Le préfet Jean-Jacques Debacq, qui dirige l'usine à procès-verbaux issus des radars automatisés, pourfend régulièrement les fraudeurs de la route. Mediapart a découvert qu'il a fait payer par son administration les contraventions routières dont son véhicule de fonction a fait l'objet et échappe au retrait de point sur son permis de conduire.
Avis de contravention, certificats administratifs, bordereaux comptables… Les documents en possession de Mediapart sont sans appel : le haut fonctionnaire du ministère de l’intérieur qui dirige l'usine à procès-verbaux issus des radars automatisés – plus de 12 millions en 2012 – et des nouveaux PV électroniques (PVE) a tout l'air de se comporter comme ceux qu’il traque tous les jours.
Directeur de l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai), le préfet Jean-Jacques Debacq, dont le discours officiel stigmatise régulièrement les fraudeurs de la route, fait payer par son administration – c’est-à-dire par le Trésor public – les contraventions routières du dimanche dont son véhicule de fonction, une Peugeot 508, fait l'objet. Tout en parvenant à échapper au moindre retrait de point sur son permis de conduire.
Au total, c'est une douzaine de contraventions que l'on a pu retracer entre la fin 2010 et l’été 2013, soit près de 700 euros d'amendes. Mais rien ne dit, à ce jour, qu'il n'y en a pas eu d'autres.
La première infraction identifiée dans les certificats administratifs, signés de la main même du directeur de l'Antai et récupérés par Mediapart, fait ainsi état du stationnement gênant de “sa” Peugeot immatriculée BP-020-GK, qu'il est censé être le seul à conduire avec son chauffeur. Mais un chauffeur dont il ne dispose qu'en journée et en semaine, pas le soir ni le week-end. Or, la contravention dont il est question a été dressée le 31 octobre 2010, c’est-à-dire un dimanche. Comme bien d'autres.
« Dans le cadre des activités de l'Antai, ce véhicule a fait l'objet d'une infraction », écrit ainsi M. Debacq dans ce certificat. « Le conducteur du véhicule n'est pas identifié », se sent-il obligé d’ajouter dans d'autres, en particulier quand il s'agit d'une infraction relevée par un radar automatique. Pourquoi ? Pour éviter la perte de point(s) encourue… Des écrits qui écornent l'image tant vendue par nos autorités pour décrire le contrôle automatisé comme un système juste, équitable, sans passe-droit.
En septembre 2011, devant les membres d’une mission parlementaire, Jean-Jacques Debacq n'avait pourtant pas hésité à défendre vigoureusement le principe de la sanction : « Si vous me demandez s’il faut retirer un point pour les petits excès de vitesse, ma réponse est un “oui” ferme, car c’est là la vraie sanction, qui vaut pour tous. » Pas vraiment, apparemment.
Encore plus sévère face aux resquilleurs, le préfet Debacq déclarait le 2 juillet dernier à l’occasion des rencontres des Acteurs publics (RAP), rendez-vous annuel des décideurs de la fonction publique : « Dans la fraude, il y a la fraude dans la fraude (…). L'infraction routière est déjà une fraude d'une certaine manière, mais il y a celui qui non seulement est pris mais veut essayer d'échapper à la sanction. »
« Très sincèrement, je ne sais plus du tout où j'étais »
Ces propos intransigeants ne l'ont pas empêché d'établir un nouveau certificat administratif quelques jours plus tard, pour le règlement d'un excès de vitesse commis le 14 juillet. Jour de fête nationale, de toute façon férié, mais qui – pour la petite histoire – tombait également un dimanche cette année. « Très sincèrement, je ne sais plus du tout où j'étais (…). À mon avis, je n'étais pas là et devais être en province »,explique aujourd’hui le préfet. N'était-ce pas du côté de la Normandie ? Selon le relevé du télépéage attribué notamment à son véhicule de fonction, il y a bien eu un responsable de l'Antai qui se trouvait par là…
Comme pour cette infraction, près de la moitié des contraventions que Mediapart a pu retracer dans les documents récupérés, proviennent du contrôle de vitesse automatisé. En clair, comme il n'y a eu aucune interpellation, il est donc assez simple de nier avoir été au volant.
Le reste correspond à des PV relatifs à du stationnement irrégulier. Il s'agit d'ailleurs surtout de PVe, dont la particularité est d'être envoyés à l'adresse correspondant au propriétaire sur le certificat d'immatriculation – et non plus laissés sur le pare-brise sur le lieu de l'infraction. Autrement dit, les PV de Monsieur Debacq arrivent directement au siège de l'Antai.
Et toutes les amendes sont payées avec… l’argent de l’État, comme le montrent les documents en notre possession. Toutes celles dont il est question ici ont en effet été réglées par mandats administratifs. « Heureusement que je ne paie pas tous les frais de l'Antai ! » a vivement réagi Monsieur Debacq, sans nier le fait qu'il lui arrive ainsi de signer des certificats administratifs pour « protéger la personne qui conduisait à ce moment-là ».
Des agissements, en tout cas, qui ne peuvent pas être ignorés par les autres responsables de l'Antai, au premier desquels l'agent comptable. Détournement de biens publics ou abus de confiance ? Certains s’interrogent aujourd’hui en interne.
De fait, comme l’explique Caroline Tichit, avocate spécialisée dans le droit routier, ce type de pratique pose de gros problèmes de légalité : « Selon l'article L121-3 du code de la route, lorsqu'une personne morale – comme l'Antai par exemple – est titulaire du certificat d'immatriculation d'un véhicule flashé par un radar automatique, et que le conducteur n'est donc pas identifié, c'est bien à son représentant légal qu'il incombe de payer l'amende. » « D'ailleurs pour les véhicules de société, c'est pareil, sans dénonciation d'un conducteur particulier, c'est au chef d'entreprise de régler ! » précise-t-elle.
Ce que Jean-Jacques Debacq réfute en bloc. Selon lui, il n'avait « aucune obligation de payer ». On peut d'ailleurs se demander si au sein de l'administration, il est bien le seul à procéder ainsi. Certes, son cas est d'autant plus cocasse qu'il symbolise l'arroseur arrosé. Mais la question mérite d'être posée. Et il ne serait pas si compliqué d'y répondre pour nos autorités, si elles se donnaient la peine de chercher. Il suffirait en effet de voir combien de contraventions ont été payées au Trésor public via des mandats administratifs, seul moyen de paiement d'un acteur public.
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Par La rédaction de Mediapart