l’énergie du désespoir. »